tag:blogger.com,1999:blog-13413148543605894442024-02-20T03:26:31.890-08:00Sur les cordes du ventGeorgia Makhloufhttp://www.blogger.com/profile/04834309551444366604noreply@blogger.comBlogger22125tag:blogger.com,1999:blog-1341314854360589444.post-64853640607730342972010-05-10T11:54:00.000-07:002010-05-10T11:57:26.913-07:00L’OULIPO : le jeu au secours du je ?L’OULIPO, Ouvroir de Littérature Potentielle, a été fondé le 24 Novembre 1960 par Raymond Queneau, François le Lionnais et une dizaine de leurs amis écrivains, mathématiciens et peintres. L’Ouvroir s’apprête donc à fêter ses 50 ans d’existence et pourtant il n’a pas pris une ride. Bien au contraire, il semble qu’il ait trouvé une nouvelle jeunesse (ou bien est-ce la recette d’une jeunesse éternellement renouvelée ?) et ses travaux suscitent un engouement toujours plus grand. Enquête sur un phénomène littéraire plein de (bonnes) surprises. <br /><br /><br />« Prenez un mot, prenez-en deux, faites cuire comme des oeufs, prenez un petit bout de sens puis un grand morceau d’innocence, faites chauffer à petit feu, au petit feu de la technique, versez la sauce énigmatique, saupoudrez de quelques étoiles, poivrez et puis mettez les voiles. Où voulez-vous donc en venir ? À écrire vraiment ? À écrire ? »<br />Ainsi s’exprimait Queneau dont le propos était d’inventer avec ses complices de nouvelles formes poétiques ou romanesques résultant d’un transfert de technologie entre mathématiciens et écriverons (sic). Ce sont ces préoccupations, au croisement du langage et des mathématiques, qui aboutirent à la création de « 100 000 milliards de poèmes ». En composant dix sonnets de 14 vers chacun et en les combinant de façon méthodique, Queneau obtient 1014 poèmes. <br />L’Oulipo compte aujourd’hui 35 membres, dont 13 excusés pour cause de décès. Car à l’Oulipo, on ne fait pas de distinction entre les vivants et les morts. Et si le groupe a réussi à survivre à la disparition des plus célèbres d’entre eux (R.Queneau, mais aussi G. Perec ou I.Calvino), c’est qu’il procède régulièrement à des co-optations qui se sont révélées d’excellents choix. Les nouveaux venus se sont parfaitement intégrés à l’esprit du groupe. Parmi les membres actuellement actifs, on citera Hervé Le Tellier, Paul Fournel ou Marcel Bénabou, secrétaire provisoirement définitif et définitivement provisoire. L’objectif néanmoins reste le même depuis le début de l’aventure : inventer des règles de composition poétique qui permettent de créer des oeuvres nouvelles et de dégager les potentialités, les ressources cachées, les richesses secrètes des oeuvres existantes. L’activité éditoriale du groupe est très importante depuis 1992 avec la publication des fascicules de la Bibliothèque Oulipienne chez Castor Astral, de l’Abrégé de Littérature potentielle chez1001 Nuits, ou de la toute récente Anthologie de l’Oulipo chez Gallimard. En outre, plusieurs de ses membres ont publié à titre personnel nombre de romans et recueils de poèmes qui rencontrent un succès qui va bien au-delà de leurs aficionados habituels. L’intérêt grandissant que suscite l’Oulipo s’observe également par leurs lectures publiques qui se multiplient et font salle comble : celles qui se tiennent tous les mois à la Bibliothèque Nationale par exemple, ou celle qui a eu lieu au Louvre il y a peu, à l’invitation d’Umberto Eco, sur le thème des listes et inventaires, et pour laquelle il était difficile de trouver un strapontin de libre. Le spectacle « Pièces détachées », créé il y a 4 ans, a été joué deux saisons successives à Avignon, longuement repris au Théâtre du Rond Point, et il tourne à présent partout en France et ailleurs. Il faut également mentionner les commandes publiques qui sont adressées aux oulipiens par des institutions ou des villes ( ils ont récemment créé une oeuvre littéraire spécifique pour le Tramway de Strasbourg) ou le colloque international qui est en préparation et qui aura lieu à la Sorbonne en Mai 2010. International en effet, car l’Oulipo traverse à présent les frontières et essaime partout en Europe mais aussi aux USA, au Canada et jusqu’en Australie. Notons enfin que le mouvement a fait des petits avec l’Oulipopo qui se préoccupe de littérature policière, l’Oupeinpo qui s’intéresse à la peinture, l’Oumupo qui se consacre à la musique comme l’Oucipo au cinéma. Mais où qu’ils se trouvent, les oulipiens se reconnaissent toujours dans la définition qu’a donnée d’eux leur illustre fondateur qui affirmait qu’ « un oulipien est un rat qui construit lui-même le labyrinthe dont il se propose de sortir », un labyrinthe de mots, de sons, de phrases, de paragraphes, de chapitres, de livres, de bibliothèques, de prose, de poésie etc. <br /><br />Mais l’Oulipo d’aujourd’hui est-il vraiment le même que celui des débuts ? M.Bénabou l’affirme sans hésitation, lui qui est là depuis 41 ans. Il souligne que les objectifs poursuivis restent « l’exploration du langage et des possibilités que donne l’invention de nouvelles contraintes, de nouvelles structures formelles ». L’esprit ne s’est donc pas modifié, seule la renommée s’est élargie. Bénabou attribue le succès actuel à « un rapport décontracté que nous entretenons au langage et à l’écriture. Nous avons désacralisé la littérature et l’écriture sans tomber dans l’esprit des chansonniers. Et de ce fait nous occupons une place particulière qui plait aux gens cultivés.» Car cet engouement, s’il est bien palpable, se fait néanmoins dans un cadre restreint, celui des amateurs de poésie et de jeux de langage qui trouvent dans la démarche oulipienne tout à la fois une dimension ludique et une réelle exigence, l’articulation du jeu à un vrai travail littéraire qui repose sur des références culturelles. Il existe donc une complicité forte entre auteurs et lecteurs oulipiens. Bénabou affirme d’ailleurs que le lecteur, « s’il n’est pas d’emblée oulipien, devrait normalement le devenir peu à peu ». Il y a une « formation préalable nécessaire » pour apprécier véritablement les productions oulipiennes, ou du moins un état d’esprit. Ces textes ne s’adressent donc pas à n’importe qui et beaucoup de gens n’aiment pas qu’on désacralise ainsi le langage. « Si nous sommes à présent devenus intouchables, nous étions très critiqués par le passé. On nous traitait d’amuseurs publics, de rigolos. On parlait à notre propos de Grenier de Montmartre. On nous reprochait de pratiquer une littérature populaire, ce qui est le contraire même de notre démarche puisque nos lecteurs doivent avoir, pour nous apprécier, un minimum de culture ». Élitistes donc les oulipiens ? D’une certaine façon sans doute. Hervé Le Tellier préfère parler d’une esthétique de la complicité ». « Lire un texte à contraintes exige un effort. C’est pourquoi il faut affirmer qu’il y a derrière tout texte oulipien le regard d’un lecteur lui-même oulipien ». <br /><br />On en vient donc à la question des « contraintes » à propos desquelles Perec disait : « Au fond, je me donne des règles pour être totalement libre ». Paroles amplement commentées depuis. Les contraintes oulipiennes permettraient donc de se libérer du problème de l’expression de soi. Bénabou confirme que « dès l’origine il est vrai, l’idée de faire appel à des modèles mathématiques, à des structures, était un moyen de sortir du tête-à-tête avec soi-même qui risquait d’être lassant ». Et à propos duquel Jacques Roubaud écrit : « La contrainte était un pharmakon, un remède (remède et poison, poison aussi) à la mélancolie du roman qu’éprouve le romancier dans une époque où la répétitivité maniaque des schémas éprouvés depuis déjà au moins deux siècles engendre l’ennui profond, passion fondamentale du XXe siècle ». Il y a donc bien pour les oulipiens ce constat que depuis 40 ou 50 ans, il se publie chaque année en France 600 à 700 romans dont très peu sont réellement lisibles. Il y a là quelque chose qui cloche et le recours à la contrainte est pensé comme remède à cette littérature qui « tourne en rond et ne tourne pas rond ». Le jeu volerait ainsi au secours du je ? Bénabou soutient que « le recours à la contrainte n’interdit pas le je. Le moi s’accommode de tout, même de la contrainte. Simplement, on ne dit pas les choses directement mais au travers d’une grille ». Et il ajoute :« Quand Perec choisit la contrainte du lipogramme (texte où l’on se passe d’une lettre) ou des alphabets restreints, il choisit des contraintes qui reposent toutes sur le manque. Or le manque est le drame de Perec, manque de mère, de famille, de communauté d’identification. Le choix de cette contrainte est une façon pour lui d’être au coeur de son moi ». Y compris à son insu.<br />Il arrive que l’on parle des oulipiens comme de chercheurs. Car ils sont en effet de véritables explorateurs du langage, qui se sont souvent aventurés dans les espaces du « langage cuit » selon l’expression de Desnos, c’est-à-dire les clichés, expressions, formules, proverbes et dictons qui forment un véritable trésor au sein de la langue française. « J’ai trouvé dommage que ce réservoir reste figé, explique Bénabou, et j’ai emprunté la démarche de Desnos pour défiger la langue ». Cette démarche repose sur le principe de la substitution. Par exemple, partant d’un aphorisme de Klausewitz, Bénabou conserve la structure de la phrase et, en apportant un vocabulaire nouveau, fabrique quantité d’autres aphorismes. Au point d’en confier la fabrication à une machine, un programme informatique. Ce recours à la machine a de quoi troubler : peut-on ainsi mettre de côté la question du sens et explorer le langage à travers de purs exercices formels ? À quoi Bénabou répond qu’il ne s’agit pas d’être esclave de ce que l’on produit et que le sens intervient au moment de la sélection des aphorismes que l’on conservera. Mais que l’on pourra aussi faire le choix du non-sens. <br />L’Oulipo, qu’est-ce que c’est finalement ? Une avant-garde ? Un mouvement littéraire ? Une société secrète ? La question ne le surprend pas et Bénabou répond sans hésiter qu’il s’agit avant tout d’ « une bande de copains qui ont des intérêts communs et notamment un regard sur la littérature et le langage et le goût de l’exploration ». Nous sommes à la bibliothèque de l’Arsenal qui abrite les archives de l’Oulipo et qui leur offre un cadre de réunion. Quoiqu’ils préfèrent souvent aller au restaurant... <br /><br />Article publié dans l'Orient Littéraire de Février 2010.Georgia Makhloufhttp://www.blogger.com/profile/04834309551444366604noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1341314854360589444.post-67022679309377339862010-05-10T11:48:00.000-07:002010-05-10T11:53:30.055-07:00Tabucchi : « La littérature doit provoquer une certaine intranquillité ».Italien de naissance mais Portugais de coeur, Antonio Tabucchi, né à Pise en 1943, est une figure majeure de la littérature contemporaine et l’un des écrivains italiens les plus lus en dehors de son pays. C’est alors qu’il est étudiant à Paris en 1962 qu’il découvre Fernando Pessoa, dans une traduction française du « <i>Bureau de tabac </i><span style="font-family: Georgia;">». Son enthousiasme le conduit à se plonger dans la langue et la culture portugaises et à traduire en italien toute l’oeuvre de Pessoa, avec la collaboration de sa femme, Marie-José de Lancastre, rencontrée au Portugal. De 1987 à 1990, il dirige L’institut culturel italien de Lisbonne et la ville servira de cadre à plusieurs de ses romans. Tabucchi enseigne la littérature portugaise à l’université de Sienne, il est chroniqueur pour le <i>Corriere della sera</i></span><span style="font-family: Georgia;"> et <i>El Pais</i></span><span style="font-family: Georgia;">, et membre fondateur, en 1993,<span style=""> </span>du Parlement International des Ecrivains qui a pris la défense de nombreux écrivains menacés dans leurs pays respectifs, dont Salman Rushdie. Au cours de la campagne électorale italienne de 1995, le protagoniste de son roman « <i>Pereira prétend </i></span><span style="font-family: Georgia;">» est devenu le symbole de l’opposition de gauche à Silvio Berlusconi.<span style=""> </span>Et Tabucchi est actuellement poursuivi en diffamation, suite à un article paru dans l’<i>Unita </i></span><span style="font-family: Georgia;">en mai 2008, dans lequel il s’interroge sur les liens éventuels de Renato Schifani, le président du Sénat, avec la mafia. Estimant à juste titre que ces poursuites judiciaires étaient une atteinte à la liberté d’expression, Gallimard a lancé une pétition de soutien qui a fait le tour du monde. Tabucchi a reçu entre autres distinctions littéraires, le prix Médicis étranger 1987, le prix européen Jean Monnet 1994, le prix Nossack de l’Académie Leibniz en 1999 et le prix France Culture<span style=""> </span>2002. Son livre « <i>Tristano meurt </i></span><span style="font-family: Georgia;">» a été désigné meilleur livre de l’année par le magazine <i>Lire </i></span><span style="font-family: Georgia;">en 2004. Il a publié près d’une trentaine d’ouvrages, tous traduits en français au Seuil, chez Christian Bourgois ou Gallimard, et parmi lesquels on citera « <i>Piazza d’Italia »</i></span><span style="font-family: Georgia;">, <i>« La nostalgie du possible »</i></span><span style="font-family: Georgia;">, ou le plus récent, <i>« Le temps vieillit vite » </i></span><span style="font-family: Georgia;">paru en 2009 chez Gallimard avant même sa sortie en Italie. Certaines de ses oeuvres ont été portées au cinéma, dont <i>« Nocturne indien »,</i></span><span style="font-family: Georgia;"> et « <i>Pereira prétend </i></span><span style="font-family: Georgia;">», lui apportant une très large renommée internationale. Nous avons rencontré à Paris, ville qu’il affectionne particulièrement, cet « <i>écouteur d’histoires </i></span><span style="font-family: Georgia;">» comme il aime lui-même à se décrire, ajoutant, « <i>je sais toujours quand une âme ou un personnage est en train de voyager dans l’air et a besoin de moi pour se raconter. Écouter et raconter, c’est un peu la même chose. Il faut apprendre à être disponible, à laisser en permanence la porte de son imagination ouverte. Mes histoires, mes livres, je les ai tout simplement accueillis; vous vous en doutiez, je crois aux muses </i></span><span style="font-family: Georgia;">».<span style=""> </span>Entretien dense et passionnant qu’on aurait voulu prolonger davantage tant cette hauteur de vue est rare et précieuse.<span style=""> </span><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family: Georgia;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family: Georgia;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family: Georgia;"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family: Georgia;"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family: Georgia;"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family: Georgia;"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family: Georgia;"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family: Georgia;"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family: Georgia;"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family: Georgia;"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family: Georgia;"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family: Georgia;"><b>Le temps est l’un des thèmes majeurs de votre oeuvre romanesque. Votre dernier livre s’intitule « <i>Le temps vieillit vite </i></b></span><span style="font-family: Georgia;"><b>», mais déjà dans votre premier ouvrage, le héros Volturno, souffrait d’un « <i>mal du temps </i></b></span><span style="font-family: Georgia;"><b>», maladie qui se manifestait par un décalage entre sa temporalité intérieure et la temporalité extérieure. Pourquoi ce thème est-il<span style=""> </span>si présent tout au long de votre oeuvre ?<o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family: Georgia;">Si la création du monde est marquée par le passage des ténèbres à la lumière, ce n’est pas ce passage qui crée le temps, mais l’écriture : c’est l’écriture humaine qui a créé le temps, et le temps est donc une dimension fondamentale de notre humanité, que nous pouvons difficilement appréhender dans sa totalité. Nous ne pouvons y faire que quelques incursions. Selon les époques, le sentiment du temps a beaucoup varié. Le Goff<span style=""> </span>a montré qu’au Moyen âge, il y avait deux temporalités différentes, celle des marchands et celle de l’Eglise. Einstein<span style=""> </span>définit le temps dans les termes de la physique, et<span style=""> </span>montre que le temps est fonction de l’espace. Bergson<span style=""> </span>réplique que le temps ne peut s’appréhender par la science physique, et qu’Einstein est passé à côté d’une dimension essentielle du temps, celle de la conscience, celle de la durée. Chaplin lui aussi aborde cette réflexion dans « Les temps modernes ». Quant aux sociologues de la post-modernité,<span style=""> </span>J.F.Lyotard et M. Augé, ils définissent notre époque comme un présent absolu, c’est-à-dire comme une époque qui ne comprend pas le passé et du coup, n’imagine pas le futur. Il est vrai qu’un certain nombre d’évolutions récentes ont compliqué le sentiment du temps : je pense par exemple à l’arrivée au sein de l’Europe des pays de l’Europe de l’Est qui ont un calendrier si différent de celui des pays de l’Europe de l’Ouest ; je pense aux idéologies négationnistes qui falsifient le temps et nient Auschwitz et les camps d’extermination ; je pense enfin aux évolutions technologiques qui abolissent la dimension matérielle des choses (pensons par exemple à la dématérialisation de l’argent), mais qui abolissent également l’espace, puisqu’on peut, depuis son salon, vivre en direct des événements qui se passent à l’autre bout de la planète. <o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family: Georgia;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family: Georgia;"><b>Ce mal du temps serait-il donc le symptôme d’une inadaptation de vos personnages au monde dans lequel ils vivent ? <o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family: Georgia;">Disons que ce mal du temps est une sorte de décalage. Volturno que vous avez cité, a le même sentiment qu’un artiste, c’est-à-dire qu’il se sent en permanence en décalage avec la contemporanéité. Mais ce décalage lui permet de regarder le monde avec des yeux différents. Ce décalage qui provoque en lui une forme de désaccord, est donc porteur d’une dimension positive, d’une dimension éthique. <o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family: Georgia;">On sait que l’une des premières manifestations de tout pouvoir politique a trait au temps. Depuis l’Antiquité, prendre le pouvoir, c’est prendre possession du temps. Chaque nouvelle civilisation a voulu instaurer un nouveau calendrier, qu’il s’agisse de<span style=""> </span>la révolution française ou du fascisme italien.<span style=""> </span>On pense aussi aux hommes politiques qui, sous toutes les latitudes, ont toujours pour projet de construire le futur. Et l’on sait les désastres que cette utopie a provoqués au siècle dernier. Même les Américains ont tenté, avec un succès très relatif, de prendre le contrôle du temps en imposant au monde une nouvelle histoire qui commencerait le 11 septembre 2001. D’où le rôle salutaire de ce sentiment de décalage, de ce mal du temps.<span style=""> </span><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family: Georgia;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family: Georgia;"><b>Le passé est néanmoins souvent source de souffrance pour vos personnages, sans doute en raison de son caractère immuable, mais également parce que la nostalgie de ce qui a été empêche la possibilité d’un bonheur présent. C’est le cas par exemple dans « <i>Pereira prétend </i></b></span><span style="font-family: Georgia;"><b>».<o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family: Georgia;">Pereira n’arrive pas à accomplir le que la culture grecque a appelé la catharsis. La catharsis, qui correspond plus ou moins à ce que Freud nomme le nécessaire « travail du deuil », est fondamentale, non seulement sur un plan personnel mais aussi d’un point de vue collectif, à l’échelle d’un pays par exemple. Chaque pays sans exception doit être capable de regarder son passé, non seulement les pages glorieuses de ce passé, exaltées dans les monuments commémoratifs, mais aussi et surtout les hontes de ce passé. Quand Pereira comprend qu’il lui faut entreprendre ce travail de deuil, il pose un acte qui appartient enfin vraiment au présent : il prend tous les risques pour raconter une vérité trop longtemps tue. S’opère alors un mariage entre lui-même et son présent. Il s’extrait enfin de son passé et une nouvelle vie devient possible pour lui : une renaissance.<span style=""> </span><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family: Georgia;"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family: Georgia;"><b>Est-ce pour ces raisons que la thématique du dialogue avec les morts est si présente dans vos livres, dans « <i>Piazza d’Italia » </i></b></span><span style="font-family: Georgia;"><b>ou « <i>Requiem</i></b></span><span style="font-family: Georgia;"><b> » par exemple ?<o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family: Georgia;">Les morts sont nos racines. Je ne crois pas aux racines terrestres ou géographiques. Je crois à celles de la mémoire. Le culte des ancêtres existe chez les peuples les plus primitifs. Il<span style=""> </span>nous faut toujours nous rappeler que nous ne venons pas de rien, que nous sommes un maillon dans une longue chaîne. <o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family: Georgia;"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family: Georgia;"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family: Georgia;"><b>Il y a aussi ce thème, central dans votre oeuvre, de la nostalgie. Est-ce l’équivalent de la « saudade » portugaise, ce sentiment particulier qui amène un personnage à se laisser bercer par l’étrange souvenir de ce qui n’a pas eu lieu ? Est-ce une nostalgie sans objet, une conscience d’être assujetti au temps et voué à la mort ?<o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family: Georgia;">J’ai beaucoup écrit et beaucoup réfléchi à ce sentiment très étrange qu’est la nostalgie. J’y reviens encore dans mon dernier recueil avec deux nouvelles qui illustrent deux cas assez étonnants de nostalgie. Dans l’une, « <i>Bucarest n’a pas changé </i></span><span style="font-family: Georgia;">», un vieux juif qui a vécu dans l’enfer de la Roumanie de Ceausescu se réfugie en Israël où il passe le reste de sa vie et où il peut enfin se<span style=""> </span>reconstruire et fonder une famille. Néanmoins, il a la nostalgie de son passé, la nostalgie de cet enfer. Dans « <i>Les morts à table </i></span><span style="font-family: Georgia;">», un ancien espion de la RDA vit dans la nostalgie du mur qui divisait Berlin. La nostalgie est une chose extrêmement complexe et elle peut même être nostalgie du pire. Cette notion existait<span style=""> </span>déjà chez Baudelaire qui parle de la vie comme d’un hôpital où chaque malade voudrait changer de lit. Ou chez Conrad qui publie en 1998 un recueil intitulé « <i>Tales of unrest </i></span><span style="font-family: Georgia;">». La nostalgie entre aussi sans doute pour beaucoup dans ce qui nous pousse à écrire, dans ce désir, ce mouvement qui nous met en branle.<span style=""> </span>Je ne pense pas en avoir fini avec l’exploration de cette thématique et je prépare actuellement une édition enrichie de mon livre « <i>La nostalgie du possible </i></span><span style="font-family: Georgia;">»<i>.<span style=""> </span><o:p></o:p></i></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family: Georgia;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family: Georgia;"><b>Vous avez décrit la littérature comme étant une forme de connaissance et une forme de mémoire. Et plusieurs de vos romans sont remplis de références à des auteurs<span style=""> </span>de toutes les époques. Pouvez-vous nous éclairer davantage là-dessus ?<o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family: Georgia;">La littérature est, plus encore que l’histoire, le plus grand dépôt de la mémoire humaine. On fait l’histoire avec des documents d’archives, mais parfois ces documents sont muets ou sourds et susceptibles dès lors d’interprétations diverses. Parfois aussi, les documents viennent à manquer. La littérature en revanche est toujours là, elle accueille tout et tout le monde. Rien de plus démocratique que la littérature : on y entre sans statut ni carte de crédit. On y trouve le Gavroche des « <i>Misérables </i></span><span style="font-family: Georgia;">», le petit moineau auquel Catulle dédie une élégie, ou l’ode à la carotte de Neruda. On y entend les cuisinières et les femmes de ménage qui conversent derrière une porte close, dans « <i>Anna Karenine </i></span><span style="font-family: Georgia;">». Aucun objet de l’expérience humaine n’en est exclu, aucun sentiment non plus. La littérature regarde partout. Mais elle est aussi une forme de connaissance et elle nous donne accès à des expériences fondamentales de l’âme humaine qu’on ne pourrait pas vivre soi-même. Prenons le sentiment amoureux. Vivre un grand amour est déjà une bénédiction. En vivre deux est un rare privilège. On ne peut donc connaître toutes les nuances du sentiment d’amour que si l’on lit « <i>Tristan et Yseult </i></span><span style="font-family: Georgia;">», « <i>Roméo et Juliette</i></span><span style="font-family: Georgia;"> », « <i>Madame Bovary </i></span><span style="font-family: Georgia;">», « <i>Anna Karenine </i></span><span style="font-family: Georgia;">» et d’autres livres encore. La littérature nous informe bien plus largement que l’expérience. Elle nous ouvre des univers infinis, tout un cosmos.<span style=""> </span><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family: Georgia;"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family: Georgia;"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family: Georgia;"><b>Pour reprendre une thématique chère à Pessoa, vous avez souvent dit et écrit que la littérature devait « <i>provoquer une certaine intranquillité</i></b></span><span style="font-family: Georgia;"><b> ».<o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family: Georgia;">Certains livres appartiennent aux siècles passés et néanmoins ils possèdent encore le pouvoir de nous inquiéter parce qu’ils sont éternels. La littérature nous met en éveil, provoque notre intranquillité, quand les hommes politiques ou les religions nous tranquillisent et nous rassurent. Ainsi elle nous maintient dans le doute et la suspicion et ce faisant, elle garde notre âme vivante et vivant notre esprit. Grâce à la littérature, on comprend que les systèmes binaires, les oppositions simplistes de type noir/ blanc ne sont pas le moyen d’accéder à la vérité, et que celle-ci est toujours<span style=""> </span>plus complexe. Elle nous propose d’autres chemins à emprunter, celui de l’épiphanie joycienne ou celui de l’illumination rimbaldienne. La littérature signale les fissures, les imperfections, les tremblements. Elle ne nous narcotise jamais. Cette action soporifique, ce sont les discours religieux ou politiques qui s’en chargent, et parfois également les autres médias et en particulier la télévision. La littérature montre ce qu’une caméra ne voit pas, et parce qu’elle est flexible, parce qu’elle fait appel à l’imagination, elle illumine les coins obscurs de la vie auxquelles les caméras n’accèdent pas. Elle ne peut pas, elle ne doit pas, entrer en compétition avec les autres médias, utiliser leur langage ou leurs méthodes. <b><o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family: Georgia;"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family: Georgia;"><b>Vous êtes très critique du discours politique et vous n’avez pas hésité à vous engager contre certaines idéologies ou personnes.<br /></b></span><span style="font-family: Georgia;">Je suis en effet violemment critique du populisme fascisant de Berlusconi, qui ressemble étrangement au modèle Mussolinien ou à celui<span style=""> </span>de Ceausescu. Tous reposent sur une certaine vision du chef comme homme providentiel envoyé par Dieu et qui aurait la solution à tous les problèmes. Ces chefs s’adressent directement au peuple, aux foules, en passant au-dessus des lois et des institutions, et ils cherchent à conquérir les sympathies à tout prix. Ce populisme banal, insolent, médiocre et qui méprise les institutions a déjà été stigmatisé par<span style=""> </span>C.E.Gadda, ce grand écrivain milanais. Pour ma part, je profite d’un accès plus facile aux médias en raison de ma notoriété pour donner une plus large audience à mes prises de position. Je rejoins en cela le point de vue de Maurice Blanchot qui évoque cette forme de participation citoyenne que l’on peut avoir en tant qu’intellectuel, pour des raisons à la fois éthiques et esthétiques. Et qui est très différent du point de vue de Gramsci lorsqu’il parle de l’intellectuel organique au service d’un parti. <o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family: Georgia;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family: Georgia;"><b>Evoquant les raisons esthétiques de votre engagement, vous avez fait référence à cette « laideur anthropologique » que vous stigmatisez aujourd’hui en Italie ?<o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family: Georgia;">Le langage est une des premières choses qui soient tombées malades en Italie. Quand on écoute les émissions de télévision, y compris le journal télévisé, ou certains hommes politiques, cela fait mal. De gros mots reviennent des dizaines de fois. La langue est pauvre, relâchée, pleine d’erreurs grossières. J’ai pourtant en mémoire une Italie où le peuple, y compris les personnes peu cultivées, parlaient une si belle langue. <o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family: Georgia;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family: Georgia;"><b>La littérature y peut-elle quelque chose ? <span style=""> </span><o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family: Georgia;">Je vous répondrai simplement en rappelant que tout mauvais pouvoir, tout pouvoir à tendance totalitaire, hait la littérature. Ce n’est pas par hasard que les nazis brûlaient les livres ou que le goulag était plein d’écrivains.<span style=""> </span>Si Staline a envoyé Ossip Mandelstam au goulag, c’est avant tout parce qu’il était un grand écrivain<span style="background: none repeat scroll 0% 0% yellow;">.</span></span></p><p style="color: rgb(102, 51, 102);" class="MsoNormal"><br /></p><p class="MsoNormal"><span style="color: rgb(102, 51, 102);"><span style="color: rgb(153, 51, 153);">Publié dans l'Orient Littéraire d'Avril 2010.</span></span><br /><span style="font-family: Georgia;"><span style="background: none repeat scroll 0% 0% yellow;"></span> <i><o:p></o:p></i></span></p> <!--EndFragment-->Georgia Makhloufhttp://www.blogger.com/profile/04834309551444366604noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1341314854360589444.post-76981406449109677122010-02-19T09:35:00.000-08:002010-02-19T09:41:15.081-08:00Léonora Miano : « J’écris dans l’écho des cultures qui m’habitent ».<span style="font-family: Georgia;"><b><!--[endif]--><o:p></o:p></b></span> <p class="MsoNormal" style="margin-left: 18pt; font-family: georgia; font-weight: bold; color: rgb(153, 51, 153);"><!--[if !supportEmptyParas]--><span style="font-size:100%;"> <o:p></o:p>Léonora Miano est née en 1973 à Douala, sur la côte du Cameroun. C’est dans cette ville que se déroulent son enfance et son adolescence. Jusqu’en 1991 où elle part pour la France. Et c’est là qu’elle réside depuis.<span style=""> </span>Elle écrit ses premières poésies à l’âge de huit ans. A l’adolescence, elle aborde le roman. Mais elle attendra longtemps avant de proposer ses textes à des éditeurs, le temps dit-elle de « <i>posséder une écriture personnelle qui contienne son tempérament et restitue sa musique intérieure </i>». Elle a donc trente ans passés lorsqu’elle<span style=""> </span>publie son premier roman : <i>L’intérieur de la nuit</i> (2005). Suivront <i>Contour du jour qui vient</i> (2006) qui obtient le Goncourt des Lycéens, et <i>Tels des astres éteints</i> (2008), tous trois chez Plon. Son quatrième roman, <i>Les aubes écarlates,</i> <o:p></o:p></span><!--[endif]--> vient de paraître et il se fait déjà une large place dans les rubriques culturelles encombrées de la rentrée. Car Miano a un talent singulier et sa plume est à la fois âpre et passionnée. Cette jeune femme à la sensibilité à fleur de peau est habitée par les tourments identitaires du monde noir. Elle affirme qu’ « <span style="font-size:100%;"><i>être Africain de nos jours, c’est être un hybride culturel. C’est habiter la frontière </i>». Et c’est là qu’elle se tient, sur cette frontière, assumant la part d’ombre et la part de lumière qui est au coeur de toute aventure humaine.</span></p><span style="font-size:100%;"><span style="font-family: georgia; font-weight: bold; color: rgb(153, 51, 153);"></span></span> <p class="MsoNormal" style="margin-left: 18pt;"><span style="font-family: Georgia;"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin-left: 18pt;"><span style="font-family: Georgia;"><b><i>Les aubes écarlates</i></b></span><span style="font-family: Georgia;"><b> viennent clore le triptyque consacré à l’Afrique, <i>L’intérieur de la nuit </i></b></span><span style="font-family: Georgia;"><b>et <i>Contours du jour qui vient</i></b></span><span style="font-family: Georgia;"><b> formant ses deux premiers volets.<span style=""> </span>Miano y raconte le terrible parcours d’Epa, enfant soldat enrôlé de force dans les troupes d’Isilo, un chef de guerre mégalomane qui rêve de rendre sa grandeur à toute une région de L’Afrique équatoriale. Epa parvient à s’enfuir après avoir constaté que le quotidien de l’armée à laquelle il appartient, loin de ressembler à une libération, est fait de rapines, d’exécutions et de viols. Il traverse le Mboasu pour échouer à « La Colombe », un centre qui recueille les enfants abandonnés. Il livre alors un étrange récit : il dit avoir croisé à plusieurs reprises des ombres enchaînées demandant réparation pour les crimes du passé. Tout son périple est hanté par l’esprit des morts de la traite négrière. Prenant alors conscience des maux qui rongent l’Afrique, cette terre qui ne cesse de se faire souffrir elle-même, Epa se remettra en marche pour retrouver ses compagnons d’infortune et les rendre à leur famille, afin que soit enfin possible une paix durable. <o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin-left: 18pt;"><span style="font-family: Georgia;"><b>Ce roman pose mille questions passionnantes et difficiles, autour desquelles nous avons échangé avec Miano, au cours d’un entretien où l’on sent qu’elle est à vif, souvent sur la défensive, signe d’une très vive<span style=""> </span>sensibilité et d’un réel engagement. <o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin-left: 18pt;"><span style="font-family: Georgia;"><b><i><span style=""> </span><o:p></o:p></i></b></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin-left: 18pt;"><span style="font-family: Georgia;"><b><i><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></i></b></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin-left: 18pt;"><span style="font-family: Georgia;"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin-left: 18pt;"><span style="font-family: Georgia;"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin-left: 18pt;"><span style="font-family: Georgia;"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> </b><!--[endif]--><span style="font-size:100%;"><o:p></o:p></span></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin-left: 18pt;"><span style="font-size:100%;"><span style="font-family: Georgia;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin-left: 18pt;"><span style="font-size:100%;"><span style="font-family: Georgia;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin-left: 18pt;"><span style="font-size:100%;"><span style="font-family: Georgia;">Le choix du titre, ou plus précisément du sous-titre « Sankofa cry » est évidemment intriguant. Si on comprend le sens de Sankofa au fil de la lecture - vous y revenez maintes fois, l’expliquant de façon « théorique » ou de façon plus imagée, dans la bouche de Aïda qui en parle comme d’un oiseau - il reste que ce titre en trois langues différentes est énigmatique. Pouvez-vous expliquer ce choix ?<o:p></o:p></span></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><span style="font-family: Georgia;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><span style="font-family: Georgia;">Je reviens sur ce choix dans la postface du roman. Coupler un titre en français avec un sous-titre mêlant l’akan, langue parlée en Afrique de l’Ouest, et l’anglais dans lequel s’expriment de nombreuse populations d’ascendance africaine, vient de la volonté d'embrasser, le plus possible, les territoires et les populations concernés par la traite transatlantique. Pour moi, il est assez naturel de procéder ainsi, dans la mesure où je pense appartenir moi-même à différents espaces culturels. Il s’agit donc pour moi d’inscrire la création littéraire dans la réalité hybride - ou « <i>créolisée </i></span><span style="font-family: Georgia;">» pour reprendre le terme utilisé par Edouard Glissant - qui est bien celle de l’Afrique subsaharienne. Les peuples africains sont, eux aussi, enfants de la traite négrière. Elle a opéré en eux des mutations que la colonisation n’a fait qu’intensifier. Mon roman espère, à sa manière sciemment chaotique, le surgissement d’une nouvelle conscience diasporique. Qui ne peut s’opérer si l’on ne regarde pas en face ses propres ombres pour pouvoir les chasser. Sankofa cry est donc un appel au souvenir. <o:p></o:p></span></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin-left: 18pt;"><span style="font-size:100%;"><span style="font-family: Georgia;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin-left: 18pt;"><span style="font-size:100%;"><span style="font-family: Georgia;">Vous avez inscrit en exergue une très belle phrase d’Aimé Césaire : <i>« Or, comprenez, je ne vous donnerai pas quittance de vous-mêmes »</i></span><span style="font-family: Georgia;">. J’aimerai que vous la commentiez. <o:p></o:p></span></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><span style="font-family: Georgia;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><span style="font-family: Georgia;">La citation de Césaire a été choisie parce qu'il représente beaucoup pour moi.<span style=""> </span>Je ne serais pas l'auteur que je suis si je ne l'avais pas lu très tôt. Cette phrase me parait très explicite. Elle se passe vraiment de commentaire...<o:p></o:p></span></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><span style="font-family: Georgia;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin-left: 18pt;"><span style="font-size:100%;"><span style="font-family: Georgia;">La construction de votre roman est particulière, intercalant plusieurs voix, celle d’Epa, celle d’un narrateur extérieur, et une autre voix qui reste<span style=""> </span>plus indéfinie et qui parle au « nous » dans les parties nommées « Exhalaisons ». Cette voix interpelle, s’adresse. Il y a donc plusieurs « Exhalaisons » et d’autres parties, beaucoup plus longues, nommées « Latérite », « Embrasements », « Coulées ». Cette composition fait-elle référence à d’autres formes culturelles, africaines ou autres ?<o:p></o:p></span></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><span style="font-family: Georgia;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><span style="font-family: Georgia;">J'utilise le jazz, musique métisse par excellence, pour la construction de mes romans, bien que de manière différente à chaque fois: la polyphonie, la circularité, la répétition, la recherche d'un phrasé précis... sont autant de procédés que j’emprunte au jazz. A mon avis, bien des auteurs peuvent recourir à des procédés assez proches des miens, sans nécessairement se référer à cette musique. Dans ce roman néanmoins, les personnages ont été traités comme les instruments d'un orchestre. Chacun a sa voix, sa sensibilité. Le monologue d'Epa est un chorus vocal. En dehors des férus de théorie littéraire, je ne suis pas certaine que les lecteurs s’attacheront à ces questions de structure. Un roman doit d'abord leur raconter une histoire. J'espère qu'il y en a bien une dans <i>Les aubes écarlates</i></span><span style="font-family: Georgia;">.<o:p></o:p></span></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><span style="font-family: Georgia;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin-left: 18pt;"><span style="font-size:100%;"><span style="font-family: Georgia;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin-left: 18pt;"><span style="font-size:100%;"><span style="font-family: Georgia;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin-left: 18pt;"><span style="font-size:100%;"><span style="font-family: Georgia;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin-left: 18pt;"><span style="font-size:100%;"><span style="font-family: Georgia;">Vous donnez dans ce texte d’une grande puissance, un vision très âpre, très violente, presque désespérante du continent africain. Pourquoi cela ? Etes-vous sans espoir quant à l’avenir de l’Afrique, à ses « <i>lendemains confisqués </i></span><span style="font-family: Georgia;">» ?<o:p></o:p></span></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><span style="font-family: Georgia;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><span style="font-family: Georgia;">J'en ai un peu assez d'entendre ça... Un roman, ce n'est pas le Guide du Routard. On n’ écrit pas pour inciter les gens à voyager dans tel endroit ou dans tel autre. Les écrivains sont des artistes. Leur premier matériau est leur propre sensibilité. Il se trouve que la mienne, pour des raisons qui m'appartiennent, est un peu écorchée. J'écris comme on chante le blues.<o:p></o:p></span></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><span style="font-family: Verdana;"><br /></span><span style="font-family: Georgia;">Si j'avais perdu espoir concernant l'Afrique, cela signifierait que j'aurais cessé de croire en l'humain. Le monde n'existe pas, sans l'Afrique. Il est un corps indivisible. Lorsque les lendemains semblent confisqués dans un espace donné, ils le sont pour tous. Aucun de nous n'est vraiment libre, tant que nous ne le sommes pas tous. Si vous me posez cette question en ces termes, c'est que, contrairement à moi, vous ne vivez pas avec l'idée chevillée au corps qu'il n'y a qu'une humanité. Ce n'est pas d'un côté l'Afrique et de l'autre, le reste du monde.</span><span style="font-family: Verdana;"><br /></span><span style="font-family: Georgia;">Par ailleurs, si même on voulait supposer que mes écrits ne se rapportent pas au genre humain dans sa globalité, mais uniquement à la zone subsaharienne du continent appelé Afrique, je ne vois pas comment il serait possible de triompher des difficultés sans les regarder en face. Pour moi, nommer le mal, le circonscrire le plus clairement possible, c'est déjà le transcender. Je souhaite à tous les pays d'avoir des auteurs capables d'affronter l'ombre pour trouver la lumière. C'est un acte de foi: il faut être convaincu que la lumière existe au bout du tunnel, lorsqu'on décide de s'y aventurer.<o:p></o:p></span></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><span style="font-family: Georgia;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin-left: 18pt;"><span style="font-size:100%;"><span style="font-family: Georgia;">Vous revenez à plusieurs reprises, et de différentes manières, sur ce suprême <i>« péché continental </i></span><span style="font-family: Georgia;">» africain qui serait l’oubli. On a pourtant le sentiment, peut-être erroné puisqu’on n’y vit pas, que de multiples manières, les différents peuples africains sont très en lien avec leur mémoire, leur passé. Pouvez-vous vous expliquer là-dessus ?<o:p></o:p></span></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><span style="font-family: Georgia;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><span style="font-family: Georgia;">Je ne dis pas que tout a été oublié. Le roman parle des millions d'individus qui ont péri durant la traite négrière transatlantique, et qui n'ont pas de mémoire sur la terre de leurs ancêtres. Cet "oubli" est dû à des raisons objectives. A mes yeux, il s'agit d'une faute.<o:p></o:p></span></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><span style="font-family: Georgia;"><span style=""> </span><o:p></o:p></span></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin-left: 18pt;"><span style="font-size:100%;"><span style="font-family: Georgia;">Les deux personnages, Epa et Eso, sont-ils en quelque sorte comme des jumeaux ? Est-ce ce que vous avez voulu suggérer par la proximité de leurs prénoms ?<o:p></o:p></span></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><span style="font-family: Georgia;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><span style="font-family: Georgia;">Leurs prénoms sont proches parce que j'avais choisi ce procédé pour l'esthétique de <i>L'intérieur de la nuit,</i></span><span style="font-family: Georgia;"> roman antérieur à celui-ci, et dans lequel on les rencontre. Ils sont originaires du village d'Eku, où les noms masculins commencent tous par un E, et les noms féminins par un I. </span><span style="font-family: Verdana;"><br /></span><span style="font-family: Georgia;">En revanche, il y a bien un lien entre ces deux personnages. Pour moi, ce sont des frères ennemis ; les conflits qui les opposent miment les tensions bien connues entre Africains et Afrodescendants. Chacun est trop abîmé dans sa propre douleur pour accéder à celle de l'autre. Puis-je vous inviter à lire la page consacrée aux <i>Aubes écarlates</i></span><span style="font-family: Georgia;"> sur mon site web ? Je m’en explique plus amplement. <o:p></o:p></span></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><span style="font-family: Georgia;"><span style=""> </span><o:p></o:p></span></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin-left: 18pt;"><span style="font-size:100%;"><span style="font-family: Georgia;">Vous vivez en France depuis 1991. En me livrant à un rapide calcul, je constate que vous y avez donc vécu autant qu’au Cameroun. Au Cameroun même, vous avez vécu je crois dans un environnement « acculturé ». Pourquoi l’Afrique « traditionnelle », reste t-elle donc si présente dans votre écriture ?<o:p></o:p></span></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><span style="font-family: Georgia;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><span style="font-family: Georgia;">Je ne suis pas sûre de vous suivre quand vous dites: "<i>Afrique traditionnelle</i></span><span style="font-family: Georgia;">". Il me semble au contraire que ce roman se déroule en grande partie dans un espace urbain... Lorsque ce n'est pas le cas, les personnages circulent en jeep et manient des AK-47. Quant à la croyance aux esprits, à la capacité des morts à se manifester dans le quotidien des vivants, les films étasuniens en sont remplis. Tout simplement parce que les humains croient à ces choses, quelle que soit leur culture. L'Afrique qui est présente dans mes romans est métisse, parce que telle est la réalité de ce continent. L'Afrique "<i>traditionnelle</i></span><span style="font-family: Georgia;">", cohabite avec les téléphones portables. C'est bien le cas dans <i>Les aubes écarlates</i></span><span style="font-family: Georgia;">.<o:p></o:p></span></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><span style="font-family: Georgia;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin-left: 18pt;"><span style="font-size:100%;"><span style="font-family: Georgia;">Vous percevez-vous vous-même comme « africaine » ?<o:p></o:p></span></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><span style="font-family: Georgia;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><span style="font-family: Georgia;">Oui. Je suis noire - c'est à dire une personne attachée à l'histoire des peuples qui ont été désignés par ce terme, et attachée surtout aux luttes qui en ont découlé - , subsaharienne, et citoyenne française.<o:p></o:p></span></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><span style="font-family: Georgia;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin-left: 18pt;"><span style="font-size:100%;"><span style="font-family: Georgia;">La langue dans laquelle vous écrivez est un français relativement « classique », même si le texte est émaillé d’expressions linguistiques typiquement camerounaises. Ce choix d’écriture surprend. Voulez-vous le commenter ?<o:p></o:p></span></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><span style="font-family: Georgia;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><span style="font-family: Georgia;">Contrairement à d'autres auteurs subsahariens, je m'intéresse plus à faire éclater les structures classiques qu'à perturber la langue. J'écris dans un français accessible à tous les francophones, parce qu'il m'importe d'être comprise. Lorsque je veux être créative, m'exprimer en tant qu'artiste, je le fais avec la construction du texte. Cela dit, ma langue d’auteur n’est un français classique qu’en apparence. Les correcteurs des différentes maisons d’édition avec lesquelles j’ai collaboré le savent. Ma ponctuation n’est pas toujours orthodoxe. Elle cherche des rythmes non européens. Il y a toujours dans le soubassement de la phrase, une multitude d’autres langues. Celles dans lesquelles je ne pense pas, mais que je ressens. J’écris dans l’écho des cultures qui m’habitent : africaine, européenne, afro-américaine, caribéenne. Tout cela vient naturellement se loger dans le texte. Mon esthétique est donc frontalière. Elle utilise la langue française, mais ses références, les images qu’elle déploie sur la page appartiennent à d’autres sphères. Ma culture littéraire française est extrêmement limitée, et je n’en souffre pas. Point n’est besoin d’avoir lu Proust ou Céline pour écrire en français. <i>Ecrire en français</i></span><span style="font-family: Georgia;">, ce n’est pas <i>écrire français</i></span><span style="font-family: Georgia;">.<span style=""> </span><o:p></o:p></span></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><span style="font-family: Georgia;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin-left: 18pt;"><span style="font-size:100%;"><span style="font-family: Georgia;">Vous avez écrit, dans un texte que vous publiez sur votre site personnel, que si vous étiez bien une femme, vous n’étiez pas « <i>très sûre d’appartenir au genre féminin </i></span><span style="font-family: Georgia;">». Pouvez-vous clarifier ce que vous entendez par là ?<span style=""> </span><o:p></o:p></span></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><span style="font-family: Verdana;"><br /></span><span style="font-family: Georgia;">Il me suffit de lire un magazine féminin pour me poser des questions sur mon genre. La plupart du temps, je me sens très peu concernée par les choses qui intéressent les femmes, les européennes en particulier, mais les autres aussi finalement. Il ne m'est pas souvent arrivé de m'identifier à des femmes ou de me sentir comprise par elles. Donc, je vis dans un corps féminin que j'aime, mais je crois mon esprit tout à fait asexué.<o:p></o:p></span></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><span style="font-family: Georgia;">Le masculin et le féminin sont des catégories biologiques et des constructions sociales et culturelles. En tant que catégories biologiques, ils nous parlent des corps : être homme ou femme, c’est habiter un corps donné qu’on peut modifier de nos jours par la prise d’hormones ou par la chirurgie. En tant que constructions sociales, le féminin et le masculin se réfèrent à des traits comportementaux arbitrairement prêtés à l’un ou l’autre sexe. Et il me plaît généralement de produire des corps féminins habités par une énergie masculine (autorité, froideur, courage...) et des corps masculins perturbés par le féminin ( pleurs, crainte, usage hystérique de la violence...). L’identité sexuelle des personnages est donc frontalière. Elle réside dans l’entre-deux.<br /></span></span></p><p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><span style="color: rgb(153, 51, 153);">Publié dans l'Orient Littéraire de Décembre 2009.</span></span><br /><span style="font-family: Georgia;"><o:p></o:p></span></p> <!--EndFragment-->Georgia Makhloufhttp://www.blogger.com/profile/04834309551444366604noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1341314854360589444.post-6875531664339973652010-02-19T09:27:00.000-08:002010-02-19T09:33:36.776-08:00L’OULIPO : le jeu au secours du je ?<span style="color: rgb(102, 51, 102);">L’OULIPO, Ouvroir de Littérature Potentielle, a été fondé le 24 Novembre 1960 par Raymond Queneau, François le Lionnais et une dizaine de leurs amis écrivains, mathématiciens et peintres. L’Ouvroir s’apprête donc à fêter</span><span style="color: rgb(102, 51, 102);"> </span><span style="color: rgb(102, 51, 102);">ses 50 ans d’existence et pourtant il n’a pas pris une ride. Bien au contraire, il semble qu’il ait trouvé une nouvelle jeunesse (ou bien est-ce la recette d’une</span><span style="color: rgb(102, 51, 102);"> </span><span style="color: rgb(102, 51, 102);">jeunesse éternellement renouvelée ?) et ses travaux suscitent un engouement toujours plus grand. Enquête sur un phénomène littéraire plein de (bonnes) surprises. </span><o:p style="color: rgb(102, 51, 102);"></o:p><p></p> <p class="MsoNormal"><span style="color: rgb(102, 51, 102);font-size:100%;" ><i style="font-weight: bold;"><!--[if !supportEmptyParas]--><span style="font-family:georgia;"> </span></i></span><span style="font-size:100%;"><b><i><!--[endif]--><o:p></o:p></i></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><b><i><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></i></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><i>« Prenez un mot, prenez-en deux, faites cuire comme des oeufs, prenez un petit bout de sens puis un grand morceau d’innocence, faites chauffer à petit feu, au petit feu de la technique, versez la sauce énigmatique, saupoudrez de quelques étoiles, poivrez et puis mettez les voiles. Où voulez-vous donc en venir ? À écrire vraiment ? À écrire ? »<o:p></o:p></i></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;">Ainsi s’exprimait Queneau dont le propos était d’inventer<span style=""> </span>avec ses complices de nouvelles formes poétiques ou romanesques résultant d’un transfert de technologie entre mathématiciens et écriverons (sic). Ce sont ces préoccupations, au croisement du langage et des mathématiques, qui aboutirent à la création de « <i>100 000 milliards de poèmes </i><span style="font-style: normal;">». En composant dix sonnets de 14 vers chacun et en les combinant de façon méthodique, Queneau obtient 10<sup>14</sup> poèmes. <o:p></o:p></span></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;">L’Oulipo compte<span style=""> </span>aujourd’hui 35 membres, dont 13 excusés pour cause de décès. Car à l’Oulipo, on ne fait pas de distinction entre les vivants et les morts. Et si le groupe a réussi à survivre à la disparition des plus célèbres d’entre eux (R.Queneau, mais aussi G. Perec ou I.Calvino), c’est qu’il procède régulièrement à des co-optations qui se sont révélées d’excellents choix. Les nouveaux venus se sont parfaitement intégrés à l’esprit du groupe. Parmi les membres actuellement actifs, on citera Hervé Le Tellier, Paul Fournel ou Marcel Bénabou, secrétaire provisoirement définitif et définitivement provisoire. L’objectif néanmoins reste le même depuis le début de l’aventure : inventer des règles de composition poétique qui permettent de créer des oeuvres nouvelles et de dégager les potentialités, les ressources cachées, les richesses secrètes des oeuvres existantes.<span style=""> </span>L’activité éditoriale du groupe est très importante depuis 1992 avec la publication des fascicules de la <i>Bibliothèque Oulipienne </i><span style="font-style: normal;">chez Castor Astral, de </span><i>l’Abrégé de Littérature potentielle</i><span style="font-style: normal;"><span style=""> </span>chez1001 Nuits, ou de la toute récente </span><i>Anthologie de l’Oulipo</i><span style="font-style: normal;"> chez Gallimard. En outre, plusieurs de ses membres ont publié à titre personnel nombre de romans et recueils de poèmes qui rencontrent un succès qui va bien au-delà de leurs aficionados habituels. L’intérêt grandissant que suscite l’Oulipo s’observe également par leurs lectures publiques qui se multiplient et font salle comble : celles qui se tiennent tous les mois à la Bibliothèque Nationale par exemple, ou celle qui a eu lieu au Louvre il y a peu, à l’invitation d’Umberto Eco, sur le thème des listes et inventaires, et pour laquelle il était difficile de trouver un strapontin de libre. Le spectacle </span><i>« Pièces détachées »</i><span style="font-style: normal;">, créé il y a 4 ans, a été joué deux saisons successives à Avignon, longuement repris au Théâtre du Rond Point, et il tourne à présent partout en France et ailleurs.<span style=""> </span>Il faut également mentionner<span style=""> </span>les commandes publiques qui sont adressées aux oulipiens par des institutions ou des villes ( ils ont récemment créé une oeuvre littéraire spécifique pour le Tramway de Strasbourg) ou le colloque international qui est en préparation et qui aura lieu à la Sorbonne en Mai 2010. International en effet, car l’Oulipo traverse à présent les frontières et essaime partout en Europe mais aussi aux USA, au Canada et jusqu’en Australie. Notons enfin que le mouvement a fait des petits avec l’Oulipopo qui se préoccupe de littérature policière, l’Oupeinpo qui s’intéresse à la peinture, l’Oumupo qui se consacre à la musique comme l’Oucipo au cinéma. Mais où qu’ils se trouvent, les oulipiens se reconnaissent toujours dans la définition qu’a donnée d’eux leur illustre fondateur qui affirmait qu’ « </span><i>un oulipien est un rat qui construit lui-même le labyrinthe dont il se propose de sortir »,</i><span style="font-style: normal;"> un labyrinthe de mots, de sons, de phrases, de paragraphes, de chapitres, de livres, de bibliothèques, de prose, de poésie etc. <span style=""> </span><o:p></o:p></span></span></p> <p class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--><span style="font-size:100%;"> <o:p></o:p></span><!--[endif]--></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;">Mais l’Oulipo d’aujourd’hui est-il vraiment le même que celui des débuts ? M.Bénabou l’affirme sans hésitation, lui qui est là depuis 41 ans. Il souligne que les objectifs poursuivis restent <i>« l’exploration du langage et des possibilités que donne l’invention de nouvelles contraintes, de nouvelles structures formelles ». </i><span style="font-style: normal;">L’esprit ne s’est donc pas modifié, seule la renommée s’est élargie. Bénabou attribue le succès actuel à « </span><i>un rapport décontracté que nous entretenons au langage et à l’écriture. Nous avons désacralisé la littérature et l’écriture sans tomber dans l’esprit des chansonniers. Et de ce fait nous occupons une place particulière qui plait aux gens cultivés.» </i><span style="font-style: normal;">Car cet engouement, s’il est bien palpable, se fait néanmoins dans un cadre restreint, celui des amateurs de poésie et de jeux de langage qui trouvent dans la démarche oulipienne tout à la fois une dimension ludique et une réelle exigence, l’articulation du jeu à un vrai travail littéraire qui repose sur des références culturelles. Il existe donc une complicité forte entre auteurs et lecteurs oulipiens. Bénabou affirme d’ailleurs que le lecteur, </span><i>« s’il n’est pas d’emblée oulipien, devrait normalement le devenir peu à peu »</i><span style="font-style: normal;">. Il y a une </span><i>« formation préalable nécessaire »</i><span style="font-style: normal;"> pour apprécier véritablement les productions oulipiennes, ou du moins un état d’esprit. Ces textes ne s’adressent donc pas à n’importe qui et beaucoup de gens n’aiment pas qu’on désacralise ainsi le langage. </span><i>« Si nous sommes à présent devenus intouchables, nous étions très critiqués par le passé. On nous traitait d’amuseurs publics, de rigolos. On parlait à notre propos de Grenier de Montmartre. On nous reprochait de pratiquer une littérature populaire, ce qui est le contraire même de notre démarche puisque nos lecteurs doivent avoir, pour nous apprécier, un minimum de culture ».</i><span style="font-style: normal;"> Élitistes donc les oulipiens ? D’une certaine façon sans doute. Hervé Le Tellier préfère parler d’</span><i>une esthétique de la complicité ». « Lire un texte à contraintes exige un effort. C’est pourquoi il faut affirmer qu’il y a derrière tout texte oulipien le regard d’un lecteur lui-même oulipien ».</i><span style="font-style: normal;"> <o:p></o:p></span></span></p> <p class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--><span style="font-size:100%;"> <o:p></o:p></span><!--[endif]--></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;">On en vient donc à la question des « contraintes » à propos desquelles Perec disait : <i>« Au fond, je me donne des règles pour être totalement libre ». </i><span style="font-style: normal;">Paroles amplement commentées depuis. Les contraintes oulipiennes permettraient donc de se libérer du problème de l’expression de soi. Bénabou confirme que « </span><i>dès l’origine il est vrai, l’idée de faire appel à des modèles mathématiques, à des structures, était un moyen de sortir du tête-à-tête avec soi-même qui risquait d’être lassant ».</i><span style="font-style: normal;"> Et à propos duquel Jacques Roubaud écrit : </span><i>« La contrainte était un pharmakon, un remède (remède et poison, poison aussi) à la mélancolie du roman qu’éprouve le romancier dans une époque où la répétitivité maniaque des schémas éprouvés depuis déjà au moins deux siècles engendre l’ennui profond, passion fondamentale du XXe siècle </i><span style="font-style: normal;">».<span style=""> </span>Il y a donc bien pour les oulipiens ce constat que depuis 40 ou 50 ans, il se publie chaque année en France 600 à 700 romans dont très peu sont réellement lisibles. Il y a là quelque chose qui cloche et le recours à la contrainte est pensé comme remède à cette littérature qui </span><i>« tourne en rond et ne tourne pas rond ». </i><span style="font-style: normal;">Le jeu volerait ainsi au secours du je ? Bénabou<span style=""> </span>soutient que « </span><i>le recours à la contrainte n’interdit pas le je. Le moi s’accommode de tout, même de la contrainte. Simplement, on ne dit pas les choses directement mais au travers d’une grille ». </i><span style="font-style: normal;">Et il ajoute :</span><i>« Quand Perec choisit la contrainte du lipogramme (texte où l’on se passe d’une lettre) ou des alphabets restreints, il choisit des contraintes qui reposent toutes sur le manque. Or le manque est le drame de Perec, manque de mère, de famille, de communauté d’identification. Le choix de cette contrainte est une façon pour lui d’être au coeur de son moi ». </i><span style="font-style: normal;">Y compris à son insu.<o:p></o:p></span></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;">Il arrive que l’on parle des oulipiens comme de chercheurs. Car ils sont en effet de véritables explorateurs du langage, qui se sont souvent aventurés dans les espaces du <i>« langage cuit »</i><span style="font-style: normal;"> selon l’expression de Desnos, c’est-à-dire les clichés, expressions, formules, proverbes et dictons qui forment un véritable trésor au sein de la langue française. </span><i>« J’ai trouvé dommage que ce réservoir reste figé, </i><span style="font-style: normal;">explique Bénabou</span><i>, et j’ai emprunté la démarche de Desnos pour défiger la langue »</i><span style="font-style: normal;">. Cette démarche repose sur le principe de la substitution. Par exemple, partant d’un aphorisme de Klausewitz, Bénabou conserve la structure de la phrase et, en apportant un vocabulaire nouveau, fabrique quantité d’autres aphorismes. Au point d’en confier la fabrication à une machine, un programme informatique. Ce recours à la machine a de quoi troubler : peut-on ainsi mettre de côté la question du sens et explorer le langage à travers de purs exercices formels ? À quoi Bénabou répond qu’il ne s’agit pas d’être esclave de ce que l’on produit et que le sens intervient au moment de la sélection des aphorismes que l’on conservera. Mais que l’on pourra aussi faire le choix du non-sens. <o:p></o:p></span></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;">L’Oulipo, qu’est-ce que c’est finalement ? Une avant-garde ?<span style=""> </span>Un mouvement littéraire ? Une société secrète ? La question ne le surprend pas et Bénabou répond sans hésiter qu’il s’agit avant tout d’ <i>« une bande de copains qui ont des intérêts communs et notamment un regard sur la littérature et le langage et le goût de l’exploration ».</i><span style="font-style: normal;"> Nous sommes à la bibliothèque de l’Arsenal qui abrite les archives de l’Oulipo et qui leur offre un cadre de réunion. Quoiqu’ils préfèrent souvent aller au restaurant...<span style=""> <br /></span></span></span></p><p style="color: rgb(102, 51, 102);" class="MsoNormal"><br /></p><p class="MsoNormal"><span style="color: rgb(102, 51, 102);">Publié dans l'Orient Littéraire de Février 2010.</span><br /><span style="font-size:100%;"><span style="font-style: normal;"><span style=""></span><o:p></o:p></span></span></p> <p class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--><span style="font-size:100%;"> </span><!--[endif]--><o:p></o:p></p> <!--EndFragment-->Georgia Makhloufhttp://www.blogger.com/profile/04834309551444366604noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1341314854360589444.post-4550897269744583372010-02-04T13:41:00.000-08:002010-02-04T13:51:43.717-08:00Marie Ndiaye : la puissance et la subtilité.<span style="font-weight: bold; color: rgb(102, 51, 102); font-family: georgia; font-style: italic;font-size:85%;" >Marie Ndiaye est née à Pithiviers en 1967, d’un père sénégalais et d’une mère française. Elle est la soeur de Pap Ndiaye, historien et maître de conférences à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales et l’épouse de l’écrivain Jean-Yves Cendrey. Elle fait des études de linguistique à la Sorbonne et</span><span style="font-weight: bold; color: rgb(102, 51, 102); font-family: georgia; font-style: italic;font-family:georgia;font-size:85%;" > </span><span style="font-weight: bold; color: rgb(102, 51, 102); font-family: georgia; font-style: italic;font-size:85%;" >obtient une bourse qui lui</span><span style="font-weight: bold; color: rgb(102, 51, 102); font-family: georgia; font-style: italic;font-family:georgia;font-size:85%;" > </span><span style="font-weight: bold; color: rgb(102, 51, 102); font-family: georgia; font-style: italic;font-size:85%;" >permet de passer un an à la Villa Médicis à Rome. Ndiaye s’est mise à l’écriture très tôt, vers l’âge de douze ans. Elle publie son premier roman à dix-sept ans, « Quant au riche avenir </span><span style="font-style: italic; font-weight: bold; color: rgb(102, 51, 102); font-family: georgia;font-family:georgia;font-size:85%;" >», aux Editions de Minuit. « </span><span style="font-weight: bold; color: rgb(102, 51, 102); font-family: georgia; font-style: italic;font-size:85%;" >En famille </span><span style="font-style: italic; font-weight: bold; color: rgb(102, 51, 102); font-family: georgia;font-family:georgia;font-size:85%;" >» (1990) connaît un certain succès, mais la consécration vient en 2001 avec « </span><span style="font-weight: bold; color: rgb(102, 51, 102); font-family: georgia; font-style: italic;font-size:85%;" >Rosie Carpe </span><span style="font-style: italic; font-weight: bold; color: rgb(102, 51, 102); font-family: georgia;font-family:georgia;font-size:85%;" >» qui remporte le prix Femina. Si Ndiaye est surtout une romancière, elle a également écrit pour le théâtre et sa pièce « </span><span style="font-weight: bold; color: rgb(102, 51, 102); font-family: georgia; font-style: italic;font-size:85%;" >Papa doit manger</span><span style="font-style: italic; font-weight: bold; color: rgb(102, 51, 102); font-family: georgia;font-family:georgia;font-size:85%;" > » est entrée au répertoire de la Comédie Française. Elle a également écrit des nouvelles, des textes pour la jeunesse et a participé à l’écriture du scénario du film de Claire Denis, « </span><span style="font-weight: bold; color: rgb(102, 51, 102); font-family: georgia; font-style: italic;font-size:85%;" >White material </span><span style="font-style: italic; font-weight: bold; color: rgb(102, 51, 102); font-family: georgia;font-family:georgia;font-size:85%;" >». <o:p></o:p></span> <p style="color: rgb(102, 51, 102); font-style: italic; font-family: georgia;font-family:georgia;" class="MsoNormal"><span style="font-size:85%;"><span style="font-weight: bold; color: rgb(102, 51, 102); font-style: italic;">Son dernier roman « Trois femmes puissantes </span><span style="font-style: normal;"><b><span style="font-weight: bold; color: rgb(102, 51, 102); font-style: italic;">»</span><span style="font-weight: bold; color: rgb(102, 51, 102); font-style: italic;"> </span><span style="font-weight: bold; color: rgb(102, 51, 102); font-style: italic;">qui vient de paraître chez Gallimard est cité comme l’un des grands favoris dans la course aux prix littéraires. Il raconte l’histoire de Norah, brillante avocate qui vit en France et qui est appelée à l’aide par son père depuis le Sénégal pour défendre son propre frère ; de Fanta dont on découvre l’histoire dans le regard de son mari qu’on suit durant une journée entière ; et de Khady, une jeune fille qui tente de quitter la misère de Dakar pour rejoindre l’Europe au cours d’un périple difficile et tragique. Le roman séduit d’emblée par son écriture maîtrisée, à la fois introspective et précise, et par l’originalité de sa composition. Ce triptyque adopte en effet une construction quasi musicale, où les trois parties sont reliées par des thèmes et des motifs récurrents. À la fin de chaque partie, un contrepoint permet de se détacher un instant de la vision du personnage principal pour aborder, ne serait-ce que de façon fugace, un autre point de vue. Nous avons pu nous entretenir avec cette romancière discrète et subtile, dont la voix s’affirme avec puissance et douceur mêlées.</span><br /><span style=""> </span><o:p></o:p></b></span></span></p> <p style="font-family: georgia; font-style: italic;" class="MsoNormal"><span style="font-size:85%;"><b><!--[if !supportEmptyParas]--><span><span style="color: rgb(102, 51, 102);"> </span></span><!--[endif]--><o:p></o:p></b></span></p> <p style="font-family: georgia; font-style: italic;" class="MsoNormal"><span style="font-size:85%;"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><b>Vous avez commencé à écrire très tôt, vers l’âge de 12 ans. Comment s’est fait le passage à l’écriture à cet âge-là ? Y a t-il des circonstances particulières qui vous y ont amenée ?<o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal">J’y suis venue très naturellement, de la façon dont les enfants font les choses, dans la spontanéité d’un désir. J’étais une très grande lectrice. J’ai eu envie de reproduire, de créer à mon tour l’un de ces objets qui me plaisaient tant. Cela s’est donc fait dans le prolongement de la lecture. Et c’était une chose assez habituelle, que les filles écrivent des histoires, des poèmes, un journal intime. Aujourd’hui, ça passerait peut-être davantage à travers Internet ou des blogs, mais à l’époque...<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal">J’ai écrit de façon continue depuis l’âge de 12 ans. Vers 15/16 ans, je suis passée à des choses plus longues. Mes influences littéraires étaient très classiques, Proust et Flaubert tout d’abord, puis très vite les grands de la littérature américaine, Faulkner, Carson Mc Cullers ou Hemingway. <o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal"><b>Votre rapport à l’écriture s’est néanmoins transformé au fil des ans, depuis « <i>Comédie classique </i></b><span style="font-style: normal;"><b>» où vous vous lancez comme un défi, celui d’écrire un roman en une seule phrase, jusqu’à votre dernier livre de facture plus classique.<o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal">Oui, le temps a passé. J’avais 19/20 ans lorsque j’ai écrit « <i>Comédie classique »</i><span style="font-style: normal;">. J’en ai 22 de plus aujourd’hui. Donc les choses changent, la maturité vient. J’étais à l’époque très intéressée par les jeux formels d’écriture à la manière des oulipiens. Je n’imaginerai plus écrire comme ça aujourd’hui, je n’ai plus envie de jouer avec la grammaire ou la syntaxe.<o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal">Quelque chose s’est apaisé dans mon rapport à l’écriture, j’ai acquis plus d’assurance, mais surtout, plus d’expérience humaine. Les jeux d’écriture permettent sans doute de compenser le peu d’expérience de la vie. Je n’en ai plus besoin maintenant.<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><b>Vous avez écrit outre des romans, des pièces de théâtre, des livres pour la jeunesse, un scénario de cinéma ; vous avez même écrit à deux, avec votre compagnon, Jean-Yves Cendrey. Ces différents genres d’écriture correspondent-ils pour vous à des processus différents, des tempos différents ?<o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal">Ce qui est différent se situe sur le plan technique, sur le plan des contraintes qui ne sont pas identiques et qui peuvent être plus ou moins lourdes ou enfermantes. Mais le geste créatif est<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal">le même. <o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal">Pour le cinéma par exemple, nous avons écrit à deux, avec Claire Denis mais c’était son histoire. Le cinéma impose tant de contraintes, de longueur, de composition, de dialogues, qui nécessitent un vrai travail de groupe. Ce n’est donc pas à proprement parler un travail littéraire. Mais pour toutes les autres formes d’écriture, cela procède pour moi de la même chose. Cela dit, écrire pour le théâtre m’a apporté beaucoup de plaisir. Il y a quelque chose de plus rapide, de plus simple, de moins encombré dans l’écriture d’une pièce. Je peux écrire davantage d’une seule traite.<br />Quant à l’écriture à deux, j’en ai fait l’expérience avec Jean-Yves Cendrey, mais nous n’avons pas écrit au même moment. Il avait écrit une sorte de « <i>Lettre au père </i><span style="font-style: normal;">» inspirée de Kafka, dans laquelle un fils accuse son père de toutes sortes de maux. J’ai repris ce texte et je l’ai interrompu en de nombreux endroits pour faire intervenir la voix du père, pour permettre au père de répondre. <o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><b>Une autre chose a également changé dans votre écriture au fil du temps : le recours au merveilleux, l’intervention de phénomènes étranges, extra – ordinaires, qui étaient fréquents autrefois, se sont faits plus discrets dans votre dernier livre. <o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal">Ça aussi c’est une évolution. On n’a pas envie de refaire les mêmes choses, et je ne sais pas non plus vers quoi mon écriture me mènera par la suite. En tout cas, il m’importait de rester ancrée dans la réalité pour ce dernier livre. Je ressentais que l’intervention de l’étrange ou du merveilleux nuirait à mon récit, que le poids de l’histoire s’en ressentirait. C’est surtout vrai pour la troisième histoire du livre, l’histoire de Khady.<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><b>Vous avez pourtant déclaré ne pas être à l’aise dans le réalisme. Et il subsiste dans votre dernier livre quelques éléments d’étrangeté.<span style=""> </span><o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal">En effet, je ne suis pas à l’aise dans le réalisme strict. J’essaie toujours de l’auréoler d’un peu de merveilleux. Dans ce dernier livre par exemple, les personnages sont en proie à des « <i>démons</i><span style="font-style: normal;"> », des forces maléfiques qui s’incarnent par moments dans des oiseaux, porteurs d’une certaine charge symbolique. Les oiseaux sont d’ailleurs comme un fil musical qui relie les trois histoires. Ils représentent des choses différentes chaque fois. Dans le premier récit, ils renvoient au père terrible ; dans le deuxième, la buse est comme l’envoyée de la femme, Fanta, qui adresserait un message à Rudy, son mari ; dans le troisième récit, ils ont une présence diffuse, jamais rassurante, sauf à la toute fin où Khady se transforme en oiseau. Et je dois dire que j’aime bien cette image de l’oiseau qui représente tout à la fois la menace de mort et la liberté sans limites.<span style=""> </span><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal">Peut-être qu’un jour, je pourrai être dans un réalisme absolu, sans échappatoire aucune. Et j’avoue qu’en tant que lectrice, j’aime le réalisme absolu. <o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><b>Un peu comme vos personnages, vous vous êtes vous-même beaucoup déplacée, déménageant souvent, jusqu’à Berlin où vous vivez aujourd’hui. À quelle nécessité cela répond-il ? <o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal">Disons qu’au bout d’un certain temps dans un lieu, nous avons Jean-Yves et moi l’impression d’avoir épuisé ce lieu. On marche beaucoup tous les deux, on parcourt à pied des kilomètres, et dans toutes les directions. Au bout d’un moment, on ressent le besoin de renouveler les promenades, les paysages, les histoires qui sont nos sources d’inspiration. À Bordeaux ou en Normandie, on est resté un certain temps quand même, on n’est pas si nomades, mais au bout de quatre ans à peu près, on a l’envie d’aller voir ailleurs. Berlin sera peut-être une étape plus longue. Nous faisons de gros efforts pour nous y intégrer, pour apprendre la langue, pour s’imprégner de la culture. Il faudra donc se laisser le temps de profiter de l’aisance qu’on aura acquise, de cueillir les fruits de nos efforts. <o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><b>Revenons à votre dernier livre et avant tout à son titre qui ne peut manquer d’intriguer lorsqu’on a lu le récit ou plutôt les trois récits qui le composent. Vous parlez en effet de « <i>Trois femmes puissantes </i></b><span style="font-style: normal;"><b>» alors qu’on a plutôt le sentiment que ces femmes sont fragiles, désorientées, et traversent des choses très difficiles. À quoi tient leur puissance ?<o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal">Quand j’ai cherché un titre à ce livre, il m’est apparu important qu’on ne perçoive pas ces femmes comme des victimes, comme des malheureuses, mais comme des femmes certes en butte à des épreuves, surtout pour la troisième d’entre elles, mais qui, même au coeur de ces difficultés, n’ont pas de doute sur qui elles sont profondément. Elles sont certes menacées, mais il y a en elles un noyau dur<span style=""> </span>irréductible. Khady par exemple est inaccessible au sentiment d’humiliation parce qu’elle ne se considère jamais comme un être inférieur, et ce même si les autres la voient comme misérable, même si elle subit des humiliations. Elles ont toutes trois en elles une sécurité quant à leur identité, et ce non seulement en tant que femmes mais en tant qu’êtres humains. Elles ne doutent jamais de leur valeur même dans les moments où cette humanité leur est déniée.<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><b>Et face à elles, les hommes font défaut. Ils sont faibles lâches, violents...<o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal">Je n’en suis pas si sûre. Rudy par exemple est un homme qui aspire à être un type bien et rien que cela en fait un homme digne de certains éloges. Il n’est pas mauvais, il a ses lâchetés, mais il a aussi ses moments de bonté. Il y a en lui cette aspiration à s’améliorer ; la vie ne lui facilite pas la tâche, mais cela suffit pour en faire à mes yeux quelqu’un de bien. De même le garçon qui vole dans le troisième chapitre : je ne sais pas si c’est un acte absolument condamnable. Évidemment, voler est mal, mais que ferait-on soi-même quand sa propre vie est en danger ? <o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><b>Le père de Norah est néanmoins un père déficient. Et Rudy n’est pas vraiment à son aise dans sa relation avec Djibril, son fils. Pourquoi tant de mauvais pères, ici comme ailleurs dans votre oeuvre ?<span style=""> </span><o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal">Ils sont en effet de mauvais pères pour des raisons différentes. Le premier parce qu’il assume assez froidement le fait de ne pas aimer tous ses enfants, et même de n’en aimer qu’un et de mal l’aimer. L’autre père, Rudy, a du mal avec ça, il souffre de ne pas ressentir d’amour immédiat.<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal">Le thème des rapports filiaux et plus généralement des rapports familiaux est pour moi une matière romanesque énorme, véritablement inépuisable. La famille est un concentré de tous les sentiments humains ; amour, haine, jalousie, ambivalence, toute la gamme des sentiments peut être explorée au sein de la cellule familiale.<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><b>Faut-il voir dans cette figure du père indigne une dimension métaphorique, une façon de parler de l’Afrique, de critiquer le pouvoir patriarcal et les abus de pouvoir de ses dirigeants ? <o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal">C’est en effet une hypothèse intéressante. Quand j’écris un roman, je ne me pose pas la question des thèmes, ou des significations de mes récits. Des choses se mettent en place sans que j’en aie forcément conscience. Je ne maîtrise pas tout, loin de là et heureusement, car ainsi, je laisse mes lecteurs libres de leurs interprétations.<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><b>Vos personnages, ici comme dans d’autres livres plus anciens, sont entre deux continents. Ils se déplacent, mais leurs déplacements sont difficiles, malaisés. Pourquoi cela ?<span style=""> </span><o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal">Parce que l’exil est une chose difficile ! Le thème de l’exil unit les trois récits de mon dernier livre. Les personnages sont tous en situation de déstabilisation ; ils trouvent là où ils arrivent un endroit décevant ou inhospitalier. J’avais en effet envie de montrer ce que vivent et souffrent ces gens qui tentent l’exil vers l’Europe, qui traversent des épreuves inimaginables d’horreur et de brutalité et qui se montrent d’une vaillance inouïe. Pour moi, ils sont vraiment des héros.<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><b>Ces personnages qui viennent à vous dans votre écriture, est-ce à partir de personnes que vous avez côtoyées réellement, que vous avez interrogées, que vous les construisez ?<o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal">Disons qu’il s’agit d’un mélange des gens côtoyés et d’autres dont je lis les histoires. J’écoute des émissions de télé-réalité, je lis énormément de faits divers, tout me sert. Je re-compose, j’utilise tout ce matériau de telle façon que personne ne puisse se reconnaître. Je n’écris la vie réelle de personne, mais je m’en inspire. Par exemple en Gironde où nous habitions, nous avions un jeune voisin cuisiniste avec qui j’ai beaucoup discuté. Cette rencontre a été une source d’inspiration déterminante pour construire le personnage de Rudy.<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><b>Est-ce que l’Afrique réelle est également une source d’inspiration pour vous, qui vous inspire certains de vos récits ?<o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal">Non, pas vraiment. Je connais très mal l’Afrique. Je m’y suis rendue en repérage il y a trois ans avec Claire Denis et auparavant, quelques fois pour des vacances, mais jamais pour plus de trois semaines de rang. Mon père est sénégalais, mais n’ayant jamais vécu avec mon père, ni en Afrique, je n’ai pas de double appartenance, de double culture et c’est un grand regret pour moi. Je n’ai vécu qu’en France et j’ai baigné dans un univers culturel qui n’était que français. C’est pourtant une si grande richesse que d’avoir une double culture !<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><b>Vous avez choisi de vivre en province ou à l’étranger, cultivant ainsi une grande discrétion, et vous tenant à l’écart des milieux littéraires parisiens. Pourquoi cela ?<o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal">Je ne vis plus à Paris depuis vingt-trois ans, moins par volonté de me tenir à l’écart, ou de cultiver un certain isolement pour les besoins de mon écriture, que parce que nous n’avions pas envie d’élever nos enfants à Paris. Je ne porte pas de regard critique sur les milieux littéraires français et je me sens des affinités avec certains écrivains tels que Laurent Mauvignier, Véronique Ovaldé, Jean-Philippe Toussaint, Pierre Michon ou Régis Jauffret que je lis avec un immense plaisir. <o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><b>Il y a quelques années, vous avez déclaré dans un entretien : <i>« J’attends de la littérature qu’elle me sorte du réel. Le réel est incompréhensible, absurde et la littérature le clarifie et le transfigure »</i></b><span style="font-style: normal;"><b>. Diriez-vous encore cela aujourd’hui ? Attendez-vous toujours de la littérature qu’elle vous sorte du réel ? <o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal">Je ne dirais plus tout à fait ça. Presque au contraire, j’attends de la littérature qu’elle m’explique le réel, non pas qu’elle me le transmette, comme le font la télévision ou les journaux, mais qu’elle m’aide à le comprendre. La littérature peut transformer des histoires navrantes et tristes en récits, tristes encore, mais sublimés, et qui nous aident à comprendre le monde.<span style=""> <br /></span></p><p class="MsoNormal"><span style=""><br /></span></p><p class="MsoNormal"><span style=""><span style="font-size:100%;"><span style="color: rgb(153, 51, 153);">Entretien publié dans l'</span><span style="font-style: italic; color: rgb(153, 51, 153);">Orient Littéraire</span><span style="color: rgb(153, 51, 153);"> de Novembre 2009. </span></span> </span><o:p></o:p></p> <!--EndFragment-->Georgia Makhloufhttp://www.blogger.com/profile/04834309551444366604noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1341314854360589444.post-64606419173165113252010-02-04T13:26:00.000-08:002010-02-04T13:40:59.513-08:00Trouillot : « Le seul roman qui vaille est celui de la rencontre ».<span style="color: rgb(153, 51, 153); font-style: italic; font-family: webdings;font-family:georgia;font-size:100%;" ><span style="color: rgb(153, 51, 153);">Romancier et poète, Lyonel Trouillot est né en 1956 à Port-au-Prince, en Haïti. Il publie ses premiers poèmes et textes critiques à quinze ans,</span></span><span style="color: rgb(153, 51, 153); font-style: italic; font-family: webdings;font-family:georgia;font-size:100%;" > </span><span style="color: rgb(153, 51, 153); font-style: italic; font-family: webdings;font-family:georgia;font-size:100%;" ><span style="color: rgb(153, 51, 153);">dans des revues de la diaspora haïtienne, alors qu’il vit aux Etats-Unis avec sa famille. Puis c’est le retour au pays. Il a dix-neuf ans et il écrit « Dépalé »</span></span><span style="font-family: webdings;font-family:Georgia;font-size:100%;" ><span style="color: rgb(153, 51, 153); font-style: italic;"><span style="color: rgb(153, 51, 153);">, son premier recueil de poèmes en créole, en collaboration avec son ami Richard Narcisse. Ce livre à la fois contestataire et expérimental va devenir, à leur grande surprise à tous deux, un classique de la poésie créole. Depuis, Trouillot n’a cessé de s’engager dans la vie culturelle et littéraire de son pays. Enseignant à l’Ecole Normale Supérieure, co-fondateur</span></span><span style="color: rgb(153, 51, 153); font-style: italic;"> </span><span style="color: rgb(153, 51, 153); font-style: italic;"><span style="color: rgb(153, 51, 153);">et/ou rédacteur en chef de nombreuses revues, animateur de rencontres littéraires et d’ateliers d’écriture,</span></span><span style="color: rgb(153, 51, 153); font-style: italic;"> </span><span style="color: rgb(153, 51, 153); font-style: italic;"><span style="color: rgb(153, 51, 153);"> éditeur au service des jeunes auteurs haïtiens, cet infatigable agitateur poursuit dans le même temps son chemin d’écriture avec une oeuvre abondante et de première importance, en créole et en français. Il est également membre du jury du prix des Cinq Continents de la francophonie et co-président de l’association Etonnants Voyageurs Haïti. Notons enfin qu’il est l’un des membres les plus actifs du collectif « Non » qui s’est créé fin 2003 au moment des événements tragiques qui ont abouti à la chute de la dictature d’Aristide, et qui reste très engagé sur le front de la résistance à la dictature et</span></span><span style="color: rgb(153, 51, 153); font-style: italic;"> </span><span style="color: rgb(153, 51, 153); font-style: italic;"><span style="color: rgb(153, 51, 153);">de la reconstruction démocratique. En France, son oeuvre</span></span><span style="color: rgb(153, 51, 153); font-style: italic;"> </span><span style="color: rgb(153, 51, 153); font-style: italic;"><span style="color: rgb(153, 51, 153);">est publiée par Actes Sud. </span></span><o:p></o:p></span><p style="font-family: webdings;"></p> <p style="font-family: webdings;" class="MsoNormal"><span style=";font-size:100%;" ><!--[if !supportEmptyParas]--><span style="color: rgb(153, 51, 153); font-style: italic;"> </span><!--[endif]--><o:p></o:p></span></p> <p style="font-family: webdings;" class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;">Il dit qu’il n’a pas souvenir de quand ou comment il a commencé à écrire, parce qu'il n'a pas souvenir de lui n’écrivant pas.</span><span style=";font-size:100%;" > </span><span style="font-size:100%;">Les journaux scolaires, un concours lancé par la Croix-Rouge haïtienne, des poèmes, tous les prétextes sont bons pour manier la plume. Sa mère, nous raconte t-il, ne disait-elle pas qu’il avait « <i>commencé à mentir à l’âge de six ans » ?<span style=""> </span></i>De son premier recueil, il dit que la posture était à l’époque iconoclaste et militante. Car comment pouvait-on se piquer d’écrire en créole, cette langue qui n’en n’était pas vraiment une ? « <i>Tu perds ton temps </i>» lui</span><span style=";font-size:100%;" > </span><span style="font-size:100%;">répète t-on. Pas tant que ça finalement, puisque « Dépalé », qui signifie déparlé, rencontre un immense écho, totalement inattendu pour lui qui en avait oublié une partie des exemplaires chez l’imprimeur. Suivra un premier roman « <i>Les fous de Saint Antoine »</i>, publié à Port-au-Prince en 1989. Puis ce sera le début de l’aventure Actes Sud. Il aime souligner que ce n’est pas lui qui est allé vers eux mais que « <i>ce sont eux qui sont venus vers moi ». </i>Car il était quasiment impensable pour les écrivains haïtiens d’envoyer leurs manuscrits à des éditeurs français tant était ancrée en eux l’évidence de s’adresser à un lectorat haïtien, avec les moyens haïtiens. <i>« Mon public favori, c’est les haïtiens. C’est du lecteur haïtien dont je me sens proche. Et quand je parle de proximité, je parle d’une relation faite tout à la fois d’affection et de colère » </i>précise t-il. <i>« Rue des pas perdus »,</i> son premier roman publié en France était déjà paru en Haïti. Être publié en France n’a en rien modifié la relation forte qu’il entretient avec la réalité et le lectorat haïtiens. Et c’est vrai aussi pour tous ses camarades écrivains. Pour eux tous, lorsqu’un de leurs livres parait à l’étranger avant d’être publié au pays, ils le « rapatrient » en accord avec l’éditeur étranger, c’est-à-dire qu’ils le publient en Haïti à un coût très inférieur, et accessible au lecteur haïtien dont le salaire minimum est de moins de 5$ par jour. <o:p></o:p></span></p> <p style="font-family: webdings;" class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;">Il n’aime pas que l’on rappelle qu’Haïti est un des pays les plus pauvres du monde. Il concède que c’est vrai, mais ajoute que c’est simpliste. Car Haïti est surtout un pays de contrastes et d’inégalités sociales criantes. Et c’est de cela qu’il se saisit dans ses romans, non pas qu’il écrive des romans à thèses, mais qu’il aborde cette question de l’organisation sociale « <i>parce qu’elle produit du mal vivre </i>». <o:p></o:p></span></p> <p style="font-family: webdings;" class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;">Son rapport avec la réalité haïtienne est donc primordial. Il lui plait de dire qu’il n’a pas d’imagination et que tout ce qu’il écrit est fidèle à la réalité. Toutes les phrases qu’il met dans la bouche de ses personnages, en particulier ceux d’entre eux qui sont issus de la bourgeoisie haïtienne, il les a entendues. « <i>Ca tient parfois du reportage. La réalité est suffisamment riche, pas besoin d’inventer </i>». La fiction est pour lui « <i>une vérité de la réalité, une certaine façon d’assembler le réel dans un récit de telle sorte que le lecteur y trouve une vérité ».</i> Il cite à ce propos « <i>Les raisins de la colère </i>»</span><span style=";font-size:100%;" > </span><span style="font-size:100%;">de Steinbeck, découvert à l’âge de douze ou treize ans et qui le bouleverse. « <i>Ce livre m’a donné à voir quelque chose. Cette famille, sa traversée, ses souffrances, j’ai vu tout cela. Et ce que j’y ai vu est devenu tellement fort que je l’ai vécu comme quelque chose de vrai. De vrai et d’inacceptable </i>». Il dit que si on n’apprend pas à regarder, on ne peut pas donner à voir. Et que c’est pour cela qu’il écrit, « <i>pour apprendre à regarder </i>».<i><span style=""> </span></i>Il dénonce aussi le fait que certaines catégories de personnes soient peu représentées en littérature. « <i>Le spectacle de la richesse et de l’introspection de ceux qui n’ont pas faim, tel est le sujet dominant de la littérature contemporaine </i>». Et lui veut montrer les autres, les exclus, les invisibles. <o:p></o:p></span></p> <p style="font-family: webdings;" class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;">La question des inégalités revient sur le devant de la scène lorsqu’on aborde avec lui</span><span style=";font-size:100%;" > </span><span style="font-size:100%;">la question sensible des langues car tous les haïtiens n’ont pas accès à la langue française. Cet accès se fait soit par l’école où l’enseignement est aujourd’hui assuré dans les deux langues soit, pour les élites, par le milieu familial. Mais dans un pays où le taux d’analphabétisme est de 50%, on comprend que seul le créole est parlé par la majorité et que l’accès au Français est un combat. « <i>Le bilinguisme pour moi n’est pas une tragédie mais au contraire un grand bonheur. Je n’ai aucun fétichisme de la langue. Mais il faut prendre acte d’un phénomène historique qui est le mépris des élites pour le créole. Il est donc important d’écrire en créole car tout peuple a le droit d’écrire dans sa langue. Mon rêve est que tous les haïtiens deviennent bilingues. Le Français fait partie de notre patrimoine culturel, mais il a été pris en otage par les élites ».</i><o:p></o:p></span> </p> <p style="font-family: webdings;" class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;">Trouillot écrit donc dans les deux langues. On l’interroge sur la façon dont s’opère pour lui le choix entre les deux. Il répond que c’est <i>« le texte qui commande la langue. Il m’arrive d’en commencer un en créole et d’être rattrapé par le Français et inversement </i>». Ainsi<i> « Les enfants des héros » </i>dont il avait écrit trente pages en créole. Il s’aperçoit que ça ne fonctionne pas et peine à trouver la solution jusqu’au jour où une première phrase vient à lui en français et charrie avec elle tout le texte.<o:p></o:p></span></p> <p style="font-family: webdings;" class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;">Il s’inquiète par ailleurs d’une <i>« perte de langue »</i>, en Haïti comme partout dans le monde. Appauvrissement lexical, disparition des propositions subordonnées et simplification des structures, absence de mémoire littéraire, les manifestations de cette perte sont nombreuses, dans les médias, sur la scène politique et même dans les sphères de la culture où certains textes de rap par exemple, sont marqués par un enfermement lexical alors qu’ils se réclament d’une grande liberté d’expression.<o:p></o:p></span></p> <p style="font-family: webdings;" class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;">Il déplore aussi que nombre d’individus soient placés dans des situations où ils ont accès à très peu de langage. La ghettoïsation est donc tout autant affaire de pauvreté matérielle que de pauvreté linguistique. Et elle entraîne une façon caricaturale de voir l’autre. « <i>Certaines révoltes dans les bidonvilles manquent de langage pour se penser. Et c’est pourquoi dans mes livres, il me parait important de donner du langage à mes personnages ».<span style=""> </span><o:p></o:p></i></span></p> <p style="font-family: webdings;" class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;">Son engagement en faveur des ateliers d’écriture part aussi de ce constat. <i>« Je déteste l’individualisme, mais l’individualité est une chose essentielle. Et j’adore voir les gens se découvrir dans la langue, et s’émerveiller de ce qu’ils peuvent faire avec »</i>. Se réapproprier leur individualité par l’écriture en somme. <o:p></o:p></span></p> <p style="font-family: webdings;" class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;">On en vient à son dernier roman <i>« Yanvalou pour Charlie </i>», superbe récit polyphonique qui raconte le parcours de Mathurin D.Saint-Fort, jeune avocat dévoré d’ambition qui a gommé de sa mémoire les souffrances de son passé pour se tenir résolument du meilleur côté possible de l’existence. Mais cette amnésie volontaire chavire le jour où fait irruption dans sa vie un adolescent en cavale nommé Charlie, qui vient lui demander de l’aide. Et ce titre énigmatique prend petit à petit tout son sens. Car le <i>Yanvalou</i> est un salut à la terre, salut nécessaire pour garder vivant le souvenir, car on ne peut se construire dans le reniement de la mémoire et des expériences du passé, si douloureuses soient-elles. Trouillot place cette question au coeur de son récit en donnant voix à quatre personnages principaux qui ont quatre façons différentes de composer avec leur passé. Car il lui importe de réfléchir à la construction de l’individualité qui, trop souvent dans le monde actuel, « <i>se construit dans une sorte de violence contre l’autre qui n’est pas nous, contre l’autre en nous ».</i></span><span style=";font-size:100%;" > </span><span style="font-size:100%;"><o:p></o:p></span></p> <p style="font-family: webdings;" class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;">« <i>Où trouver les ressources pour se construire avec la révolte et la tranquillité nécessaires quand on est en situation d’oppression ? </i>» se demande t-il. L’une des réponses réside dans une</span><span style=";font-size:100%;" > </span><span style="font-size:100%;">relation positive aux expériences individuelles et collectives du passé, non pas qu’il s’agisse d’idéaliser ce passé et les traditions qui souvent oppriment, mais qu’il importe d’interroger ce passé sans le renier. Or en Haïti et ailleurs, « <i>la construction de soi dans le reniement est un processus fréquent </i>».</span><span style=";font-size:100%;" > </span><span style="font-size:100%;"><o:p></o:p></span></p> <p style="font-family: webdings;" class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;">Le livre est aussi une charge contre le mensonge, qu’il soit individuel ou institutionnel. Mensonge de Mathurin qui cache derrière une majuscule tout à fait chic son second prénom dont il a honte : Dieutor. Mensonge de l’aide internationale et de la coopération qui habillent de bons sentiments des systèmes d’enrichissement personnels fondés sur le malheur des autres. Mensonge enfin de la démocratie formelle, alors que les avancées politiques s’accompagnent d’une fermeture de plus en plus étanche des espaces sociaux.<o:p></o:p></span></p> <p style="font-family: webdings;" class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;">Constat désespéré alors ? Certes non. Il suffit de le regarder parler avec engagement et passion, d’entendre dans sa voix autant de rire que de colère, de déceler dans sa véhémence une immense tendresse, pour savoir que Trouillot se tient résolument du côté du bonheur d’être ensemble, du côté de la rédemption.</span><span style=";font-size:100%;" ><br /></span></p><p style="font-family: webdings;" class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><br /></span></p><p style="font-family: webdings;" class="MsoNormal"><span style="color: rgb(153, 51, 153);font-size:100%;" >Portrait publié dans l</span><span style="font-style: italic; color: rgb(153, 51, 153);font-size:100%;" >'Orient Littéraire</span><span style="color: rgb(153, 51, 153);font-size:100%;" > d'Octobre 2009.</span><span style="font-size:100%;"><br /><o:p></o:p></span></p> <!--EndFragment-->Georgia Makhloufhttp://www.blogger.com/profile/04834309551444366604noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1341314854360589444.post-38605674865988781212010-02-04T13:14:00.000-08:002010-02-04T13:26:01.782-08:00Claude Hagège, l’homme de Carthage.<span style="color: rgb(153, 51, 153); font-family: georgia; font-style: italic;">Claude Hagège est un éminent linguiste français d’origine tunisienne. Agrégé de lettres, lauréat en 1981 du prix Volney, récompensé en 1995 par la médaille d’or du CNRS, il est actuellement professeur au Collège de France. Polyglotte, il parle couramment de nombreuses langues et en connaît plus de cent. Il a mené des travaux de recherche pointus sur la structure des langues, les apprentissages linguistiques, le bilinguisme etc. Auteur de très nombreux ouvrages, dont </span><i style="color: rgb(153, 51, 153); font-family: georgia; font-style: italic;">L’Homme de paroles</i><span style="color: rgb(153, 51, 153); font-family: georgia; font-style: italic;"> (Fayard, 1985), </span><i style="color: rgb(153, 51, 153); font-family: georgia; font-style: italic;">L’enfant aux deux langues</i><span style="color: rgb(153, 51, 153); font-family: georgia; font-style: italic;"> (Odile Jacob,1996) et </span><i style="color: rgb(153, 51, 153); font-family: georgia; font-style: italic;">Combat pour le Français</i><span style="color: rgb(153, 51, 153); font-family: georgia; font-style: italic;"> (Odile Jacob, 2006) il vient de publier chez Plon un </span><i style="color: rgb(153, 51, 153); font-family: georgia; font-style: italic;">Dictionnaire amoureux des langues</i><span style="color: rgb(153, 51, 153); font-family: georgia; font-style: italic;">. Nous l’avons rencontré au milieu de ses bouquins et de ses partitions musicales. Car cet homme exceptionnel ne se contente pas d’explorer sans relâche les langues du monde et d’en parler couramment un grand nombre, il joue aussi de plusieurs instruments de musique et se produit avec un quatuor. Lorsqu’on s’en étonne, il répond simplement que les liens entre les langues et la musique sont si nombreux qu’on pourrait dire qu’ « </span><i style="color: rgb(153, 51, 153); font-family: georgia; font-style: italic;">elles sont musique </i><span style=";font-family:Georgia;font-size:12pt;" ><span style="color: rgb(153, 51, 153); font-family: georgia; font-style: italic;">». </span><o:p></o:p></span> <h2><span style=";font-family:Georgia;font-size:12pt;" >Comment vous est venu cet amour passionné des langues et cette prodigieuse capacité d’apprentissage de tant de langues différentes ? <o:p></o:p></span></h2> <h2><span style="font-weight: normal;font-family:Georgia;font-size:12pt;" >Ce qui permet ou alimente une sorte de souplesse dans l’acquisition des langues, c’est évidemment l’amour. Chez ceux qui manifestent des difficultés avec les langues et qui s’en plaignent, comme c’est fréquemment le cas en France, ce qui manque n’est pas une capacité d’apprendre, mais l’amour des langues. Et l’amour des langues, c’est l’amour des autres. Dans mes motivations, il y a donc un profond intérêt pour les « étrangers », c’est-à-dire les gens porteurs d’une langue que je ne connais pas. Ces autres si exotiques ont exercé sur moi une grande fascination dès mon plus jeune âge. <o:p></o:p></span></h2> <h2><span style="font-weight: normal;font-family:Georgia;font-size:12pt;" >Il faut dire aussi<span style=""> </span>que mon milieu natal, c’est Carthage. Mon ascendance punique a peut-être quelque chose à voir avec tout cela. Cette façade méditerranéenne a été, de par sa position géographique, exposée très tôt à des influences multiples et elle se caractérise par la babélisation, le multilinguisme. J’ai donc grandi dans un port méditerranéen ouvert sur le monde et mon oreille a été bercée par les sonorités des langues les plus diverses depuis mon plus jeune âge. Je suis donc habité par l’amour des langues depuis la petite enfance. Plus que des jouets, je réclamais à mes parents des grammaires et des dictionnaires, et ce dès que j’ai su lire. J’étais un enfant « fou », et mes parents ont dû être désarçonnés par cette « folie » mais comme ils étaient à la fois très généreux et très cultivés, ils ont vite compris qu’il s’agissait d’une passion qui m’habitait.<o:p></o:p></span></h2> <h2><span style=";font-family:Georgia;font-size:12pt;" >Votre langue maternelle était néanmoins le français ?<span style=""> </span><o:p></o:p></span></h2> <h2><span style="font-weight: normal;font-family:Georgia;font-size:12pt;" >J’ai en réalité trois langues maternelles, le français, l’arabe dialectal tunisien et l’italien. Le français est la langue de ma mère, mais comme vous pouvez le constater, mon français est très littéraire. Quand je suis arrivé en classes préparatoires à Louis Le Grand, mes camarades s’esclaffaient : « <i>Mais tu parles comme on écrit ! »</i></span><span style="font-weight: normal;font-family:Georgia;font-size:12pt;" > Et c’était vrai. Pour nombre de non - français de souche, l’acquisition de la langue la plus « pure » était une façon de marquer notre francité. En revanche et encore aujourd’hui,<span style=""> </span>j’en connais assez mal les tournures orales. Mais je parlais également le tunisien dialectal avec mes camarades de jeux. J’en ai gardé un grand amour de l’arabe littéraire, que je trouve d’ailleurs plus beau que l’hébreu. Enfin l’italien a fait partie du paysage linguistique de mon enfance en raison de la proximité géographique de la Sicile.<o:p></o:p></span></h2> <h2><span style=";font-family:Georgia;font-size:12pt;" >Combien de langues parlez-vous donc ?<span style=""> </span><o:p></o:p></span></h2> <h2><span style="font-weight: normal;font-family:Georgia;font-size:12pt;" >Je n’en sais rien car je ne les ai pas comptées. Plus sérieusement, je ne peux répondre à votre question qu’en la reformulant, ou plutôt en la décomposant en plusieurs questions : combien de langues écrivez-vous, Lisez-vous ? Parlez-vous avec un temps de préparation préalable ? Citez-vous dans vos cours ?<o:p></o:p></span></h2> <h2><span style="font-weight: normal;font-family:Georgia;font-size:12pt;" >Disons que je suis capable de parler couramment et sans recours au dictionnaire une dizaine de langues dont l’italien, l’espagnol, l’allemand, l’arabe classique et dialectal de Tunisie, l’hébreu, le chinois, le japonais, le russe. En revanche, je peux me référer dans mes cours ou dans mes recherches à plusieurs centaines de langues dont je connais les structures et les principales propriétés. <o:p></o:p></span></h2> <h2><span style=";font-family:Georgia;font-size:12pt;" >Vos travaux vous ont amené à approfondir les processus d’acquisition des langues et à vous pencher en particulier sur le bilinguisme. <o:p></o:p></span></h2> <h2><span style="font-weight: normal;font-family:Georgia;font-size:12pt;" >Le nourrisson est une oreille avide. Tout nourrisson est potentiellement multilingue car il est doué d’une capacité d’entendre très structurée à un moment où en revanche, sa capacité d’élocution est faible et ne produit encore que du babil. L’éducation bilingue, si elle est bien conduite exploite évidemment cette situation mais il y a urgence. Car une fois atteint le seuil fatidique de la onzième année, les synapses commencent à se scléroser et sur le plan phonétique, cette sclérose est irréversible de telle sorte que l’enfant ne pourra plus apprendre à parler « sans accent ». <o:p></o:p></span></h2> <h2><span style="font-weight: normal;font-family:Georgia;font-size:12pt;" >Je recommande que dans les familles linguistiquement mixtes on observe le principe de Ronjat : chacun des parents doit parler à ses enfants dans sa langue maternelle même s’il maîtrise parfaitement la langue de l’autre. C’est seulement de cette façon que l’on favorise un vrai bilinguisme. Mais si le cercle familial est moins favorisé, linguistiquement parlant, alors l’école et les voyages sont des facteurs-clés. Et je me permets de souligner que les relations sentimentales favorisent l’acquisition d’une langue étrangère, celle de la personne aimée. <o:p></o:p></span></h2> <h2><span style="font-weight: normal;font-family:Georgia;font-size:12pt;" >Cela dit, il existe deux types de bilinguisme, égalitaire ou non-égalitaire. Dans ce second cas de figure, l’une des deux langues l’emporte sur l’autre en prestige, possède un statut plus élevé. Et souvent, le milieu social valorise la langue qu’il ne parle pas et que l’enfant n’apprend qu’à l’école. C’est le cas des communautés maghrébines où, très souvent, les enfants ne pratiquent pas le français en dehors de l’école et parlent avec leurs parents un arabe dialectal assez pauvre ; ils sont, au final, maladroits dans les deux langues. <o:p></o:p></span></h2> <h2><span style=";font-family:Georgia;font-size:12pt;" >Parlons à présent de<span style=""> </span>votre <i>Dictionnaire amoureux</i></span><span style=";font-family:Georgia;font-size:12pt;" > dans lequel vous vous proposez, dites-vous, de raconter les langues en tant qu’êtres vivants changeants et multiples. Vous inscrivez donc le changement au coeur même des systèmes linguistiques ?<span style=""> </span><o:p></o:p></span></h2> <h2><span style="font-weight: normal;font-family:Georgia;font-size:12pt;" >Sans aucun doute. Et cela a toujours été, même si les hommes qui les pratiquent n’en ont pas vraiment conscience. Ainsi par exemple, l’espagnol, l’italien et le portugais étaient perçus jusque très tard, jusqu’au moment des invasions barbares qui ont déchiré l’empire romain, comme du latin et non comme du latin en train de se transformer pour devenir tout autre chose. Pourquoi l’Amérique du sud a t-elle été appelée « latine » ? Parce qu’aussi tard que 1515, au moment de l’arrivée de Cortès et des conquistadors, les espagnols qui vont conquérir l’Amérique parlent un castillan qu’ils croient être très proche du latin.<o:p></o:p></span></h2> <h2><span style="font-weight: normal;font-family:Georgia;font-size:12pt;" >Le processus de transformation des langues est historiquement permanent. On ne s’en aperçoit pas toujours parce que dans notre représentation de la langue telle que l’école nous l’a transmise, la langue est figée, normée, ce qui n’est pas surprenant puisque le rôle de l’école est de transmettre la loi, d’enseigner les règles. Et il est vrai que la langue écrite évolue plus lentement que l’orale. <o:p></o:p></span></h2> <h2><span style=";font-family:Georgia;font-size:12pt;" >Et l’arabe, l’arabe littéraire ? C’est une langue dont on a vraiment l’impression qu’elle ne change pas, qu’elle reste figée et que les grammairiens s’emploient à la protéger du changement.<o:p></o:p></span></h2> <h2><span style="font-weight: normal;font-family:Georgia;font-size:12pt;" >Il est vrai que dans le cas de l’arabe, la pression de la norme écrite - qui dérive de la langue utilisée dans un texte considéré comme sacré, le Coran – est encore plus forte et qu’elle rend les gens aveugles à l’évolution, non seulement des dialectes, mais même de la langue littéraire, qui elle aussi change, même si plus lentement. Aucune langue ne peut rester à l’abri du changement. <o:p></o:p></span></h2> <h2><span style=";font-family:Georgia;font-size:12pt;" >Dans un chapitre très intéressant sur les affects, vous dites que ce que la science est actuellement en train d’établir, à savoir que toute notre vie mentale repose sur un terreau émotionnel, les langues l’ont toujours su et même<span style=""> </span>l’ont toujours dit avec autant de grâce que de rigueur. Pouvez-vous clarifier ce dont il s’agit ?<o:p></o:p></span></h2> <h2><span style="font-weight: normal;font-family:Georgia;font-size:12pt;" >Je le ferai en prenant un exemple :un physicien ou un chimiste démontrant à son public et de façon rigoureuse, une équation ou la propriété d’une matière, et adoptant pour cela une démarche profondément intellectuelle et rationnelle, est néanmoins habité par des pulsions qui commandent son intérêt et son élocution, car nous sommes tous des êtres d’instinct et de passion. Tout texte supposé « neutre », par exemple un texte de loi ou un jugement rédigés de façon extrêmement dépouillée, ne sont pas exempts d’une dimension affective, ne serait-ce que dans leur structure argumentative, leur rythme ou leur respiration qui se manifestent par les silences ou les signes de ponctuation. Ces signes peuvent être considérés comme le reflet des mouvements de l’âme. <o:p></o:p></span></h2> <h2><span style=";font-family:Georgia;font-size:12pt;" >Vous dites en effet que les grammaires de toutes les langues, réputées être de purs systèmes de règles abstraites sont en réalité « <i>des mines de révélations sur notre nature et les cheminements secrets de nos coeurs et de nos pensées ».<span style=""> </span><o:p></o:p></i></span></h2> <h2><span style="font-weight: normal;font-family:Georgia;font-size:12pt;" >Oui en effet et à cet égard il est intéressant d’observer comment différentes langues s’y prennent pour exprimer le sentiment amoureux. En français le <i>je t’aime</i></span><span style="font-weight: normal;font-family:Georgia;font-size:12pt;" > dit que <i>je</i></span><span style="font-weight: normal;font-family:Georgia;font-size:12pt;" > est le sujet et <i>t’</i></span><span style="font-weight: normal;font-family:Georgia;font-size:12pt;" > l’objet de l’amour. En espagnol, c’est aussi le cas, mais <i>te quiero</i></span><span style="font-weight: normal;font-family:Georgia;font-size:12pt;" > qui veut dire <i>je te veux</i></span><span style="font-weight: normal;font-family:Georgia;font-size:12pt;" >, <i>je te désire</i></span><span style="font-weight: normal;font-family:Georgia;font-size:12pt;" >, contient une évidente implication sexuelle. En italien, nous avons une formulation <i>ti voglio bene</i></span><span style="font-weight: normal;font-family:Georgia;font-size:12pt;" >, littéralement <i>je te veux du bien</i></span><span style="font-weight: normal;font-family:Georgia;font-size:12pt;" >, qui introduit un bémol dans le sentiment, et le situe plus dans le registre de la tendresse que dans la folle passion. En Inde, on dira littéralement <i>à moi tu es </i></span><span style="font-weight: normal;font-family:Georgia;font-size:12pt;" >; en arabe, le nombre de substantifs qui expriment l’amour est considérable. Ce qui me fascine, c’est l’extraordinaire diversité des moules par lesquels passe la formulation d’un même sentiment. De là mon hostilité à l’anglais dans lequel je perçois une redoutable menace à la diversité qui est le propre même de l’espèce humaine. <o:p></o:p></span></h2> <h2><span style=";font-family:Georgia;font-size:12pt;" >Parlons à présent de la nouvelle interprétation du mythe de Babel que vous proposez. <o:p></o:p></span></h2> <h2><span style="font-weight: normal;font-family:Georgia;font-size:12pt;" >C’est la mienne mais c’est surtout une interprétation développée dès les VIe/ VIIe siècles par un vieux courant talmudique. Des rabbins ont ainsi avancé l’idée que Babel ne devait plus être perçu comme un châtiment (les textes bibliques, étrangement, ne mentionnent pas<span style=""> </span>de quelle faute spécifique les hommes se sont rendus coupables) , mais qu’en détruisant la tour, Dieu donnait aux hommes l’occasion d’accomplir leur vocation : celle de se disperser et d’aller féconder le monde, de répandre partout la diversité des langues. L’unité de la langue n’est autre que l’absence de toute langue. La dispersion est le symbole même du somptueux message de l’espèce humaine à l’univers : nous te mettons en vocables par l’infinie diversité de nos langues dispersées.<span style=""> </span><o:p></o:p></span></h2> <h2><span style=";font-family:Georgia;font-size:12pt;" >Vous analysez également la relation des hommes avec l’espace dans les différentes langues et, à propos de la différence essentielle entre espace et lieu vous dites : « <i>A un lieu nous sommes attachés comme à notre sécurité ; de l’espace en revanche nous rêvons comme de notre liberté ».</i></span><span style=";font-family:Georgia;font-size:12pt;" > Est-ce en philosophe que vous parlez ici ou en linguiste ?<o:p></o:p></span></h2> <h2><span style="font-weight: normal;font-family:Georgia;font-size:12pt;" >Les deux. Il existe dans toutes les langues du monde des termes différents pour désigner l’espace et le lieu. Et dans toutes les langues, le lieu (maison, ville, pays...) est construit comme une balise, un point de repère au sein de l’espace qui peut être infini. <o:p></o:p></span></h2> <h2><span style="font-weight: normal;font-family:Georgia;font-size:12pt;" >Mais en outre les langues nous montrent clairement un fait essentiel : l’espace premier de l’homme est tout simplement son propre corps et les lieux divers qui le composent, c’est-à-dire les parties du corps humain. Nombreuses sont en effet les langues dans lesquelles les prépositions qui désignent l’emplacement des objets et des êtres dans l’espace proviennent des noms de parties du corps. Le mot signifiant <i>tête</i></span><span style="font-weight: normal;font-family:Georgia;font-size:12pt;" > pourra avoir, selon le contexte, le sens de <i>sur</i></span><span style="font-weight: normal;font-family:Georgia;font-size:12pt;" >, <i>pied</i></span><span style="font-weight: normal;font-family:Georgia;font-size:12pt;" > aura le sens de <i>sous</i></span><span style="font-weight: normal;font-family:Georgia;font-size:12pt;" >, <i>dos</i></span><span style="font-weight: normal;font-family:Georgia;font-size:12pt;" > signifiera <i>derrière</i></span><span style="font-weight: normal;font-family:Georgia;font-size:12pt;" > et <i>ventre</i></span><span style="font-weight: normal;font-family:Georgia;font-size:12pt;" > signifiera <i>dans</i></span><span style="font-weight: normal;font-family:Georgia;font-size:12pt;" >. Dans nombre de langues, le corps est donc la mesure de l’espace. <o:p></o:p></span></h2> <h2><span style=";font-family:Georgia;font-size:12pt;" >Pour conclure, revenons si vous le voulez bien, sur le lien étroit que vous établissez entre langues et musique ; vous affirmez donc que les langues sont musiques. Pouvez-vous clarifier ce que vous entendez par là ?<o:p></o:p></span></h2> <h2><span style="font-weight: normal;font-family:Georgia;font-size:12pt;" >Les langues sont musiques ne serait-ce que parce qu’une bonne moitié des langues du monde sont des langues à ton. Prenons l’exemple du chinois. La syllabe <i>ma</i></span><span style="font-weight: normal;font-family:Georgia;font-size:12pt;" > ne veut rien dire à un chinois si on n’en précise pas le ton. Et selon les quatre tons du chinois, cette syllabe pourra désigner la mer, le cheval, la chambre ou le verbe insulter. Le vietnamien, lui, a six tons différents. On se sert donc, pour produire du sens, de la musique de la voix. Mais la musique des langues, ce sont aussi les voyelles : les mouvements de la voix chantent dans les voyelles et l’on peut dire que ce sont les voyelles qui expriment les états de l’âme.<o:p></o:p></span></h2> <h2><span style="font-weight: normal;font-family:Georgia;font-size:12pt;" >Mais si les langues sont musiques, on pourrait également dire que les musiques sont langues, au sens ou elles possèdent leur grammaire, leurs règles syntaxiques, celle de l’harmonie et de la construction contrapuntique, et leur sémantique. Soulignons enfin que l’association entre musique et langue n’a cessé de tourmenter les musiciens en même temps qu’elle exaltait leur talent d’invention, et qu’elle a donné naissance à l’opéra, pour le plus grand bonheur des amoureux des langues qui aiment tout autant la musique.<span style=""><br /></span></span></h2><h2><span style="color: rgb(153, 51, 153); font-weight: normal;font-size:100%;" >Entretien publié dans l'Orient Littéraire d'octobre 2009.</span><span style="font-weight: normal;font-family:Georgia;font-size:12pt;" ><span style="color: rgb(153, 51, 153);font-size:100%;" > </span><span style=""></span><o:p></o:p></span></h2> <h2><span style=";font-family:Georgia;font-size:12pt;" ><span style="font-weight: normal;"> </span><o:p></o:p></span></h2> <h2><span style=";font-family:Georgia;font-size:12pt;" ><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></h2> <h2><span style="font-size:12pt;"><br /><!--[if !supportLineBreakNewLine]--><br /><!--[endif]--></span><span style=";font-family:Georgia;font-size:12pt;" ><o:p></o:p></span></h2> <p class="MsoNormal"><span style="font-family:Georgia;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></p> <!--EndFragment-->Georgia Makhloufhttp://www.blogger.com/profile/04834309551444366604noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1341314854360589444.post-91933223915612162432009-10-08T10:47:00.000-07:002009-10-08T10:56:51.746-07:00Anne-Marie Eddé : Saladin, la naissance d’un mythe.<span style="font-family: georgia;">Anne-Marie Eddé est historienne, spécialiste du Moyen Âge arabe. Directrice de recherche au CNRS, elle dirige actuellement l’Institut de Recherche et d’Histoire des Textes (IRHT). Elle est l’auteur de travaux portant notamment sur la dynastie des Ayyoubides, fondée par Saladin, sur l’histoire de la Syrie et de l’Egypte aux XIIe et XIIIe siècles, sur l’Orient au temps des croisades (Flammarion, 2002) ou sur les Chrétiens en pays d’Islam. Elle vient d’achever une impressionnante biographie de Saladin, la première en français depuis un demi-siècle, fruit de dix années de travail, et qui s’appuie sur une multiplicité de sources connues ou inédites : chroniques, récits de voyage, lettres, poèmes, traités administratifs... Si elle s’attache à replacer ce personnage hors du commun dans son contexte, à comprendre sa conception du pouvoir et la manière dont il a fondé sa dynastie, elle entreprend surtout d’analyser les discours dont il fut l’objet du Moyen Âge à nos jours, discours qui servirent à façonner son mythe. Une entreprise exigeante et rigoureuse dont le résultat est tout à la fois accessible au non-spécialiste et passionnant, et qui permet de re-découvrir un Saladin plus complexe et plus riche que celui de sa légende occidentale ou orientale. Rencontre avec une chercheuse passionnée.</span><o:p style="font-family: georgia;"></o:p><p style="font-family: georgia;"></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify; font-weight: bold; font-family: georgia;font-family:lucida grande;"><!--[if !supportEmptyParas]--><span style="font-size:85%;"> <o:p></o:p></span><!--[endif]--></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify; font-weight: bold; font-family: georgia;font-family:lucida grande;"><span style="font-size:85%;">J’aimerais tout d’abord vous demander de clarifier la vocation de L’institut de recherche que vous dirigez. Pour le non-spécialiste, tout travail historique est un travail sur les textes. Quel est donc le rôle spécifique de l’IRHT ?<o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify; font-weight: bold; font-family: georgia;font-family:lucida grande;"><!--[if !supportEmptyParas]--><span style="font-size:85%;"> <o:p></o:p></span><!--[endif]--></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify; font-family: georgia;font-family:lucida grande;"><span style="font-size:85%;">L’IRHT a pour mission l’étude des manuscrits de la fin de l’Antiquité à la Renaissance. Notre objectif est de trouver de nouveaux textes écrits dans les différentes langues du bassin méditerranéen (grec, arabe, hébreu, syriaque, copte, latin, roman...) et de les étudier pour les dater, les authentifier, les attribuer, les traduire, les éditer. Il peut s’agir aussi de rassembler tous les manuscrits dispersés d’une oeuvre et de les comparer pour reconstituer autant que possible le texte original. Dans le domaine des manuscrits arabes, il<span style=""> </span>en<span style=""> </span>existe des quantités qui dorment dans les bibliothèques. Une fois que ces textes sont édités et traduits, ils deviennent la matière première sur laquelle travaillent les chercheurs, dans toutes sortes de domaines. <o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify; font-weight: bold; font-family: georgia;font-family:lucida grande;"><!--[if !supportEmptyParas]--><span style="font-size:85%;"><span style="font-weight: normal;"> </span><o:p></o:p></span><!--[endif]--></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify; font-weight: bold; font-family: georgia;font-family:lucida grande;"><span style="font-size:85%;">Concernant votre travail tout à fait exceptionnel sur Saladin, vous écrivez que son plus beau succès fut sans doute l’image qu’il réussit à donner de lui-même. Or il était, lorsqu’il accède au pouvoir, considéré comme un usurpateur. Comment s’y est-il donc pris pour légitimer sa prise de pouvoir ?<o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify; font-weight: bold; font-family: georgia;font-family:lucida grande;"><!--[if !supportEmptyParas]--><span style="font-size:85%;"> <o:p></o:p></span><!--[endif]--></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify; font-family: georgia;font-family:lucida grande;"><span style="font-size:85%;">Sa succession en effet ne se déroule pas sans mal puisque son prédécesseur, Nûr al-Dîn qui appartient à la dynastie des zenguides, avait un fils. Dans un premier temps, Saladin proclame vouloir être le tuteur du jeune prince, et ne montre aucune volonté d’accaparer le pouvoir. C’est progressivement que le renversement se produira. Dans son entreprise de légitimation d’une prise de pouvoir contestée,<span style=""> </span>Saladin pourra se prévaloir d’importantes réalisations : il a prolongé l’héritage de son prédécesseur, il a unifié l’Egypte, le Shâm (qui au Moyen Âge recouvre la Palestine, la Syrie et le Liban), ainsi que le nord de la Mésopotamie sous son<s> </s>autorité, et surtout, il a repris Jérusalem aux Francs. Sur le plan politique, religieux et symbolique, c’est ce qui fait sa gloire. Ce qui fait sa gloire aussi, ce sont ses victoires sur l’Occident. Tout cela va le servir bien sûr, mais en même temps, il n’aurait pas réussi à atteindre une telle célébrité s’il n’y avait autour de lui un entourage qui s’attache à répandre une certaine image de lui.<span style=""> </span><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify; font-weight: bold; font-family: georgia;font-family:lucida grande;"><!--[if !supportEmptyParas]--><span style="font-size:85%;"><span style="font-weight: normal;"> </span><o:p></o:p></span><!--[endif]--></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify; font-weight: bold; font-family: georgia;font-family:lucida grande;"><!--[if !supportEmptyParas]--><span style="font-size:85%;"> <o:p></o:p></span><!--[endif]--></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify; font-weight: bold; font-family: georgia;font-family:lucida grande;"><span style="font-size:85%;">Vous parlez en effet de « propagande ». Il y avait donc de véritables instruments de contrôle de l’ « opinion publique » dès le Moyen Age ?<o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify; font-weight: bold; font-family: georgia;font-family:lucida grande;"><!--[if !supportEmptyParas]--><span style="font-size:85%;"> <o:p></o:p></span><!--[endif]--></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify; font-family: georgia;font-family:lucida grande;"><span style="font-size:85%;">Il y avait en effet d’une part une réelle volonté de construire de façon organisée l’image de ce souverain, et d’autre part, un certain nombre de moyens disponibles tels que les lettres aux émirs des états voisins et au calife de Bagdad, les poèmes chantant sa gloire, les traités spécialement rédigés à son intention, les inscriptions monumentales où l’on mentionne ses titres et ses actions de gloire et enfin les biographies rédigées par des proches qui ne cachent pas leur volonté de dresser le panégyrique de Saladin pour en faire le modèle du souverain idéal.<o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify; font-family: georgia;font-family:lucida grande;"><span style="font-size:85%;">Donc on peut en effet parler de propagande dans la mesure où il y a bien un système organisé qui s’élabore pour diffuser une image.<o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify; font-family: georgia;font-family:lucida grande;"><span style="font-size:85%;">Mais à l’inverse de ce que l’on entend par opinion publique aujourd’hui, il s’agit moins ici de convaincre la base, le peuple, que le calife sunnite de Bagdad et les élites. La propagande s’adresse avant tout aux dirigeants actuels et futurs pour les instruire de ce que doit être un bon souverain, au calife de Bagdad et à son entourage, à ceux dont on espère l’aide, à savoir les voisins qui vont envoyer des troupes et de l’argent, aux ulémas qui à leur tour convaincront le peuple d’appuyer Saladin, enfin à l’élite militaire dont le soutien est essentiel.<span style=""> </span><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify; font-weight: bold; font-family: georgia;font-family:lucida grande;"><!--[if !supportEmptyParas]--><span style="font-size:85%;"> <o:p></o:p></span><!--[endif]--></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify; font-weight: bold; font-family: georgia;font-family:lucida grande;"><span style="font-size:85%;">Vous développez également toute une analyse de la relation de Saladin à la guerre sainte, le jihad. Saladin encourageait-il ses combattants à mourir en martyrs ? Est-il lui-même avide de mourir sur « le chemin de Dieu » ?<o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify; font-weight: bold; font-family: georgia;font-family:lucida grande;"><!--[if !supportEmptyParas]--><span style="font-size:85%;"> <o:p></o:p></span><!--[endif]--></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify; font-family: georgia;font-family:lucida grande;"><span style="font-size:85%;">Il est bien entendu très difficile de connaître ses intentions profondes. La plupart des textes auxquels nous avons accès sont écrits par son entourage dans un objectif de propagande que nous venons d’évoquer. Et ces textes le présentent en effet comme le chef charismatique seul capable, à cette époque, de conduire le jihad. Al-Tarsûsî, par exemple, dédicace à Saladin un traité dans lequel il reprend tous les thèmes classiques associés au jihad, celui de la pureté, du martyre source de vie et non de mort... Peut-on dire pour autant que Saladin souhaitait que ses partisans meurent en martyrs? Sans doute pas. Son objectif était plutôt de mobiliser les énergies<span style=""> </span>en apaisant les craintes des combattants, de valoriser la mort si celle-ci était au rendez-vous. Je cite d’ailleurs une lettre écrite par son chancelier, al-Qâdi al-Fâdil, qui félicite son<span style=""> </span>destinataire d’avoir fui devant l’offensive des Francs <i>« car des félicitations pour avoir gardé la vie sauve valent mieux que des félicitations pour le martyre </i><span style="font-style: normal;">». Un telle déclaration pouvait s’appuyer sur un hadith qui affirme que </span><i>« l’encre du savant est plus précieuse que le sang des martyrs ». <o:p></o:p></i></span></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify; font-family: georgia;font-family:lucida grande;"><span style="font-size:85%;">A côté de l’idéologie, il y avait donc les réalités du terrain. On n’allait pas au combat pour mourir mais pour remporter la victoire.<span style=""> </span><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify; font-weight: bold; font-family: georgia;font-family:lucida grande;"><!--[if !supportEmptyParas]--><span style="font-size:85%;"><span style="font-weight: normal;"> </span><o:p></o:p></span><!--[endif]--></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify; font-weight: bold; font-family: georgia;font-family:lucida grande;"><span style="font-size:85%;">L’une des questions à laquelle vous vous attachez dans votre travail est celle de savoir comment ce guerrier qui reprit de nombreux territoires aux Francs, finit par incarner en Occident l’idéal du chevalier chrétien, preux, généreux et magnanime. Pouvez-vous revenir sur cet étonnant paradoxe ?<o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify; font-weight: bold; font-family: georgia;font-family:lucida grande;"><!--[if !supportEmptyParas]--><span style="font-size:85%;"> <o:p></o:p></span><!--[endif]--></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify; font-weight: bold; font-family: georgia;font-family:lucida grande;"><span style="font-size:85%;"><span style="font-weight: normal;">Il y a là en effet un grand paradoxe. Le combat contre les Francs et la reprise de Jérusalem ont été au centre de sa vie, et voilà qu’il finit par incarner l’idéal du chevalier chrétien. Plusieurs explications possibles à cela. Tout d’abord dans son combat, Saladin a réellement privilégié la négociation et la prudence. Il a toujours fait preuve d’une grande capacité de négociation, qui lui a permis de s’emparer de villes sans combattre ni faire de victimes. Et il a fait du respect de ses engagements une véritable arme politique. C’était à la fois un trait de son caractère et la manifestation de son intelligence politique. Il a su souvent se montrer magnanime, laissant la vie sauve à ses adversaires contre le paiement d’un tribut, autorisant les épouses du roi et des chevaliers qui se trouvaient à Jérusalem à partir, libérant le roi Guy de Lusignan contre le simple serment de ne pas reprendre les armes contre lui.</span><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify; font-weight: bold; font-family: georgia;font-family:lucida grande;"><span style="font-size:85%;"><span style="font-weight: normal;">Les Francs, par ailleurs, ont subi face à lui des défaites cuisantes. Comment les expliquer à une époque où l’on pense que c’est Dieu qui envoie la victoire pour récompenser vos mérites, ou la défaite pour vous punir de vos péchés ? Il valait mieux être battu par quelqu’un qui avait toutes les qualités d’un vrai chevalier plutôt que par un musulman. Cela rendait la défaite moins humiliante. Ainsi s’est construite progressivement la légende d’un Saladin adoubé chevalier, descendant du comte de Ponthieu -car il fallait qu’il eût du sang chrétien- et recevant le baptême. Le contexte littéraire de l’époque, celui de la littérature courtoise et des romans de chevalerie, a favorisé la constitution de cette légende, qui s’appuie néanmoins sur un fond de vérité.</span><span style=""> </span><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify; font-weight: bold; font-family: georgia;font-family:lucida grande;"><!--[if !supportEmptyParas]--><span style="font-size:85%;"> <o:p></o:p></span><!--[endif]--></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify; font-weight: bold; font-family: georgia;font-family:lucida grande;"><!--[if !supportEmptyParas]--><span style="font-size:85%;"> <o:p></o:p></span><!--[endif]--></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify; font-weight: bold; font-family: georgia;font-family:lucida grande;"><span style="font-size:85%;">En Orient à l’inverse, il faut attendre jusqu’au XXe siècle pour que le mythe de Saladin prenne de l’ampleur. Pourquoi cela ?<o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify; font-weight: bold; font-family: georgia;font-family:lucida grande;"><!--[if !supportEmptyParas]--><span style="font-size:85%;"> <o:p></o:p></span><!--[endif]--></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify; font-family: georgia;font-family:lucida grande;"><span style="font-size:85%;">Le contexte, là encore, nous permet de le comprendre.<span style=""> </span>La fin du XIXe siècle en Orient est marquée par la montée du nationalisme arabe et par la volonté de lutter contre l’empire ottoman d’abord, les forces colonialistes ensuite. On recherche dans le passé des repères, des figures qui incarnent les valeurs que l’on souhaite défendre. Et Saladin apparaît comme le personnage providentiel, unificateur des Arabes dans un contexte de désunion, sauveur de Jérusalem alors que le conflit israélo-arabe se pose avec de plus en plus d’acuité. Il est vrai que Saladin est kurde, mais il est de culture arabe, il parle et écrit l’arabe ; il est donc facile à arabiser, davantage en tout cas que le sultan Baïbars qui a remporté plus de victoires que Saladin, mais qui est perçu comme fondamentalement turc.<o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify; font-weight: bold; font-family: georgia;font-family:lucida grande;"><!--[if !supportEmptyParas]--><span style="font-size:85%;"><span style="font-weight: normal;"> </span><o:p></o:p></span><!--[endif]--></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify; font-weight: bold; font-family: georgia;font-family:lucida grande;"><!--[if !supportEmptyParas]--><span style="font-size:85%;"> <o:p></o:p></span><!--[endif]--></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify; font-weight: bold; font-family: georgia;font-family:lucida grande;"><span style="font-size:85%;">Il y a donc la légende dorée, mais aussi les ombres. Du côté des ombres, vous mentionnez l’incapacité de Saladin, malgré les réformes qu’il s’efforça d’introduire en Egypte, à construire un Etat. Mal bien de chez nous sans doute. Pourquoi cela ? Pourquoi cet échec ?<o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify; font-weight: bold; font-family: georgia;font-family:lucida grande;"><!--[if !supportEmptyParas]--><span style="font-size:85%;"> <o:p></o:p></span><!--[endif]--></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify; font-family: georgia;font-family:lucida grande;"><span style="font-size:85%;">Il faut d’abord se rappeler qu’on est au Moyen Âge, à une époque où les Etats, au sens moderne, n’existent pas. En Occident, la notion commence à émerger, et on assiste à un<span style=""> </span>début de centralisation pour accroître le pouvoir royal face à celui des grands seigneurs.<br />En Orient la situation est très différente.<o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify; font-family: georgia;font-family:lucida grande;"><span style="font-size:85%;">Saladin n’est pas tant préoccupé par le développement des territoires qu’il conquiert - ou le bien-être des populations - que par sa volonté de mettre ces territoires au service de son combat contre les Francs. Il épuise les richesses de ces territoires pour financer des guerres qui coûtent très cher. Il va aussi confier des territoires à des émirs pour les récompenser de leur soutien et ces territoires échappent donc au pouvoir central et poseront par la suite de graves problèmes à ses successeurs. Et à la fin de son règne, le trésor public est totalement à sec. Son chancelier le dira : il a épuisé les ressources de l’Egypte pour conquérir la Syrie et la Palestine, puis il a épuisé les richesses de la Syrie et de la Palestine pour conquérir la Haute-Mésopotamie. C’était une sorte de fuite en avant qui explique en partie son échec. <o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify; font-weight: bold; font-family: georgia;font-family:lucida grande;"><!--[if !supportEmptyParas]--><span style="font-size:85%;"><span style="font-weight: normal;"> </span><o:p></o:p></span><!--[endif]--></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify; font-weight: bold; font-family: georgia;font-family:lucida grande;"><span style="font-size:85%;">Finalement, avec le recul des siècles et néanmoins le regard affûté de l’historienne, que faut-il retenir de Saladin ? Est-ce un personnage attachant ? Les Arabes ont-ils raison d’en faire leur « champion » ?<o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify; font-family: georgia;font-family:lucida grande;"><span style="font-size:85%;">On s’attache forcément à un personnage lorsqu’on chemine avec lui pendant si longtemps. Une longue fréquentation peut donner l’illusion de la proximité. Mais je me méfie des certitudes. L’historien doit rester dans la nuance, rétablir la complexité là où l’on est tenté de schématiser. Je crois que Saladin a été un grand homme politique, un grand guerrier, et qu’il a su très bien s’entourer. Mais, et peut-être est-ce cela qui est frustrant, les sources ne permettent que rarement d’accéder à l’homme derrière le souverain.<o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify; font-family: georgia;font-family:lucida grande;"><span style="font-size:85%;">Ce qui m’a le plus passionnée dans cette aventure, c’est de décrypter le discours de son entourage et d’analyser les arguments avancés pour susciter l’adhésion. Peut-être les lecteurs ne rencontreront-ils pas dans les pages de mon livre le Saladin qu’ils croient connaître, ce Saladin auréolé de légende et donné en modèle. Du moins aura-t-il gagné en complexité.</span></p><p class="MsoNormal" face="lucida grande" style="text-align: justify;"><span style="color: rgb(102, 51, 102); font-family: georgia;">Publié dans l'Orient Littéraire d'Octobre 2008.</span><br /><span style="font-size:85%;"><span style=""> </span><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify; font-weight: bold;font-family:lucida grande;"><!--[if !supportEmptyParas]--><span style="font-size:85%;"><span style="font-weight: normal;"> </span><o:p></o:p></span><!--[endif]--></p> <!--EndFragment-->Georgia Makhloufhttp://www.blogger.com/profile/04834309551444366604noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1341314854360589444.post-1205676613676662882009-09-21T09:02:00.000-07:002009-09-21T09:21:48.580-07:00François Bon : « Ecrire, c’est se rendre disponible au surgissement de l’imprévisible ».<span style="color: rgb(102, 51, 102);">Depuis la publication de son premier livre "Sortie d’usine</span><span style="color: rgb(102, 51, 102);font-family:georgia;" > (Minuit) en 1982, François Bon se consacre entièrement à la littérature avec une volonté d’explorer de nouveaux territoires d’écriture et d’ouvrir l’espace du littéraire. Aussi, il anime régulièrement des ateliers d’écriture tant auprès de publics en difficulté qu’auprès d’enseignants et d’étudiants; il a créé un des premiers sites consacrés à la littérature (remue.net) ; il anime un blog passionnant (Tiers-livre.net) ; et il travaille fréquemment en partenariat avec des photographes ou des musiciens. Son dernier livre </span><i style="font-family: georgia; color: rgb(102, 51, 102);">Incendie au Hilton</i><span style="color: rgb(102, 51, 102);font-family:georgia;" > (Albin Michel) vient de paraître. Rencontre avec un écrivain novateur et profondément généreux. </span><o:p></o:p><p></p> <p style="font-weight: bold;" class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><span style=";font-family:";" ><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></span></p> <p style="font-weight: bold;" class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></p> <p style="font-weight: bold;" class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></p> <p style="font-weight: bold;font-family:georgia;" class="MsoNormal"><span style="font-size:85%;">Peut-on pour commencer revenir sur votre parcours d’écrivain ? Vous avez débuté votre vie professionnelle en tant qu’ingénieur industriel. Comment s’est fait le passage à l’écriture ? <o:p></o:p></span></p> <p style="font-weight: bold;font-family:georgia;" class="MsoNormal"><span style="font-size:85%;"><span style="font-weight: normal;">Je n’ai pas obtenu mon diplôme d’ingénieur, ayant interrompu mes études en cours de route, mais j’ai en effet travaillé pendant 4 ans dans la métallurgie. Et un an après m’être arrêté, j’étais encore poursuivi par des images obsessives, de blessures et de peurs. Mon premier livre, </span><i style="font-weight: normal;">Sortie d’usine</i><span style="font-style: normal;"><span style="font-weight: normal;">, est parti de quelques nuits d’écriture où je tentais de cerner ces images. Ce travail était de l’ordre de la nécessité, de l’obéissance à une nécessité.</span><o:p></o:p></span></span></p> <p style="font-weight: bold;font-family:georgia;" class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--><span style="font-size:85%;"> <o:p></o:p></span><!--[endif]--></p> <p style="font-weight: bold;font-family:georgia;" class="MsoNormal"><span style="font-size:85%;">Pouvez-vous clarifier davantage cette nécessité d’écrire où vous vous êtes trouvé ?<span style=""> </span><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="font-family:georgia;"><span style="font-size:85%;">Dans l’écriture, il y a des moments où l’on ne sait pas où on va. Il faut se rendre disponible, se tenir prêt. L’écriture est de cet ordre-là. On atteint des zones de tremblement et on sait qu’à cet endroit-là, quelque chose va se jouer par le langage.<o:p></o:p></span></p> <p style="font-weight: bold;font-family:georgia;" class="MsoNormal"><span style="font-size:85%;"><span style="font-weight: normal;">Après la mort de mon père, il s’est passé la même chose. Je n’avais pas l’idée d’écrire et en même temps, j’étais traversé par des sensations physiques, l’impression que je lui touchais le visage. Et dans ma main droite, il y avait la rémanence de sensations simultanées de froid et de chaud. Il suffit de ça et on part dans l’écriture sans savoir du tout ce qu’on va obtenir. Ces expériences dont je vous parle sont des expériences d’écriture rapide, en temps limité, qui emmènent dans des zones imprévisibles. C’est la leçon de Proust et d’autres écrivains qui en parlent aussi. Faulkner par exemple dit qu’on a tous en soi un territoire particulier dans lequel il faut creuser. La difficulté, c’est de le trouver. Pour moi, ce territoire originel est indissociable de certaines images d’enfance : on habitait dans un garage et dans la cuisine, il y avait une porte jaune qui ouvrait directement sur l’atelier où travaillait mon père. Voilà, c’est mon territoire ; je n’ai pas le choix, je ne peux pas en sortir. Ce territoire prend néanmoins différentes figures. J’écoutais ce matin à la radio que deux usines allaient fermer leurs portes, dont l’usine SKF de roulement à billes à Fontenay-le-comte qui est la première usine où j’ai travaillé en 1973, et l’usine Heuliez dans l’ouest qui fabrique des véhicules industriels. C’est là que j’allais enfant, avec mon père, prendre livraison de camions. Ce sont des images très fortes de mon enfance et qui parlent de mondes finissants. Il n’y a pas de ma part de démarche volontaire mais je n’ai pas d’autre solution que de les explorer par l’écriture.</span><o:p></o:p></span></p> <p style="font-weight: bold;font-family:georgia;" class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--><span style="font-size:85%;"> <o:p></o:p></span><!--[endif]--></p> <p style="font-weight: bold;font-family:georgia;" class="MsoNormal"><span style="font-size:85%;">Cette veine, celle du monde industriel finissant, est en effet très présente dans votre oeuvre, à côté de deux autres thématiques, celle de la ville et celle de la musique rock. <o:p></o:p></span></p> <p style="font-weight: bold;font-family:georgia;" class="MsoNormal"><span style="font-size:85%;"><span style="font-weight: normal;">Mais ces trois thématiques sont liées, je ne les distingue</span> <span style="font-weight: normal;">pas. Pour moi et ceux de ma génération, la répartition dans le territoire était très différente de ce qu’elle est aujourd’hui. Là où j’habitais, il y avait 3500 habitants et nos enseignants habitaient là eux aussi. Mais par la suite, à chaque étape de vie, il me fallait rejoindre une ville plus grande. On s’imaginait que c’était notre propre histoire, on n’avait pas compris que ce qu’on vivait relevait de la recomposition du paysage social et urbain de la France. La ville est venue vers nous, on l’a vu se fabriquer sous nos yeux. Mon imaginaire est fait de ces images-là. Je pense toujours à la fameuse phrase de R.Barthes : « <i>On écrit toujours avec de soi</i></span> ». C’est ce « <i style="font-weight: normal;">de soi »</i><span style="font-style: normal;"><span style="font-weight: normal;"> que j’aime beaucoup. Dès lors qu’on creuse en soi-même, c’est ça qu’on trouve. Travailler sur l’espace de la ville me permet de rejoindre mon propre itinéraire, et avec la musique, c’est pareil. On a vécu le passage de la radio à la TV, l’arrivée des images en couleur. Ce ne sont pas des appropriations personnelles mais des évolutions du monde. Interroger la notion d’image, de représentation, et comment elle se constitue, mon chantier sur la musique est venu de là. Ces personnages, Bob Dylan ou Led Zeppelin dont j’ai écrit les biographies, il existait sur eux une documentation gigantesque, et au milieu de tout ça, il y avait comme des trous, de petits endroits non documentés et qui donnaient lieu à des légendes, des mythes. Je me suis emparé de ces trous biographiques. Et pour ces travaux d’écriture-là, j’ai dû me poser les mêmes questions que pour mes autres livres : comment raconter, comment traiter l’épaisseur documentaire, quelle doit être la place de la fiction, qu’est-ce qu’un roman,etc. </span><o:p></o:p></span></span></p> <p style="font-weight: bold;font-family:georgia;" class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--><span style="font-size:85%;"><span style="font-weight: bold;"> </span><o:p></o:p></span><!--[endif]--></p> <p style="font-weight: bold;font-family:georgia;" class="MsoNormal"><span style="font-size:85%;">Cette hybridation des genres est en effet très présente dans vos livres.<o:p></o:p></span></p> <p style="font-weight: bold;font-family:georgia;" class="MsoNormal"><span style="font-size:85%;"><span style="font-weight: normal;">Non, il ne s’agit pas d’hybridation mais d’un refus délibéré de la notion de genres. C’est une notion qui n’est plus opérante si jamais elle l’a été. Bossuet, ce n’est pas de la littérature religieuse et Sévigné, ce n’est pas de la littérature épistolaire. Cette notion de genres est une commodité universitaire, qui ne rend compte, à mon sens, que d’une partie de ce qui s’est passé au XIXe siècle. Écrire sur Bob Dylan, c’est tout à la fois comprendre la ville américaine et interroger le fonctionnement du roman. Tout est lié.</span><o:p></o:p></span></p> <p style="font-weight: bold;font-family:georgia;" class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--><span style="font-size:85%;"> <o:p></o:p></span><!--[endif]--></p> <p style="font-weight: bold;font-family:georgia;" class="MsoNormal"><span style="font-size:85%;">Et pour ce qui a trait à votre travail sur la fermeture de l’usine Daewoo, est-ce en lien avec un engagement politique, une volonté de témoigner?<o:p></o:p></span></p> <p style="font-weight: bold;font-family:georgia;" class="MsoNormal"><span style="font-size:85%;"><span style="font-weight: normal;">Il n’y a dans cet ouvrage aucun témoignage. Je n’ai interrogé personne. J’ai convoqué la forme journalistique de l’entretien au service d’une fiction. Il n’existait, dans le cas Daewoo, aucune archive, aucune mémoire. Quand il n’y a rien qui puisse porter témoignage, que peut-on apprendre sur ces mondes en train de disparaître ? J’ai écrit pour tenter de répondre à cette question. Et quelle que soit l’analyse politique qu’on peut en faire, et qui n’est certes pas absente, l’intention politique et la volonté de témoigner ne font pas de littérature. Il n’y a pas de littérature qui se valide sur cette volonté-là. En écriture, j’obéis à quelque chose. J’organise mon expérience du monde avec mon seul outil, le langage. L’architecture d’un texte, la construction d’une phrase qui tienne, voilà les seules questions qui vaillent. </span><o:p></o:p></span></p> <p style="font-weight: bold;font-family:georgia;" class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--><span style="font-size:85%;"> <o:p></o:p></span><!--[endif]--></p> <p style="font-weight: bold;font-family:georgia;" class="MsoNormal"><span style="font-size:85%;">Venons-en à votre dernier livre. Vous êtes au Hilton de Montréal pour un Salon du livre. Un incendie vous arrache à votre chambre en pleine nuit et vous en tient éloigné pendant quatre heures, en même temps que les autres clients de l’hôtel. Puis retour à la normale. Pas de victimes, juste quelques dégâts matériels, le plus parfait des non-événements en somme pour reprendre vos propres termes. Pourquoi avoir décidé d’en faire un livre ? <o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="font-family:georgia;"><span style="font-size:85%;">Si on le savait, on ne le ferait pas. Disons que dans ce livre, j’interroge le lien entre l’expérience directe et la littérature. C’est ce processus qui est l’objet de mon texte. J’ai voulu travailler sur un fragment de réel dont il ne restera rien, et ma question était : comment faire avec ça ? Avec quels discours travailler là-dessus ? Par exemple, alors que je me suis engagé dans l’écriture, je m’aperçois que le monologue intérieur ne fonctionne pas. Comment casser cette instance de discours ? Par quoi la remplacer ? Au fur et à mesure que se compose le puzzle des différentes strates de discours, on découvre qu’on se rapproche de quelque chose qui fait sens. En réalité, on s’explore soi-même. Le chantier de fouilles archéologiques, c’est moi, puisqu’il s’agit d’un roman. Beaucoup de peintres travaillent comme ça, avec des inclusions de matières différentes au sein d’une même oeuvre ; les musiciens aussi ; le « bridge » par exemple est une variation à l’intérieur d’un morceau de jazz. C’est en pensant à ça que j’ai choisi le nom de l’hôtel de Dreux au chapitre IX : le Bridge ; j’établis ainsi une analogie avec l’improvisation, si fréquente en musique. Dans l’écriture, l’improvisation, c’est ce qui se passe quand on s’est « mis à disposition », quand on s’est rendu disponible au surgissement de quelque chose de nouveau, d’inattendu. Il s’agit d’atteindre ce qu’on ne peut atteindre avec l’intention, encore moins avec l’engagement, de se laisser traverser. C’est difficile, et parfois peu plaisant. Ça casse le goût de la belle forme, de la belle phrase. Cette fibre-là a toujours existé dans la littérature, avec Artaud ou Agrippa d’Aubigné. C’est aussi ça qui se passe dans les ateliers d’écriture.<o:p></o:p></span></p> <p style="font-weight: bold;font-family:georgia;" class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--><span style="font-size:85%;"><span style="font-weight: normal;"> </span><o:p></o:p></span><!--[endif]--></p> <p style="font-weight: bold;font-family:georgia;" class="MsoNormal"><span style="font-size:85%;">Vous voyez l’atelier d’écriture comme un espace d’improvisation ? <o:p></o:p></span></p> <p style="font-weight: bold;font-family:georgia;" class="MsoNormal"><span style="font-size:85%;"><span style="font-weight: normal;">Une proposition d’écriture est pour moi comme une partition musicale. On la prépare, on la construit, elle mûrit tranquillement. Il faut souvent plusieurs séances pour savoir comment la mener. Puis dans cette instance collective qu’est l’atelier, ce qu’on découvre est toujours une surprise. C’est le surgissement de l’imprévisible qui fait pour moi sa force, cette espèce de mystère toujours renouvelée. Les ateliers d’écriture me mettent en permanence en contact avec ça et c’est pour cette raison que je les aime. Ils m’aident dans ma propre écriture.</span><o:p></o:p></span></p> <p style="font-weight: bold;font-family:georgia;" class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--><span style="font-size:85%;"> <o:p></o:p></span><!--[endif]--></p> <p style="font-weight: bold;font-family:georgia;" class="MsoNormal"><span style="font-size:85%;">Comment en êtes-vous venu à animer des ateliers d’écriture ? Comment s’est fait sentir cette nécessité-là pour vous ?<o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="font-family:georgia;"><span style="font-size:85%;">J’ai publié mon premier livre en 1982. Par la suite, j’ai continué à publier un livre tous les deux ans, à faire des émissions de radio, mais j’avais l’impression que le monde que j’utilisais dans mes livres s’était arrêté. Ce qui se passait au niveau de la ville, comment ceux qui y vivaient en parlaient, avec quels signes ils pensaient leur environnement, de tout cela je me sentais séparé. Puis un jour,<span style=""> </span>on m’a proposé<span style=""> </span>de travailler avec des lycéens de La Courneuve pendant une semaine. À cette époque, je ne connaissais même pas l’expression atelier d’écriture. Mais je m’étais fait la réflexion que, pour apprendre la philosophie, on la pratiquait en classe alors qu’il n’existait rien d’équivalent dans l’enseignement de la littérature. Je suis venu avec un texte de Perec et un autre de Kafka et j’ai eu envie d’explorer ce qui se passait avec ces jeunes quand on les faisait écrire. Cette exploration, depuis, n’a pas cessé. J’anime des ateliers d’écriture parce que j’aime la langue et que je peux guider les participants techniquement, dans la langue. Mon point de vue est esthétique, qu’il s’agisse de SDF ou d’enseignants. Je leur dis : voilà pourquoi ce que tu as écrit est beau. Je les guide aussi dans la réécriture, en leur conseillant par exemple des livres, des auteurs, des procédés à regarder de plus près. Après chacun fait sa route. J’estime que l’atelier d’écriture participe d’une démarche de transmission de ce qu’est la littérature et y occupe une place absolument vitale.<span style=""> <br /></span></span></p><p face="georgia" class="MsoNormal"><br /></p><p style="font-family: georgia;" class="MsoNormal"><span style="color: rgb(102, 51, 102);">Publié dans l'Orient Littéraire d'Août 2009.</span><br /><span style="font-size:85%;"><span style=""></span><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style=";font-family:georgia;font-size:85%;" ><span style=""> </span></span><o:p></o:p></p> <!--EndFragment-->Georgia Makhloufhttp://www.blogger.com/profile/04834309551444366604noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1341314854360589444.post-86243718962266858632009-09-20T15:00:00.000-07:002009-09-21T09:01:50.096-07:00François Bégaudeau : « Le réel est le meilleur pourvoyeur d’écriture . » Portrait.<span style="font-size:14pt;"><b><!--[endif]--><o:p></o:p></b></span> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal" style="margin-left: 21.3pt; text-align: justify; font-family: georgia; font-weight: bold;"><span style="font-size:85%;">Chanteur, journaliste, enseignant, écrivain, critique de cinéma, scénariste, François Bégaudeau est tout cela à la fois, et sans doute est-il capable de nous surprendre dans d’autres rôles encore. Il endosse ces casquettes successives avec aisance, se reconnaissant davantage dans cette souplesse, dans cet éclectisme que dans l’une ou l’autre de ces fonctions. « <i>Je n’ai pas envie d’être un pur écrivain, </i></span><span style="font-style: normal;font-size:85%;" >dit-il</span><span style="font-size:85%;"><i>, ça m’angoisse. J’aime au contraire circuler dans des milieux différents, traverser les frontières parfois étanches qui séparent les différentes classes sociales ou les différents milieux professionnels en France. Cette circulation me met dans une position d’observation privilégiée, et produit des effets de réalité très intéressants, qui enrichissent ma réflexion et mon travail. </i></span><span style="font-style: normal;font-size:85%;" >» Son travail justement se nourrit de ces observations, et il a publié plusieurs ouvrages qui prennent appui sur des réalités sociales, dont « Débuter dans l’enseignement » ou « Une année en France » qui aborde des thèmes comme les banlieues, l’école, le référendum ... D’où une question qui revient souvent dans les interviews ou les articles qui lui sont consacrés, celle de l’engagement, et qui l’irrite. S’il affirme volontiers que « </span><span style="font-size:85%;"><i>le réel est le meilleur pourvoyeur d’écriture </i></span><span style="font-style: normal;font-size:85%;" >», il s’agace de cette étiquette qui lui colle à la peau depuis la publication de son texte dans l’ouvrage collectif « Devenir du roman », dans lequel il pointait la réticence des écrivains français contemporains face à l’engagement. « </span><span style="font-size:85%;"><i>Dans cette notion d’engagement, il y a quelque chose de volontariste qui procèderait d’une mauvaise conscience bourgeoise que je récuse. Je crois que l’on écrit sur ce qui nous touche, et je suis touché et même passionné par l’état de la société en France, comme me passionnent toutes les questions tournant autour du politique et du vivre ensemble. Mais le foot ou le rock m’ont tout autant passionné et, de cette passion aussi sont<span style=""> </span>nés des livres. »<o:p></o:p></i></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin-left: 21.3pt; text-align: justify; font-family: georgia; font-weight: bold;"><span style="font-size:85%;"><i><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></i></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin-left: 21.3pt; text-align: justify; font-family: georgia; font-weight: bold;"><span style="font-size:85%;">« Entre les murs » publié en 2006 et qui a obtenu le prix France Culture –Télérama est ainsi un ouvrage saisissant, une plongée dans le quotidien d’un collège durant une année scolaire. Cent trente-six jours de présence, un fait saillant par jour, les différentes scènes qui composent le livre se passent dans la salle des profs, dans le bureau du proviseur, mais surtout entre les murs de la salle de classe. Elles donnent à voir et à entendre les échanges symptomatiques de tout ce qui fait la vie des élèves au fil des jours. L’écriture de Bégaudeau se fait ici l’écho de tout ce qui se trame autour des faits de langue dans l’école d’aujourd’hui : langue académique des apprentissages ou langue orale des échanges ; langue légitime des professeurs et des institutions ou langue vivante, colorée, métissée des jeunes ; langue classique de la culture française parfois alourdie d’archaïsmes et parler « banlieues », inventif mais souvent à contretemps des usages justes : toutes ces situations d’énonciation sont abordées dans le livre, avec une attention fine aux détails, une sensibilité aux nuances dans le sens des mots, dans leurs usages, dans la tournure des phrases ou la ponctuation, et un humour qui sonne toujours juste. Plus que n’importe quel ouvrage de sociologie ou de linguistique, ce livre est un passionnant document pour qui s’intéresse au fonctionnement du langage dans le monde d’aujourd’hui et en particulier au langage des ados que Bégaudeau</span><span style=";font-size:85%;" > </span><span style="font-size:85%;">décrit comme <i>« scandé, corporel, ponctué de mouvements de bras. Il se donne à voir autant qu’à entendre. </i></span><span style="font-style: normal;font-size:85%;" >»<o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin-left: 21.3pt; text-align: justify; font-family: georgia; font-weight: bold;"><span style="font-size:85%;">Pourtant, même s’il a cherché à être le plus objectif possible, il y a bien un point de vue, des choix d’écriture et de composition. «<i> Écrire, c’est pour moi rectifier une tendance majoritaire. À propos de l’école, cette tendance consiste à répéter : attention violence, et à faire le procès d’une jeunesse désinvestie. J’ai donc voulu rectifier cette image de violence et montrer une jeunesse énergique, vivante, volontaire et attachante. » <o:p></o:p></i></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin-left: 21.3pt; text-align: justify; font-family: georgia; font-weight: bold;"><span style="font-size:85%;"><i><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></i></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin-left: 21.3pt; text-align: justify; font-family: georgia; font-weight: bold;"><span style="font-size:85%;">À propos de son dernier livre, quand on lui fait remarquer qu’il aurait pu tout aussi bien s’intituler aussi « Entre les murs », et qu’il ressemble au précédent dans son souci de s’intéresser au fonctionnement concret du langage, il sourit. S’il n’avait pas pensé à la métaphore carcérale pour parler de l’école, il ne s’agit plus ici de métaphore puisque c’est à Florence Aubenas qu’il s’intéresse dans « Fin de l’histoire ». Florence Aubenas, on le sait, passe cinq mois de captivité en Irak et, de retour en France, donne une conférence de presse de quarante-cinq minutes, conférence de presse qui impressionne par son souci de justesse, par son sens aiguisé de l’éthique journalistique, par sa volonté de désamorcer toutes les images faciles et convenues quant au vécu de la détention et au statut de héros moderne de l’otage. Mais Bégaudeau se dit également impressionné par les « <i>stratégies comiques</i></span><span style="font-style: normal;font-size:85%;" > » que déploie Aubenas, par « </span><span style="font-size:85%;"><i>sa gouaille féminine qui est un fait d’époque </i></span><span style="font-style: normal;font-size:85%;" >» et qui est révélatrice des changements importants qui ont affecté le statut des femmes depuis Mai 68. </span><span style="font-size:85%;"><i>« L’événement<span style=""> </span>de ce jour-là est qu’elle existe avec ce corps-là, ce bagout-là. Elle est une fille de Mai 68 parce que c’est vraiment une femme libre, la suprême liberté étant, pour moi, cette capacité à rire de soi y compris dans les moments les plus difficiles. Sa désinvolture est éminemment moderne. » <o:p></o:p></i></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin-left: 21.3pt; text-align: justify; font-family: georgia; font-weight: bold;"><span style="font-size:85%;">Bégaudeau affirme que son projet d’écriture s’est formé au moment - même où il assistait à la conférence de presse, parce qu’il avait le sentiment d’assister, ne craint-il pas d’affirmer, à une « <i>révolution dans la geste sentimentale de l’humanité </i></span><span style="font-style: normal;font-size:85%;" >», révolution qui se marque par « </span><span style="font-size:85%;"><i>la fin de la privation de parole<span style=""> </span>qu’ont subie les femmes, y compris la parole comique<span style=""> </span>qui ne leur appartenait pas ou peu jusque-là. </i></span><span style="font-style: normal;font-size:85%;" >»<o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin-left: 21.3pt; text-align: justify; font-family: georgia; font-weight: bold;"><span style="font-size:85%;">Quant au choix du titre, il peut être compris à un double niveau. Comme se référant à la volonté de Florence Aubenas de mettre un point final à son histoire d’otage pour retrouver, autant que faire se peut, sa vie d’avant, sans se donner davantage en pâture aux médias toujours avides de sur - exploiter le drame et l’émotion. Mais également comme annonçant la fin de l’Histoire. Tout en se défendant de cette deuxième interprétation, forcément grandiloquente, Bégaudeau avoue avoir « <i>envie de titiller les Français dans leur historiophilie maladive. La France aime beaucoup se baigner dans de grands récits, se regarder dans le mouvement de son Histoire, analyser les événements qui fondent son identité. Ici, j’introduis un changement de focale. L’Histoire continue, mais à côté du grand récit, il y a les petits récits auxquels j’ai envie de m’intéresser, il y a l’histoire des femmes. Il se passe quelque chose de ce côté-là, qui se marque dans leur corps, leur façon de parler.»<o:p></o:p></i></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin-left: 21.3pt; text-align: justify; font-family: georgia; font-weight: bold;"><span style="font-size:85%;"><i><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></i></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin-left: 21.3pt; text-align: justify; font-family: georgia; font-weight: bold;"><span style="font-size:85%;">Et tout cela, a t-on envie de lui demander, tout cela fait-il un roman ? Forcément, la question lui déplait, lui qui a écrit là-dessus, lui qui est « <i>mal à l’aise avec ce genre impossible à définir. » </i></span><span style="font-style: normal;font-size:85%;" >Il se réfère à l’expression de Marthe Robert qui en parlait comme d’un</span><span style="font-size:85%;"><i> « genre cannibale. » « Tout lui est bon</i></span><span style="font-style: normal;font-size:85%;" >, enchaîne t-il</span><span style="font-size:85%;"><i>, il avale tout, et c’est ce que j’aime en lui : sa souplesse, son caractère hybride, bâtard. Pourtant dans le mot roman, le public continue à entendre récit romanesque, épique. De là le malentendu. »<o:p></o:p></i></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin-left: 21.3pt; text-align: justify; font-family: georgia; font-weight: bold;"><span style="font-size:85%;"><i><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></i></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin-left: 21.3pt; text-align: justify; font-family: georgia; font-weight: bold;"><span style="font-size:85%;">François Bégaudeau</span><span style=";font-size:85%;" > </span><span style="font-size:85%;">a créé avec une bande de copains la revue « Inculte » à laquelle il contribue régulièrement. Revenant sur le choix pied- de- nez du titre, il parle d’une envie de traiter de sujets sérieux dans une langue dédramatisée, déjargonisée, d’une volonté d’appréhender les thèmes abordés en amateur et non en spécialiste. Tout cela qui est emblématique de sa démarche car, dit-il, <i>« le monde intellectuel a besoin de dérision. »<o:p></o:p></i></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin-left: 21.3pt; text-align: justify; font-family: georgia; font-weight: bold;"><span style="font-size:85%;"><i><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></i></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin-left: 21.3pt; text-align: justify; font-family: georgia; font-weight: bold;"><span style="font-size:85%;">Bibliographie.<o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin-left: 21.3pt; text-align: justify; font-family: georgia; font-weight: bold;"><span style="font-size:85%;">Jouer juste. </span><span style="font-weight: normal;font-size:85%;" >Editions Verticales, 2003.<o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin-left: 21.3pt; text-align: justify; font-family: georgia; font-weight: bold;"><span style="font-size:85%;">Dans la diagonale. </span><span style="font-weight: normal;font-size:85%;" >Editions Verticales, 2005.</span><span style="font-size:85%;"><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin-left: 21.3pt; text-align: justify; font-family: georgia; font-weight: bold;"><span style="font-size:85%;">Un démocrate :Mick Jagger</span><span style="font-weight: normal;font-size:85%;" >. Naïve, 2005.<o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin-left: 21.3pt; text-align: justify; font-family: georgia; font-weight: bold;"><span style="font-size:85%;">Entre les murs</span><span style="font-weight: normal;font-size:85%;" >. Editions Verticales, 2006.<o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin-left: 21.3pt; text-align: justify; font-family: georgia; font-weight: bold;"><span style="font-size:85%;">Débuter dans l’enseignement. Ouvrage collectif. </span><span style="font-weight: normal;font-size:85%;" >ESF, 2006</span><span style="font-size:85%;">.<o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin-left: 21.3pt; text-align: justify; font-family: georgia; font-weight: bold;"><span style="font-size:85%;">Devenir du roman. Ouvrage collectif. </span><span style="font-weight: normal;font-size:85%;" >Naïve, 2007.</span><span style="font-size:85%;"><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin-left: 21.3pt; text-align: justify; font-family: georgia; font-weight: bold;"><span style="font-size:85%;">Une année en France. Ouvrage collectif. </span><span style="font-weight: normal;font-size:85%;" >Gallimard, 2007.<o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin-left: 21.3pt; text-align: justify; font-family: georgia; font-weight: bold;"><span style="font-size:85%;">Fin de l’histoire. </span><span style="font-weight: normal;font-size:85%;" >Editions Verticales, 2007.</span></p><p class="MsoNormal" style="margin-left: 21.3pt; text-align: justify;"><span style="font-weight: normal;"><span style="font-weight: bold;font-size:85%;" ><span style="color: rgb(102, 51, 102); font-family: georgia;">Publié dans l'Orient Littéraire de décembre 2007.</span></span><br /></span></p><p class="MsoNormal" style="margin-left: 21.3pt; text-align: justify;"></p><p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><i><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></i></p> <!--EndFragment-->Georgia Makhloufhttp://www.blogger.com/profile/04834309551444366604noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1341314854360589444.post-80732868825312193982009-08-28T05:38:00.000-07:002009-08-28T05:47:54.989-07:00Anne Wiazemsky rend hommage à ces héros si romanesques, ses parents.<span style="font-style: italic; color: rgb(102, 51, 102); font-family: georgia;font-family:georgia;font-size:85%;" >Anne Wiazemsky s’est fait connaître comme comédienne dès sa dix-huitième année, tournant avec Bresson, Pasolini, Godard, Ferreri ou Garrel avant d’aborder le théâtre avec Fassbinder ou Novarina et la télévision. Elle débute sa carrière d’écrivain sur la pointe des pieds, par la nouvelle tout d’abord, (Des filles bien élevées</span><span style="font-style: italic; color: rgb(102, 51, 102); font-family: georgia;font-family:georgia;font-size:85%;" > reçoit le grand prix de la Société des Gens de Lettres en 1988) puis par le roman avec, entre autres, Mon beau navire</span><span style="font-style: italic; color: rgb(102, 51, 102); font-family: georgia;font-family:georgia;font-size:85%;" > (1989), Marimé</span><span style="font-style: italic; color: rgb(102, 51, 102); font-family: georgia;font-family:georgia;font-size:85%;" > (1991), Canines</span><span style="font-style: italic; color: rgb(102, 51, 102); font-family: georgia;font-family:georgia;font-size:85%;" > (prix Goncourt des Lycéens en 1993) ou Une poignée de gens</span><span style="font-style: italic; color: rgb(102, 51, 102); font-family: georgia;font-family:georgia;font-size:85%;" > qui obtient le grand prix de l’Académie Française en 1998.Tous ses livres sont publiés aux éditions Gallimard. Elle est par ailleurs juré du prix Médicis. <o:p></o:p></span> <p style="color: rgb(102, 51, 102); font-style: italic; font-family: georgia;font-family:georgia;" class="MsoNormal"><span style="font-size:85%;"><span>Ses romans ont souvent une dimension autobiographique. Elle y évoque ses racines familiales (elle est, par sa mère, la petite-fille de François Mauriac), ses débuts au théâtre, son enfance vagabonde ou les origines russes de son père. Son dernier livre, Mon enfant de Berlin, ne déroge pas à la règle. Elle raconte cette fois la rencontre entre ses parents dans le Berlin dévasté de l’immédiat après-guerre. Claire Mauriac est ambulancière à la Croix-Rouge, affectée à la</span><span> </span><span>Division des Personnes Déplacées. Yvan Wiazemsky, originaire de St Petersbourg, a émigré avec sa famille au moment de la révolution et a obtenu la nationalité française après avoir été longtemps apatride. Il est l’officier français le plus populaire du 96, Kurfürstendamm et ses talents de négociateur ainsi que sa connaissance des langues lui donnent un rôle de premier plan lorsqu’il s’agit d’obtenir le retour de prisonniers français. </span><o:p></o:p></span></p> <p style="font-family: georgia; color: rgb(102, 51, 102);" class="MsoNormal"><span style="color: rgb(102, 51, 102); font-style: italic;font-size:85%;" ><span style="color: rgb(102, 51, 102);">Deux personnages dissemblables et qui n’auraient jamais dû se rencontrer, le décor éminemment romanesque d’un Berlin dévasté, voilà le matériau dont la romancière va faire son miel. Elle nous a accordé le premier entretien suivant la parution de son livre, soulignant avec pudeur à quel point les premiers interviews sont difficiles car elle est encore « dans la tristesse que le livre soit fini, et dans une certaine timidité de le livrer ainsi au jugement des autres » </span></span><span style="font-size:85%;"><span style="color: rgb(102, 51, 102); font-style: italic;"><span style="color: rgb(102, 51, 102);">alors qu’elle n’a </span></span><span style="color: rgb(102, 51, 102); font-style: italic;"><span style="color: rgb(102, 51, 102);">« pas encore trouvé les mots pour en parler ».</span></span><i><o:p></o:p></i></span></p> <p style="font-family: georgia; color: rgb(102, 51, 102);" class="MsoNormal"><span style="font-size:85%;"><i><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></i></span></p> <p class="MsoNormal"><b>Pourquoi ce livre aujourd’hui ? De quelle manière en avez-vous ressenti la nécessité à ce point de votre parcours d’écrivain ? <o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal">Je ne comprends toujours pas comment un livre se décide. Presque chaque fois, ça correspond<span style=""> </span>à une nécessité, mais dont la logique me demeure mystérieuse. De la même façon, je ne sais pas du tout ce que je vais écrire après. Quelque chose s’est sûrement joué dans un certain rapport avec mon livre précédent « <i>Jeune fille</i><span style="font-style: normal;"> ». Et il y a certainement aussi un lien souterrain<span style=""> </span>à y voir avec la question de mon âge. En réalité, tout se passe comme si c’était le livre qui me choisissait et non l’inverse. Je connaissais l’existence du journal de ma mère et des lettres. J’en avait lu une partie. Pourquoi ai-je soudain eu envie d’y revenir ? Je ne sais pas mais ce que je peux affirmer, c’est que dès que je m’y suis plongée, j’ai su que j’en ferai quelque chose. <o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><b>Les lettres qui ponctuent le livre, le journal dont vous donnez des extraits, sont donc bien réels. Il ne s’agit pas d’une invention d’écrivain ? <o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal">Non, rien de tout cela n’est inventé. J’ai lu, relu, classé. J’ai tout de suite senti que je tenais là une matière vraiment romanesque et j’ai éprouvé le désir très fort de restituer une parole à cette jeune femme. Pendant l’écriture, j’ai oublié qu’il s’agissait de mes parents. Ils étaient devenus des personnages et j’ai adoré être avec eux.<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><b>Le processus d’écriture est-il différent lorsqu’il s’agit d’une fiction pure ou lorsqu’il s’agit d’un texte qui parle, in fine, de vos parents ?<span style=""> </span><o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal">Je crois que le processus est le même. Pendant le temps de l’écriture, je ne me pose que des problèmes d’écriture. Ce n’est qu’après que peuvent surgir des questions telles que pourquoi s’exposer de la sorte, des questions qui ont à voir avec le dévoilement et la pudeur.<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal">Cela dit, il est vrai que c’est la première fois que je donne la parole à quelqu’un de cette façon-là, que j’utilise des mots qui ont été réellement écrits par quelqu’un d’autre à un certain moment de sa vie. Je m’étais fait une promesse à moi-même, celle de ne pas modifier les textes, y compris lorsqu’ils étaient naïfs ou enfantins. J’ai sélectionné les morceaux, j’ai trié, mais jamais je ne me suis autorisée à réécrire.<span style=""> </span>La difficulté était d’équilibrer la partie qui dit « je », c’est-à-dire celle où Claire parle, et la partie romanesque où c’est moi qui raconte.<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><b>Où donc se trouve la fiction dans ce que vous appelez néanmoins « roman » ? <o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal">La fiction se trouve « entre ».<span style=""> </span>Il me manquait des pièces. Personne ne m’a raconté comment Wia a déclaré son amour à Claire par exemple. C’est grâce à ces trous que je me suis sentie libre. Je pense par ailleurs que c’est par la fiction qu’on s’approche au plus près de la vérité des êtres. Une phrase de Bresson m’a beaucoup aidée, m’a beaucoup inspirée tout au long de ce processus de création. Bresson disait : <i>« Je vous invente, mais je vous invente telle que vous êtes ».</i><span style="font-style: normal;"> C’est en réinventant Claire que je me suis approchée au plus près d’elle.<o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal">D’autres éléments appartiennent également à la fiction, comme le personnage de Hilde. J’en ai ressenti le besoin pour faire exister la version allemande de cette histoire. Il s’agit là d’un choix purement romanesque. Le processus d’écriture a donc consisté à tricoter des éléments de pure fiction avec ceux qui appartenaient à la réalité.<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><b>Ce n’est pas la première fois, me semble t-il, que la figure de votre mère est présente dans votre oeuvre ? <o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal">Il y a une dizaine d’années, j’ai écrit « <i>Hymnes à l’amour </i><span style="font-style: normal;">», juste après le décès de ma mère. Ce livre correspondait au versant noir du couple Claire/Wia. Il y a eu donc pour moi un réel bonheur à les retrouver ici dans leur dimension solaire. Dans « </span><i>Mon beau navire</i><span style="font-style: normal;"> », elle est également présente. La figure de la mère, c’est elle. Elle est donc très présente dans mon écriture. Je ne sais pas pourquoi, et je dirai même que je n’ai surtout pas envie de le savoir. Je suis une personne plus intuitive que cérébrale... <o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><b>Votre choix de<span style=""> </span>titre a quelque chose de très paradoxal. L’enfant de Berlin, c’est donc vous. Vous êtes ainsi fortement présente dans le titre, mais quasiment pas dans le récit. Vous ne vous mettez pas du tout en scène en tant que narratrice par exemple, écrivant le livre, réagissant à ce que vous découvrez. Pourquoi cela ?<o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal">En effet, je n’apparais que dans la scène finale, et même cette scène, j’ai hésité à la conserver. Je n’ai pas souhaité du tout me mettre en scène. J’ai écrit ce livre pour elle et lui, et pour tous ces gens avec qui ils ont accompli ce formidable travail. Cette dimension de témoignage n’était pas présente au début. Elle s’est dessinée petit à petit, à mesure que j’avançais. Tout le monde a oublié le travail inouï de cette Division des Personnes Déplacées et j’ai souhaité le mettre en lumière et rendre hommage à ces gens, à ces filles de la Croix-Rouge, à leur courage et leur abnégation. Il y a donc quelque chose de quasi militant pour moi dans ce projet d’écriture, une volonté de lutter contre l’oubli. <o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal">Quant au titre, il s’est imposé à moi comme une évidence, et mon éditeur l’a tout de suite approuvé.<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><b>Vous mettez en scène une héroïne qui ne veut surtout pas exister comme « fille de » mais<span style=""> </span>se construire par elle-même et qui y met une énergie immense. Et vous-même, comment avez-vous vécu cette filiation prestigieuse, le fait d’être « la petite-fille de » ? <o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal">Claire en effet avait une volonté farouche d’exister autrement que dans sa famille. Le sort des filles à cette époque-là, c’est comme si c’était une autre civilisation. Une fille de la bourgeoisie était appelée à rester dans son cadre familial, puis à se marier et à faire des enfants. Claire a mis toute son énergie à exister autrement et ce malgré les obstacles. Et c’est pourquoi il va falloir qu’à mon tour, je fasse de gros efforts pendant les interviews que je donnerai pour ne pas dire « maman », pour la laisser exister en tant que Claire.<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal">Moi aussi, de la même façon, j’ai souhaité exister en dehors de cette filiation-là. Ce n’est pas pour rien que j’ai attendu 38 ans avant d’écrire. Il a fallu que je me construise d’abord une identité ailleurs pour oser écrire. J’avais une relation très forte avec mon grand-père, et je savais que j’écrirai un jour, mais les choses parfois se font autrement, de façon plus lente, plus souterraine. Dans le métier d’actrice, il y a des périodes de chômage difficiles à vivre et qui me sont devenues de plus en plus difficiles. J’ai commencé à écrire en cachette, pour sauver ma peau. C’était des nouvelles, que j’ai montrées à des amis et qui les ont proposées à des éditeurs. Les choses ont commencé comme ça. Enfant, j’avais écrit des romans plagiés sur « <i>Le club des cinq </i><span style="font-style: normal;">». Ma grand-mère me les tapait à la machine et les trouvait très bien. Mon grand-père lui, ça ne l’intéressait pas du tout. Par contre, le cinéma, que je fasse des films, ça l’épatait, il trouvait ça formidable.<o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><b>Ce grand-père qui a beaucoup compté, il parait très absent dans votre dernier livre. Il intervient peu et n’écrit pas, ou très peu, à sa fille. <o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal">Il était à cette époque extrêmement occupé. La pression des événements était forte, il était pris dans la tourmente ; il était réellement happé par le politique. Et il savait pouvoir compter sur son épouse, il savait qu’elle assurait tout ce qui importait pour la stabilité, la continuité du cadre familial.<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><b>L’écriture vous a t-elle permis de découvrir quelque chose de nouveau pour vous-même au sujet du couple parental ? Est-ce ainsi que vous les perceviez avant de vous engager dans ce projet de livre ? <o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal">D’avantage que de découvrir mes parents autrement, ce livre m’a permis de leur redonner la parole. La lettre de Wia, celle qu’il envoie pour se défendre par exemple, je savais qu’elle existait mais je ne la connaissais pas, je ne l’avais jamais lue. Elle m’a bouleversée. Je l’ai reproduite sans y changer une virgule.<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><i>« Hymnes à l’amour </i><span style="font-style: normal;">» était né de façon différente. Il faisait suite à la mort brutale de ma mère. Dans ces circonstances, on se trouve dans l’obligation de vider un appartement, on est face à des objets, des meubles, des livres, qui racontent des tranches de vie parfois inconnues de nous. Ce qui m’a le plus bouleversée alors, ça a été le testament de mon père dont je ne connaissais pas l’existence et qui m’a fait découvrir de lui des choses que j’ignorais<span style=""> </span>totalement.<o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><b>Compte tenu de tout ce que vous racontez là au sujet de la naissance de <i>« Mon enfant de Berlin</i></b><span style="font-style: normal;"><b> », pensez-vous que le terme de « roman » qu’on voit sur la couverture soit le terme adéquat pour désigner ce livre ? <o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal">Oui, c’est bien un roman. A partir du moment où c’est la mémoire qui est sollicitée, il y a nécessairement recomposition et<span style=""> </span>réécriture. C’est aussi un roman par la liberté que je prends de les présenter sous un certain angle, un certain éclairage. Il y a une réelle volonté de ma part de les mettre en valeur de cette manière-là.<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><b>Pour conclure, j’ai envie de vous demander quel regard vous portez sur la production romanesque française actuelle et comment vous vous situez au sein de cette production ?<o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal">Pour toutes sortes de raisons différentes, et entre autres parce que je suis juré du prix Médicis, je m’abstiendrai de vous répondre. Je me contenterai de vous dire que je me sens très proche de quelqu’un comme Modiano par exemple. Ou de Perec dont j’ai envie de citer une phrase extraite de « <i>W ou le souvenir d’enfance </i><span style="font-style: normal;">» et qui exprime très exactement ma démarche pour ce dernier livre : « </span><i>J’écris parce que nous avons vécu ensemble et que j’étais un parmi eux, ombre au milieu de leurs ombres, corps près de leurs corps. J’écris parce qu’ils ont laissé en moi leur marque indélébile et que la trace en est l’écriture. L’écriture est le souvenir de leur mort et l’affirmation de ma vie ». <o:p></o:p></i></p> <p class="MsoNormal"><span style=""> </span><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><i><span style=""> </span></i><span style="font-style: normal;"><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><i><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></i></p> <p class="MsoNormal"><b><i><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></i></b></p> <p class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <span style="color: rgb(102, 51, 102); font-weight: bold;">Publié dans l'Orient Littéraire de Septembre 2009.</span> <p class="MsoNormal" style=""><span style="color: rgb(102, 51, 102); font-weight: bold;"> </span><o:p></o:p></p> <!--EndFragment-->Georgia Makhloufhttp://www.blogger.com/profile/04834309551444366604noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1341314854360589444.post-55564972257465696882009-08-27T12:48:00.000-07:002009-08-27T12:56:46.479-07:00Rawi Hage ou le roman des destins brisés.<span style="color: rgb(102, 51, 102); font-style: italic; font-family: georgia;">Rawi Hage est né à Beyrouth en 1964. Il a donc connu la guerre alors qu’il était adolescent. Il quitte le Liban en 1984 pour s’installer à Montréal. Il partage actuellement sa vie entre les arts visuels - il intervient en tant que commissaire d’expositions -</span><span style="color: rgb(102, 51, 102); font-style: italic; font-family: georgia;"> </span><span style="color: rgb(102, 51, 102); font-style: italic; font-family: georgia;">et l’écriture. De Niro’s game, son premier roman a obtenu de nombreuses et prestigieuses récompenses et en particulier le prix des Libraires du Québec. Analyse et rencontre avec un écrivain singulier.</span><br /><br /><br />Le roman de Rawi Hage se déroule pour l’essentiel dans le Beyrouth des années 80, dévasté par les bombes et livré au chaos, et plus particulièrement dans le Beyrouth chrétien. Immeubles éventrés, jeunes désoeuvrés qui se métamorphosent en miliciens assoiffés de pouvoir et d’argent facile,<span style=""> </span>petits chefs de guerre en quête d’ « héroïsme » bon marché, junkies en manque de hashish ou de cocaïne, simples citoyens dont la vie se met à ressembler<span style=""> </span>à un long cauchemar sans issue, le décor est douloureusement familier à tout lecteur libanais. On entre donc dans le livre à reculons, sur la défensive, avec la crainte de réveiller inutilement des fantômes (si peu) oubliés.<p></p> <p class="MsoNormal">Bassam et Georges, les deux amis d’enfance qui occupent le devant de la scène, ne sont pas, tant s’en faut, des personnages forcément sympathiques. Dans le morceau de ville meurtrie où ils sont, comme tant d’autres, pris au piège de la guerre, ils tuent leur ennui à coups de boulots minables, de maigres larcins et de soirées ternes et trop arrosées. Rêvant de gloire et de dollars, ils mettent au point une combine pour détourner une partie de la recette des machines à sous, dans une salle où Georges travaille et qui sert à alimenter une milice. Mais ils sont happés par une autre machine, infiniment plus impitoyable et sordide, celle de la violence ordinaire et néanmoins sans concessions de la guerre au quotidien. Entre opérations commandos et expéditions punitives, provocations armées et batailles musclées, massacres de camps et fol engrenage de la vengeance,<span style=""> </span>ils sont pris dans le vertige d’une (il) logique sans fin et sans espoir. </p> <p class="MsoNormal">L’écriture de Rawi Hage juxtapose le réalisme le plus sordide aux envolées lyriques, et si la lecture de certains passages fait l’effet d’un coup de poing, on peut par moments être lassé par le style de la traduction française qui recourt trop souvent aux énumérations, certes ironiques, ou aux phrases longues et par moments indigestes. ( Exemple: <i>« Cette mer emplie de larmes de pharaons, d’épaves de vaisseaux pirates, d’ossements d’esclaves, où se déversaient des rivières d’eaux usées charriant des tampons hygiéniques français » </i><span style="font-style: normal;">ou </span><i>« Ces femmes possédaient généralement un appartement à Paris, un mari importateur de cigarettes, de conteneurs ou de pièces d’auto qui passait son temps en palabres dans des banques suisses, assis à des bureaux d’acajou massif occupés par le neveu du patron d’une chocolaterie ou le petit- fils d’un propriétaire de plantations de cacao africain sur lesquelles s’échinaient des ouvriers aux doigts meurtris, un mari qui travaillait sous un soleil ou l’autre même le samedi, même le vendredi. Ces maris-là dînaient dans des restaurants tapissés de velours... »</i><span style="font-style: normal;">et cela continue ainsi sur une demi page.) <o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal">Un texte courageux, qui a le mérite de regarder en face la terrible noirceur de la violence civile, qui dresse d’impitoyables portraits de toutes les trahisons, petites et grandes, provoquées par la guerre et qui ne cède pas à la tentation d’une fin plus souriante. Nulle rédemption donc. Mais on peut se demander par moments si le récit n’est pas écrit pour conforter le lecteur occidental dans la représentation nihiliste d’un monde sans espoir où tous les coups sont permis puisque toutes les idéologies sont mortes. Une lecture qui soulève donc nombre d’interrogations et qui a suscité des échanges parfois heurtés avec l’auteur.</p> <p class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal">Sur le choix du titre, Hage explique qu’il fait évidemment référence au film « The deer hunter » et à cette scène qui a tant marqué les esprits où De Niro joue sa vie à la roulette russe. Une scène qui a conduit nombre de miliciens libanais à<span style=""> </span>jouer de la même façon avec la mort. <i>« J’ai été très fortement impressionné par ce film et par le retentissement qu’il a eu. Les combattants l’ont dépouillé de toute autre signification pour n’en garder que cette scène qui semble révéler quelque chose de leur propre relation à la vie </i><span style="font-style: normal;">». Cette scène devient le coeur du livre et lui donne son titre. Un choix qui souligne également « </span><i>le poids des influences de la culture américaine dans cette partie du monde ».<o:p></o:p></i></p> <p class="MsoNormal">La question du public auquel il s’adresse le met mal à l’aise. Il écrit, dit-il, pour un lecteur informé de la guerre civile libanaise et de ses causes historiques, qu’il soit arabe ou occidental. Mais son propos n’est pas d’analyser, ni de chercher à comprendre. Il souhaite simplement observer des personnages se débattre dans le chaos des conditions de vie que leur impose la guerre et son cortège de violence. <i>« Ces personnages veulent survivre, et survivre n’est pas une question morale. Cela fait partie de la guerre de n’avoir pas le choix, de n’avoir que le choix de partir, de s’expatrier, ou celui de survivre en acceptant les règles du jeu de la guerre. Le pouvoir et l’argent ont été concentrés entre les mains d’une minorité et la seule alternative pour Georges et Bassam était de rejoindre les rangs de cette minorité ».<o:p></o:p></i></p> <p class="MsoNormal">Hage semble blessé par le reproche que lui adressent parfois certains intellectuels arabes qui le perçoivent comme <i>« un traître »</i><span style="font-style: normal;"> dit-il, parce que son propos n’est pas politiquement situé, et qu’il ne pose pas la question de la signification des comportements individuels. A quoi il répond qu’il se sent parfaitement légitime de ne traiter que de destinées individuelles, et que son point de vue singulier a toute sa raison d’être : </span><i>« Je traite de vies perdues, de destins ratés. Mes personnages sont des victimes. Ils sont pris au piège et ne comprennent pas ce qui leur arrive </i><span style="font-style: normal;">». Il souligne également qu’il se définit plus comme « </span><i>hybride</i><span style="font-style: normal;"> » que comme Libanais, ayant vécu plus de temps à l’étranger qu’au Liban. Et qu’à l’instar de ses personnages, il est sommé lui aussi de survivre, de trouver sa voie et sa juste place dans une société qui n’est pas la sienne. <o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal">La lecture de son livre est dérangeante et il le sait. Beaucoup de ses amis n’ont pas voulu la poursuivre jusqu’au bout. Mais il faut, dit-il, faire face à ce passé et se confronter à cette violence. Le temps de l’amnésie collective est terminé et il se sent proche de nombre d’artistes, peintres, cinéastes ou écrivains, qui souhaitent comme lui gratter là où ça fait mal. « <i>Comme en Afrique du Sud où il a bien fallu en passer par là pour aller vers autre chose, vers une réconciliation possible. Cela fait partie du travail de mémoire ».</i><span style="font-style: normal;"> <o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal">Mais ce livre dont le thème est celui des destins brisés des individus n’a t-il pas, somme toute,<span style=""> </span>une portée universelle qui déborde largement celui de la guerre civile libanaise ? Oui dit-il. <i>« J’ai rencontré des habitants de Sarajevo qui m’ont dit à quel point ils se retrouvaient dans l’expérience que je décris. Et le monde contemporain abonde de ces exemples d’individus traumatisés par des conditions de vie dures et qui les broient, guerres, famines ou émigration forcée. Et tous sommés de survivre coûte que coûte ».<span style=""> </span><o:p></o:p></i></p> <p class="MsoNormal">Pas de rédemption donc, mais une écriture qui se nourrit de l’énergie du désespoir.<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><b>Propos recueillis par téléphone et traduits par </b><!--[if supportFields]><b><span style="'mso-element:field-begin'"></span><span style="mso-spacerun: yes"> </span>CONTACT _Con-4012981C1 \c \s \l <span style="'mso-element:"></span></b><![endif]--><span style="" lang="EN-US"><b>Georgia Makhlouf</b></span><!--[if supportFields]><b><span style="'mso-element:field-end'"></span></b><![endif]--><b>.</b></p><p class="MsoNormal"><span style="color: rgb(102, 51, 102); font-weight: bold;">Publié dans L'Orient Littéraire d'Octobre 2008.</span><br /><b><o:p></o:p></b></p> <!--EndFragment-->Georgia Makhloufhttp://www.blogger.com/profile/04834309551444366604noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1341314854360589444.post-45146855548721592952009-08-27T11:35:00.000-07:002009-08-27T11:42:04.210-07:00Édouard Glissant et Patrick Chamoiseau : de la nécessité du poétique en temps de crise.<span style="color: rgb(102, 51, 102); font-style: italic;font-size:100%;" ><span style="font-family:georgia;">L’apport d’Édouard Glissant, poétique, littéraire ou philosophique est immense. Influencé depuis ses études d’ethnologie à la Sorbonne par la pensée d’Aimé Césaire, il est le fondateur de l’Institut du Tout-Monde, le père de l’idée de créolisation du monde, le penseur de l’identité multiple ou identité rhizome – concept inspiré des travaux de Deleuze et Guattari –, et son œuvre abondante est devenue incontournable. Depuis le Renaudot qu’il remporte en 1958 pour son premier roman La Lézarde,</span></span><span style="color: rgb(102, 51, 102); font-style: italic;font-family:georgia;font-size:100%;" > il a publié des essais, des recueils de poèmes et des textes littéraires qui ont tous trouvé un écho puissant auprès de toute une génération d’auteurs francophones. Directeur du Courrier de l’Unesco</span><span style="color: rgb(102, 51, 102); font-style: italic;font-family:georgia;font-size:100%;" > de1982 à 1988, il est actuellement Distinguished Professor au GraduateCenter de l’université de New York. Son dernier ouvrage s’intitule Philosophie de la Relation. Poésie en étendue</span><span style="color: rgb(102, 51, 102); font-style: italic;font-family:georgia;font-size:100%;" > (Gallimard).<o:p></o:p></span> <p style="font-style: italic; color: rgb(102, 51, 102);font-family:georgia;" class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;">Patrick Chamoiseau est en quelque sorte un fils spirituel d’Édouard Glissant. Prix Goncourt en 1992 avec Texaco</span><span style="font-size:100%;"> qui remporte un succès mondial, il est un écrivain majeur de la littérature caribéenne. Inventeur d’un style linguistique original qui intègre des éléments de la culture créole, il a abordé tous les genres, théâtre, roman ou essai. Écrivain engagé, il a signé avec Glissant Manifeste pour les produits de haute nécessité</span><span style="font-size:100%;"> ainsi que L’intraitable beauté du monde : adresse à Barack Obama. </span><span style="font-size:100%;">Il vient de publier chez Gallimard Les neuf consciences du Malfini.<o:p></o:p></span></p> <p style="font-style: italic; color: rgb(102, 51, 102);font-family:georgia;" class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><span style="color: rgb(102, 51, 102); font-style: italic;"><span style="font-family:georgia;">Nous les avons rencontrés à l’occasion du festival Étonnants Voyageurs où ils ont participé ensemble à plusieurs tables rondes passionnantes. Entretien à deux voix qui, chacune avec sa singularité, dialoguent en permanence pour inventer et bousculer, pour surprendre et interroger</span></span>.<o:p></o:p></span></p> <p style="font-style: italic; color: rgb(102, 51, 102);font-family:georgia;" class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></p> <p style="font-style: italic; color: rgb(102, 51, 102);font-family:georgia;" class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><!--[if !supportEmptyParas]--><span style="font-style: italic; color: rgb(102, 51, 102);font-family:georgia;" > </span><b><!--[endif]--><o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><b>Édouard Glissant, il y a un fil rouge dans votre activité d’écrivain, qui consiste à<span style=""> </span>penser ce que vous appelez une « littérature-monde » ; vous avez également pris l’initiative de créer l’Institut du Tout-Monde, lieu de rencontres et d’échanges pour donner à voir, sans la lisser, la diversité du monde. Pouvez-vous revenir sur cette notion, centrale dans votre œuvre, du Tout-Monde ?<br />É.G. </b></span><span style="font-size:100%;">Pour tout écrivain, il existe un espace constitué de son lieu, celui où il est né et où il a grandi, ou celui où il a choisi d’habiter ; autour de ce lieu, il y a l’espace du monde. Un écrivain n’a pas de raison d’écrire s’il n’établit pas de relation entre son lieu et le monde.<o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;">Dans les cultures occidentales, le lieu a joué un rôle primordial en raison de la nécessité de renforcer les nations, puis les États-nations ; cette nécessité a eu pour conséquence que le monde a été habité de deux manières : une manière absolument terrible liée à l’aventure coloniale, et une manière poétique, associée au rêve d’un ailleurs tel qu’on le rencontre chez Rimbaud, Mallarmé ou Apollinaire.<o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;">Aujourd’hui, le monde qui est toujours le terrain de puissances prédatrices est devenu inextricable, et cela crée des conditions nouvelles pour l’écriture. Cet inextricable, ce tremblement, cette opacité du monde sont des conditions dont il faut se débrouiller, et cela est difficile mais exaltant. C’est là que cette notion du Tout-Monde s’impose. Elle renvoie tout à la fois à la totalité du monde et à la nécessité où nous nous trouvons de l’aborder de manière nouvelle. Il nous faut non seulement habiter le monde, mais également le percevoir poétiquement. La poésie du monde est, à mon sens, le degré le plus haut de la littérature. C’est lorsque j’ai compris cela que la notion du Tout-Monde s’est imposée à moi, notion à la fois obscure et illuminatrice.<o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><b>Lorsqu’on parcourt en parallèle vos ouvrages à tous deux, on est frappé d’y trouver comme une correspondance intime. Peut-on penser par exemple, Patrick Chamoiseau, que votre dernier livre serait comme une fable qui se proposerait d’incarner cette notion du Tout-Monde ? <o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><b>P.C</b></span><span style="font-size:100%;">. Lorsqu’on regarde l’œuvre de Glissant, on ne sait pas où la classer. On ne sait pas s’il est romancier, philosophe ou poète. Il est un esprit créateur et moi, tout ce que je lis d’Édouard, je le lis en créateur. Je n’exerce aucune activité critique, j’essaie de me nourrir. J’ai eu la chance de découvrir l’œuvre d’Édouard Glissant très tôt. Il est vrai qu’elle a d’abord suscité mon rejet et ma colère ; je n’y comprenais rien, son esthétique me paraissait inabordable. J’y suis revenu avec la maturité. <i>Soleil de la conscience</i></span><span style="font-size:100%;"> en particulier m’a permis de saisir que l’apport fondamental de la littérature, c’est de nous permettre de vivre notre individuation à l’échelle du monde. Dans les Antilles par exemple, nous avons beaucoup de mal à comprendre qui nous sommes. Mais paradoxalement, c’est en plongeant dans la mosaïque de la créolité que l’on s’ouvre au Tout-Monde. La complexité de la totalité-monde est présente dans l’infiniment petit. Il nous faut donc sortir des verticalités orgueilleuses et se rapprocher d’une esthétique du Tout-Monde davantage par l’économie, la précision et la modestie que par la profusion. C’est cela que j’ai tenté de faire avec <i>Le Malfini</i></span><span style="font-size:100%;">. <o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><b>Glissant parle en effet de « l’infini détail », et vous suggérez que c’est par l’infiniment petit que l’on peut s’approcher d’une « esthétique du Tout-Monde »... <o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><b>P.C.</b></span><span style="font-size:100%;"> Le Malfini a du mal à faire le lien entre lui et l’infiniment petit, qu’il s’agisse d’un insecte ou d’une fleur des champs. Les grandes civilisations, elles aussi, ont du mal à faire le lien entre leur éclat, leur richesse et une langue méconnue parlée par un petit groupe humain. Alors que lorsqu’on rentre dans un processus d’appauvrissement des langues, toutes les langues s’appauvrissent simultanément. C’est un rapport à l’écologie, à la diversité, à la fluidité du vivant. Édouard dit qu’aucune langue ne peut se sauver seule. De la même façon, le Malfini comprend que son sort est lié à celui de la fourmi ou de l’abeille. Nous sommes sur le bateau du vivant, tous ensemble sur le même bateau et donc reliés. Toutes les vies se tiennent, nulle n’est centrale, plus digne, plus importante. Elles se lient, se relient, se relaient et se relatent avec les mêmes couleurs. <o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><b>Vous parlez tous deux beaucoup d’esthétique. N’est-ce pas plutôt d’une éthique qu’il s’agit ? <o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><b>É.G. </b></span><span style="font-size:100%;">Face à la complexité du monde, nous pouvons légitimement opposer aux grandes civilisations somptueuses de l’Europe avec leur prétention à la vérité absolue – prétention qui a donné naissance à des œuvres extraordinaires, mais également à des massacres sanglants – une énergie du vivant, un mouvement fondamental du vivant. Malgré la pauvreté, les guerres, les tentatives d’accaparement des richesses par certains pays au détriment d’autres, il y a une jubilation de l’énergie du monde. Cette énergie s’oppose à l’idée d’une vérité absolue. Il y a pour nous des vérités et non une vérité absolue qui intéresserait la totalité des peuples du monde. L’individu, où qu’il soit, doit aujourd’hui reconstruire son rapport au monde. Il n’a aucun moyen de le faire hors d’une poétique, d’une intuition, ou plutôt d’une triple intuition, celle de son rapport à lui-même, à autrui et au monde. Le recours à l’idéologie pour construire ce rapport au monde est voué à l’échec ; il est le symptôme de la solitude dans laquelle sont lâchés les individus, de leur abandon depuis que les structures traditionnelles qui les protégeaient<span style=""> </span>sont menacées .<o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><b>P.C.</b></span><span style="font-size:100%;"> Pour rebondir sur ce que vient de dire Glissant, j’aimerais ajouter que la littérature contemporaine doit avoir une dimension fondatrice. Elle a un rôle à jouer, celui d’aider les individus à construire leur architecture de valeurs. Le monde subit la pression des valeurs standardisantes et, face à cela, le poétique est nécessaire. Le poétique permet de vivre la complexité, de rentrer dans une pensée du tremblement, d’accepter de ne pas être dans la certitude. Il y a chez Glissant une phrase très forte et très éclairante pour moi : <i>« Rien n’est vrai, tout est vivant </i></span><span style="font-size:100%;">». J’aime l’idée de la nécessité de s’accommoder de l’incertitude, de l’angoisse, du tremblement du monde, tout cela qui existe déjà dans le vivant. Même la science doit rester disponible pour l’obscur et l’inexplicable et accepter que la vérité soit<span style=""> </span>provisoire et non définitive. À mon sens, le terrorisme est une forme de résistance qui n’a pas su s’accommoder de la complexité, de l’incertitude, et rester du côté de la beauté. <o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><b>Esthétique tout à l’heure, beauté à nouveau ; à l’évidence, cette notion du beau ne doit pas être entendue dans son sens habituel. <o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><b>É.G. </b></span><span style="font-size:100%;">La beauté, ce n’est pas le beau.<b> </b></span><span style="font-size:100%;">Il y a dans la beauté une dimension peu évidente. Je dirais qu’elle est le point où des différences s’accordent, et non le point où des semblables s’harmonisent. La beauté est toujours imprévisible ; elle ne réside pas dans la reproduction du même. <o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><b>P.C.</b></span><span style="font-size:100%;"> À l’inverse du beau qui est du côté de la norme, la beauté est toujours neuve, elle crée toujours du nouveau. Quand une nouvelle beauté surgit, elle nous bouleverse forcément parce qu’elle réorganise toute la perception que nous avons des choses. Chaque œuvre majeure redistribue les cartes, modifie notre façon de percevoir la beauté. Elle crée un traumatisme, une onde de choc, un déploiement horizontal, dans le sens que beaucoup d’œuvres seront inspirées par ce surgissement de beauté. Une nouvelle esthétique se développe, entre terreur et fascination. <o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><b>Il y a dans votre œuvre à tous les deux des ouvrages qui sont le fruit d’un long mûrissement, et d’autres qui semblent écrits dans l’urgence, pour réagir à chaud à des événements. On peut citer <i>Manifeste des produits de première nécessité</i></b></span><span style="font-size:100%;"><b> qui fait écho aux récents soulèvements en Martinique, ou <i>L’intraitable beauté du monde : adresse à Barack Obama.</i></b></span><span style="font-size:100%;"><b> Y a-t-il une frontière qui sépare l’engagement de l’écrivain et le reste de son œuvre ?<o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><b>É.G.</b></span><span style="font-size:100%;"> Sur ce point, c’est Chamoiseau qui doit répondre car c’est lui l’activiste. Cela dit, j’ai toujours pensé que l’écriture était vaine si elle ne savait pas s’ancrer dans le monde. S’agissant d’Obama par exemple, il m’a paru fondamental de se mobiliser pour expliquer ce qui était en jeu. Dans mon entourage, j’étais frappé de ce que les Noirs ne le trouvaient pas assez noir quand les Blancs le trouvaient trop noir. Il fallait absolument accompagner et favoriser ce moment de changement des intuitions et des sensibilités, tant aux USA que dans le reste du monde. L’élection d’Obama est pour moi une expression majeure de la créolisation du monde ; pour la première fois, le couple maudit noir/blanc est arraché à sa solitude acharnée puisqu’Obama est lui-même à la fois noir et blanc. Le vieux réflexe du face-à-face noir/blanc est fini.<o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><b>P.C.</b></span><span style="font-size:100%;"> Je crois aussi que nous faisons le monde que nous vivons. Lorsqu’un événement surgit, nous avons besoin d’interprétation. Il ne faut pas laisser le monopole de la lecture de l’événement aux économistes, il faut s’en emparer. L’économie est devenue dominante, elle a phagocyté le politique qui a disparu. Le poétique est notre principal moyen de reconstruire notre rapport au monde ; c’est ce qui nous permet de vivre la complexité et d’agir. Car il nous faut non seulement habiter le monde, mais être capable de le percevoir poétiquement.<o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><b>Peut-être faut-il revenir ici sur une réflexion que vous menez tous deux dans vos ouvrages, celle qui concerne la notion d’identité et que vous n’abordez pas de façons tout à fait analogues.<o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><b>É.G. </b></span><span style="font-size:100%;">La notion même d’identité a longtemps servi de muraille : faire le compte de ce qui est à soi, le distinguer de ce qui tient de l’Autre, qu’on érige alors en menace illisible, empreinte de barbarie. Le mur identitaire a donné les éternelles confrontations de peuples, les empires, les expansions coloniales, la traite des nègres, les atrocités de l’esclavage américain, et tous les génocides. <o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;">Je me suis inspiré de l’image développée par Deleuze et Guattari pour formuler la notion d’identité multiple ou d’identité rhizome. Chez Deleuze et Guattari, on trouve l’image de la racine unique qui tue autour d’elle ou de la racine multiple dont les éléments se renforcent mutuellement. J’oppose donc l’identité à racine unique et l’identité rhizome, celle des peuples métissés, en lien avec le phénomène de créolisation.<o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><b>P.C.</b></span><span style="font-size:100%;"> Si je me reconnais parfaitement dans toute la conception de la créolisation qu’on trouve chez Édouard, je crois néanmoins que les enjeux de la recherche identitaire ne doivent pas être négligés. Si l’on pense à ce qui s’est passé en Martinique par exemple, on voit une culture populaire, une philosophie de l’existence, apparues dans les plantations esclavagistes mais rabotées par la culture française. Il y a donc un risque de perte de cette culture. Il nous est donc apparu nécessaire de procéder à l’inventaire de cette culture, non pour s’y enfermer, mais pour prévenir sa disparition. Cela ressemble donc à la démarche identitaire traditionnelle, mais cela s’en différencie aussi. <o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><b>Édouard Glissant, vous parlez de votre rapport au temps comme d’un rapport « concassé », d’un rapport non occidental à la temporalité. Pouvez-vous clarifier cette notion qu’on retrouve dans nombre de vos textes ? <o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><b>É.G.</b></span><span style="font-size:100%;"> Dans tous mes romans, il y a une recherche de la mémoire et d’une conception du temps. Dans son œuvre, Proust construit une cathédrale temporelle. Sa mémoire remonte de manière harmonieuse et continue jusqu’aux principes premiers de la société. Pour nous Antillais, la colonisation nous a coupés de notre mémoire temporelle. Il serait absurde de tenter de retrouver une temporalité fluide et harmonieuse. Nous n’allons pas à la recherche du temps perdu parce que ce temps, nous ne l’avons jamais possédé pour le perdre. C’est un temps éperdu. Nous ne pouvons pas construire de cathédrale temporelle. Nous ne pouvons que sauter de roche en roche. Nous pouvons rattraper un temps à soi, mais de manière fragmentée seulement. Nous sommes forcément dans la complexité temporelle. <o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;">J’ajouterai qu’il nous faut avoir une vision prophétique du passé, non pas une vision qui détermine le présent, mais une vision qui ouvre à tous les présents possibles. Il nous faut dépasser l’analyse historique, nécessaire mais non suffisante. Il ne s’agit pas<span style=""> </span>de mettre en cage le passé pour décider de l’avenir, mais de prendre en compte l’incertain du passé pour penser l’avenir.<br /></span></p><p class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><br /></span></p><p class="MsoNormal"><span style="color: rgb(102, 51, 102); font-weight: bold;font-size:100%;" >Publié dans l'Orient Littéraire de Juillet 2009.</span><span style="font-size:100%;"><br /></span><span style="font-size:100%;"><o:p></o:p></span></p> <!--EndFragment-->Georgia Makhloufhttp://www.blogger.com/profile/04834309551444366604noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1341314854360589444.post-42200093674190237192009-08-27T11:22:00.000-07:002009-08-27T11:34:47.925-07:00Sylvie Germain : rendre compte de l’inaperçu du monde.<span style="font-size:100%;"><span style="font-family: times new roman; color: rgb(102, 51, 102); font-style: italic;">Née en 1954 à Châteauroux, Sylvie Germain a suivi des études de philosophie en Sorbonne avec Emmanuel Levinas qui exercera une influence durable sur sa pensée. Après son doctorat et quelques années au ministère de la culture, elle passe sept ans à Prague en tant que documentaliste et enseignante. Elle vit aujourd’hui à Angoulême. C’est Roger Grenier qui lui met le pied à l’étrier en éditant chez Gallimard en 1985 son « Livre des nuits » qui bouleversera les lecteurs et lui assurera d’emblée une communauté de fidèles inconditionnels. Suivront de nombreux romans souvent couronnés de prix, dont le Femina pour « Jours de colère » en 1989 et le Goncourt des Lycéens pour « Magnus » en 2005. Mais S.Germain s’est également intéressée très tôt à la mystique chrétienne et a régulièrement publié, parallèlement à son oeuvre romanesque, des essais sur la spiritualité et l’art. Son oeuvre est traduite dans une vingtaine de langues et fait l’objet de thèses et de colloques universitaires.</span></span><o:p></o:p><p></p> <p style="color: rgb(102, 51, 102); font-style: italic;font-family:times new roman;" class="MsoNormal"><span style="font-size:100%;"><span style="color: rgb(102, 51, 102); font-style: italic;">« Ecrire</span><span style="color: rgb(102, 51, 102); font-style: italic;">, dit-elle dans Magnus, </span><span style="color: rgb(102, 51, 102); font-style: italic;">c’est descendre dans la fosse du souffleur pour apprendre à écouter la langue respirer là où elle se tait, entre les mots, autour des mots, parfois au coeur des mots </span><span style="color: rgb(102, 51, 102); font-style: italic;">». C’est dans cette qualité de silence, dans cette posture d’extrême densité de la concentration que lui viennent des personnages, </span><span style="color: rgb(102, 51, 102); font-style: italic;">« à l’improviste et par effraction »</span><span style="font-style: normal;"><span style="color: rgb(102, 51, 102); font-style: italic;"> qui vont durablement imposer leur présence et auxquels il faudra donner une vie textuelle. Dans son dernier livre « L’inaperçu » (Albin Michel) son personnage est un drôle de Père Noël qui va durablement bouleverser le destin d’une famille. Roman qui questionne les origines et la construction de soi, qui croise les drames de l’Histoire et les tragédies individuelles, « L’inaperçu » est un texte d’une grande beauté qui, au-delà de la noirceur des événements traversés, s’achève sur une percée, un apaisement, une illumination.</span><b><span style="color: rgb(102, 51, 102);"><span style="font-style: italic;"> </span> </span><o:p></o:p></b></span></span></p> <p style="font-style: italic;font-family:times new roman;" class="MsoNormal"><b><!--[if !supportEmptyParas]--><span style="font-size:100%;"><span style="color: rgb(102, 51, 102);"> </span></span><!--[endif]--><o:p></o:p></b></p> <p style="font-style: italic; font-family: times new roman;" class="MsoNormal"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal"><b><!--[if !supportEmptyParas]--><span style="font-style: italic;font-family:times new roman;" > </span><!--[endif]--><o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal"><b>Je voudrais commencer cet entretien en vous interrogeant sur le beau titre de votre livre, « L’inaperçu ». Renvoie t-il au personnage principal, Pierre, ou plus globalement au fait que tant de choses dans nos vies nous restent inaperçues, incomprises ?<o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal">J’avais tout d’abord envisagé un autre titre : « Arborescence ». Mais il n’a pas convaincu autour de moi. On l’a trouvé trop poétique, ou au contraire, certains déploraient le fait qu’il pouvait renvoyer au vocabulaire informatique. Il ne faisait pas l’unanimité. Pour moi, je trouvais qu’il était en adéquation avec ce que je souhaitais raconter, à savoir l’histoire d’une famille, avec son arbre généalogique qui n’est jamais quelque chose de lisse, de droit, mais au contraire souvent tortueux, rhizomatique. Mais j’y ai renoncé. <o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal">Le titre retenu fait référence à la démarche d’un peintre auquel je suis très sensible, Rothko. Son<span style=""> </span>travail est une fenêtre ouverte sur le monde, sur l’inexploré du monde, sur un « inaperçu » qu’il s’est appliqué à rendre discernable, sensible. Dans mon roman, il s’agit de l’inaperçu de drames, de destins qui passent et aussitôt s’effacent sans laisser de traces, engloutis par les guerres, les révolutions, l’obscur du monde, l’indifférence. <o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal">Je crois que le travail de tout artiste consiste en cela : rendre perceptible, sensible, ce qui est dans le monde, ce que les autres et soi-même recelons, mais qui reste inaperçu faute d’attention, de sensibilité, et aussi par peur, par honte.<br />Ce terme a également beaucoup de sens dans une pensée religieuse. Mais ça, je ne m’en suis aperçue que par la suite. La trace du divin en l’homme reste souvent inaperçue, quand elle n’est pas niée, refusée. Ce qui souligne à quel point il y a proximité entre travail artistique ou intellectuel et travail spirituel. <o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><b>Votre livre a en effet pour sujet l’histoire d’une famille et il y a une question qui revient souvent sous votre plume : « Où et quand commence une famille ? » J’ai envie de vous renvoyer l’interrogation.<o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal">Je n’en sais rien vraiment, car c’est si différent pour chaque famille - selon l’histoire de chacun, son enracinement accepté ou pas, ses origines généalogiques établies ou non, dont il arrive que l’on soit fier parce qu’elles sont honorables, ou dont au contraire on a honte. Parfois encore cette mémoire est floue. Mais quoi qu’il en soit, la mémoire des générations passées influe sur la vie présente des familles. La dimension biologique n’est évidemment pas suffisante pour définir ce qu’est une famille. On assiste actuellement en Occident à une transformation profonde de la famille.<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal">Ce qui m’intéresse, ce sont les familles élargies, souples, avec des membres extérieurs qui parfois s’y<span style=""> </span>greffent et qui la transforment de façon importante, à l’instar du personnage de Pierre dans mon dernier roman, alors que certains de ses membres biologiques restent transparents, n’imprimant que très peu de<span style=""> </span>marque, de relief.<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal">Cela me fait penser à une phrase du Christ dans les Evangiles, déclarant à ceux qui lui annoncent que sa mère et ses frères sont là, dehors,<span style=""> </span>et le demandent, alors qu’il est en train de parler<span style=""> </span>à une foule : « Qui est ma mère ? Qui sont mes frères ? Quiconque fait la volonté de mon Père qui est aux cieux m’est un frère et une sœur et une mère. ». Il instaure ainsi une nouvelle idée de la fraternité, il fait voler en éclats les définitions traditionnelles, biologiques, claniques, il ouvre la famille sur un espace beaucoup plus vaste, vivace.<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><b>Vous en avez parlé d’entrée de jeu en évoquant le premier titre envisagé pour votre livre, vous y êtes revenue en parlant d’arbres généalogiques, vous incluez en ouverture de vos chapitres des citations qui parlent d’arbres, vous créez le beau personnage de Marie à qui on demande ce qu’elle veut faire plus tard et qui répond qu’elle veut devenir un arbre. Pourquoi cette récurrence du thème de l’arbre ?<o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal">J’ai une grande passion pour les arbres. J’aurais voulu moi-même devenir un arbre en grandissant, mais un arbre qui marche ! Et vous avez de la chance d’avoir, sur le drapeau de votre pays, un arbre. Je n’aime pas les drapeaux, mais le vôtre est très beau grâce à la présence du cèdre.<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal">L’arbre, ce sont des racines, mais c’est surtout cette belle figure de la croissance. Et des excroissances. Le dépérissement d’une branche ou d’un arbre entier peut être compensé par la naissance d’un autre arbre, par le biais de rejets, de<span style=""> </span>rhizomes.<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal">L’arbre, c’est aussi la graine, la sève, la fleur et le fruit, et le bois – du berceau au cercueil en passant par la maison, la table, la toiture…C’est extraordinaire tout ce que les arbres nous donnent, tout ce qu’ils nous permettent de faire, bâtir, de voguer, se chauffer... Peut-être mon prénom me prédestinait-il à aimer les arbres de la sorte ?<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><b>Vous avez fait référence à Rothko et vous le citez dans votre livre lorsqu’il dit : <i>« Les tableaux doivent être miraculeux. A l’instant où l’un est achevé, l’intimité entre la création et le créateur est finie ».</i></b><span style="font-style: normal;"><b> Vous dites vous-même que vous ne relisez jamais vos livres.<o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal">C’est vrai. Quelle que soit la valeur d’une oeuvre, à l’instant où un travail artistique est fini, tout ce qu’on a voulu y déposer, conscient ou inconscient, est là. Mais on n’y est plus. On doit se retirer pour être disponible à autre chose. L’œuvre doit rester libre, ouverte. Un auteur doit évidemment répondre de son travail, le porter, le défendre si besoin est. Mais non l’occuper complètement. Certains créateurs veulent contrôler toutes les interprétations de leurs oeuvres, tout maîtriser. Ce faisant, ils les étouffent.<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal">Il existe un très beau texte dans la mystique juive qui raconte de quelle façon, une fois la Création mise en place, Dieu se retire pour qu’une histoire advienne dans le monde, que la liberté des hommes s’y déploie.<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal">De la même façon dans une famille, si les parents ne savent pas se retirer pour laisser les enfants faire l’exercice de leur liberté, quels que soient les risques encourus, ils les empêchent de se construire. <o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><b>Ce que vous dites fait écho à un beau texte de Blanchot reprenant le mythe d’Orphée et Eurydice, et dans lequel il dit qu’il ne faut pas se retourner sur une oeuvre sous peine de la tuer. <o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal">En effet la nostalgie ou la complaisance nous font parfois nous retourner. Il existe là encore un beau texte biblique à ce sujet. La femme de Loth se retourne sur la ville qui brûle et elle est pétrifiée. Elle n’accepte pas la perte, la mise à distance. Orphée lui aussi se retourne trop tôt. Il cède à l’angoisse, à l’impatience, il ne fait pas confiance à la parole qui lui a été donnée.<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><b>Un autre parallèle me semble intéressant à établir entre votre démarche et celle de Rothko. A une admiratrice sensible à la force contemplative exprimée dans ses peintures et qui pensait qu’il devait être « mystique », Rothko avait répondu <i>: « Pas un mystique. Un prophète peut-être ; mais je ne prophétise pas les catastrophes à venir. Je me contente de peindre celles qui sont déjà là ». </i></b><span style="font-style: normal;"><b>Peut-on dire qu’à travers votre oeuvre et cette façon qui est la vôtre de revenir sans cesse sur des événements historiques violents et douloureux, vous cherchez également à être un prophète du présent ?<o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal">Cette phrase de Rothko a beaucoup de sens pour moi et peut-être est-ce que je lui prête un sens qui déborde celui auquel il pensait. Mais je m’en sens très proche. Soyons néanmoins vigilants avec le terme « mystique » utilisé à tort et à travers. Une erreur d’appréciation conduit souvent à y voir quelqu’un qui est coupé de la réalité. Or les mystiques ne sont pas coupés du réel, loin de là. Ils sont bien au contraire enracinés dans le réel et c’est ce qui leur permet finalement de tendre vers le ciel. Comme les arbres somme toute. Et voilà que nous y revenons. Mais c’est justifié : dans les iconographies juive et chrétienne, il existe des représentations de mystiques sous la forme d’arbres inversés,<span style=""> </span>branches vers le bas,<span style=""> </span>racines projetées vers le ciel. <o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><b>Et vous faites néanmoins un travail sur ces « catastrophes du présent » ... <o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal">Oui, en effet. Cela dit, il y a méprise, le plus souvent, sur ce que sont les prophètes et quel est leur rôle. Les prophètes ne sont pas des devins lisant dans l’avenir, ni des imprécateurs obstinés, ils disent juste ce qui risque d’arriver si on ne change pas de comportement. Ils ont un amour – très contrarié ! – pour leur peuple, un souci des autres, une connaissance profonde des mécanismes qui régissent les événements du monde et ils disent : attention ! Ils nous mettent en garde<b>. <o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal"><b>Et vous souhaitez aussi, à travers votre oeuvre, alerter ? <o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal">Je n’ai jamais l’idée de délivrer un message, je n’ai pas cette prétention. Lorsque j’écris, je questionne<span style=""> </span>et j’exprime ce qui me tourmente, j’explore l’humain – travail sans fin… <o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal">A travers l’écriture, je crois que l’on se met à l’écoute des questions qui sont en nous, que l’on<span style=""> </span>s’arrête pour réfléchir et mettre en mots ce qui nous hante.<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><b>On peut noter dans votre oeuvre en général, et également dans ce livre, la mise en scène récurrente de personnages vivant en marge de la société. Et parallèlement, l’importance du thème de l’effacement, de la disparition progressive des êtres, des choses, de la mémoire. <o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal">Je suis très intriguée, et souvent bouleversée par les personnes échouées à la marge de la société, et qui disparaissent parfois sans laisser de traces. Le journal <i>La Croix</i><span style="font-style: normal;"> édite tous les ans une liste de personnes<span style=""> </span>mortes dans la rue pendant l’année écoulée. Il y fait figurer leurs noms et prénoms, parfois leur surnom et leur âge. Souvent les âges sont indiqués de façon approximative : on écrira quarante ou cinquante ans environ. Si le surnom est « Momo », cela peut valoir pour Mohammed ou pour Maurice, la rue efface les différences d’origine.<o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal">Cette liste m’émeut profondément. La dernière fois que je l’ai lue, j’ai constaté que j’avais atteint l’âge du plus âgé d’entre ces disparus. Disparus en laissant cette seule trace : un nom sur une liste.<br />Ce n’est pour moi ni un choix ni une revendication, mais je suis touchée. Je ne fais pas partie de ce monde des exclus, certes, et on ne peut pas tricher avec ça. Mais ces destins inaboutis, ces vies naufragées retiennent davantage mon attention que d’autres thèmes, que d’autres existences plus remarquables, plus aisées, voire glorieuses. Question d’intérêt et d’affinité.<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal">Je ne sais jamais à l’avance quel roman je vais écrire. C’est chaque fois une improvisation totale. Mais le thème de l’effacement prend de plus en plus d’importance. Et finalement ce titre, <i>l’inaperçu,</i><span style="font-style: normal;"> y fait aussi référence. <o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><b>A plusieurs reprises durant notre entretien vous avez cité des textes religieux. Et votre oeuvre est souvent parcourue par la question du religieux et de la spiritualité. A quoi cela tient-il ?<o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal">Je suis issue d’une famille catholique mais l’enseignement religieux que j’ai reçu a été de faible qualité et peu structuré. A l’adolescence, j’ai été en crise et<span style=""> </span>me suis posée beaucoup de questions, puis je me suis détournée de la pratique religieuse, comme cela arrive à beaucoup de personnes. Et j’y suis revenue.<br />Mais toute ma vie, j’aurai été taraudée par ces questions. Je n’ai pas eu de révélation. Toute<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><span style=""> </span>ma vie adulte, les choses se sont passées, et continuent à se passer,<span style=""> </span>comme dans un phénomène de marée : il y a des moments où la mer est haute, des moments où elle est étale, d’autres où elle se retire, parfois très loin, très bas, et très longtemps. C’est donc un « ressassement » permanent de ces questions, pour reprendre un mot de Blanchot, dont il s’agit pour moi. Je n’écris pas ‘dessus’, mais plutôt ‘autour’, et en zigzags. Je lis les Evangiles, mais assortis de leurs racines, c’est-à-dire de l’Ancien Testament qui les éclaire. Et je regrette au passage que l’Islam renie trop souvent ses racines juives. <o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><b>Parlons à présent de votre rapport à l’écriture. Dans votre livre « Les personnages », vous dites :<i> « Il nous faut réapprendre à écrire » </i></b><span style="font-style: normal;"><b>; et </b></span><b><i>« On doute de tout (...). le doute entre en expansion, il finit même parfois par atteindre le langage (...). Toute écriture est soumise au doute. Un doute qui peut se faire démesuré, accablant ».</i></b><span style="font-style: normal;"><b> Ces paroles traduisent-elles la réalité de votre rapport à l’écriture ?<o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal">Le grand danger pour tout artiste est de ne plus être dans le doute, de s’imaginer avoir acquis suffisamment de maîtrise et de ne plus se remettre en cause. Cette attitude est aussi grave dans le champ de la création que dans celui de la foi et de l’amour. Accepter les moments de doute et de questionnement est fondamental dans le couple, de même qu’est fondamentale la nécessité de la reconquête de l’autre. Il en va de même dans l’écriture. Je suis pour chaque nouveau travail dans le doute, et même parfois dans la panique. Je doute de moi, de ma capacité à écrire quelque chose de neuf, ou du moins de ma capacité à trouver une manière neuve de dire ; je doute de mon inspiration, de mon souffle, de ma parole.<br />Et à nouveau je pense à l’une des phrases clés de l’Evangile à mon sens. C’est cet homme qui vient vers Jésus pour qu’il sauve son serviteur malade qui va mourir. Il dit : <i>« Seigneur j’ai foi. Viens en aide à mon peu de foi ».</i><span style="font-style: normal;"> Phrase étonnante et paradoxale qui semble dire une chose et son contraire. C’est l’une des phrases les plus fortes concernant la foi humaine. On espère croire, on a besoin de soutien dans cette espérance de foi. On ne peut que dire : je crois que je crois.<span style=""><br /></span></span></p><p class="MsoNormal"><span style="font-style: normal;"><span style=""><br /></span></span></p><p style="color: rgb(102, 51, 102); font-weight: bold;" class="MsoNormal"><span style="font-style: normal;"><span style="">Publié dans l'Orient Littéraire de Septembre 2008. </span><o:p></o:p></span></p> <p style="color: rgb(102, 51, 102); font-weight: bold;" class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><span style="color: rgb(102, 51, 102); font-weight: bold;"> </span><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><span style=""> </span><o:p></o:p></p> <!--EndFragment-->Georgia Makhloufhttp://www.blogger.com/profile/04834309551444366604noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1341314854360589444.post-66636400416276253232009-08-27T06:39:00.000-07:002009-08-27T07:01:14.147-07:00Yannick Haenel : « La littérature s’écrit contre ceux qui croient savoir ».<span style="font-size:100%;"><span style="font-family: georgia; font-style: italic; color: rgb(153, 51, 153);">Yannick Haenel est né en 1967. Fils de militaire, il fait ses études dans un établissement qui leur est réservé. Est-ce de là que lui vient cette volonté farouche de dire non, de refuser les lignes droites et de vagabonder à la recherche de sa vérité par l’écriture ? Professeur de français jusqu’en 2005, il a publié plusieurs romans dont « Introduction à la mort française » et « Evoluer parmi les avalanches » ; un essai sur les tapisseries de La Dame à la Licorne : « A mon seul désir » ; et deux volumes d’entretiens avec Philippe Sollers. Il lance et co-dirige à partir de 1997 une revue littéraire « Ligne de risque ». « Cercle </span></span><span style="font-style: normal; font-family: georgia;font-size:100%;" ><span style="color: rgb(153, 51, 153); font-style: italic; font-family: georgia;">», son dernier livre a été publié dans la collection l’Infini dirigée par Philippe Sollers chez Gallimard et a reçu le prix Décembre et le prix Roger Nimier. Ce roman lui a permis de sortir de l’ombre et de se faire mieux connaître du grand public. Il vient d’être nommé pensionnaire à la prestigieuse villa Médicis à Rome. Rencontre avec un écrivain de talent, un Rimbaud moderne. </span><br /></span><p class="MsoNormal" style="margin: 0cm 1cm 0.0001pt; text-align: center; font-family: georgia;" align="center"><span style=";font-size:100%;" ><b><i><br /></i></b></span><span style=";font-size:100%;" ><b><o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin: 0cm 1cm 0.0001pt; text-align: justify; font-family: georgia;"><span style=";font-size:100%;" ><i><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></i></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin: 0cm 1cm 0.0001pt; text-align: justify; font-family: georgia;"><span style=";font-size:100%;" ><i><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></i></span></p><span style="font-family: georgia;font-family:Times;font-size:100%;" ><i><br /></i></span><p class="MsoNormal" style="margin: 0cm 1cm 0.0001pt; text-align: justify; font-family: georgia;"><span style=";font-size:100%;" ><i> Dans un texte que vous avez écrit cet été pour « Le Monde Des livres », vous racontez que vous passez l’été dans la vallée de l’Eichel en Alsace. Et votre alter ego littéraire, que l’on retrouve dans « Cercle » s’appelle Jean Deichel. Simple coïncidence ?<span style=""> </span>Cette vallée semble avoir pour vous un importance certaine, et le nom de votre héros n’a pas été choisi au hasard. Pouvez-vous nous parler de lui ?<o:p></o:p></i></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin: 0cm 1cm 0.0001pt; text-align: justify; font-family: georgia;"><span style=";font-size:100%;" ><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin: 0cm 1cm 0.0001pt; text-align: justify; font-family: georgia;"><span style=";font-size:100%;" ><span style=""> </span>Le nom de Jean Deichel vient en effet d’une rivière, l’Eichel, qui coule en Alsace, et relie l’Allemagne à la France. J’aime l’idée que ces deux cultures se rejoignent ainsi dans mes phrases, et que celles-ci contiennent de l’eau. Jean Deichel est une rivière qui devient un fleuve : c’est une définition possible de « Cercle », </span><span style=";font-size:100%;" >et peut-être de tout roman. Aragon disait qu’écrire, c’est « détourner un fleuve de son cours, dans un monde qui se précipite vers sa perte ». Jean Deichel est aussi le narrateur d’un roman que j’ai publié en 2001, « Introduction à la mort française »</span><span style=";font-size:100%;" >, et celui d’un roman que j’ai en tête en ce moment. <o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin: 0cm 1cm 0.0001pt; text-align: justify; font-family: georgia;"><span style=";font-size:100%;" ><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin: 0cm 1cm 0.0001pt; text-align: justify; font-family: georgia;"><span style=";font-size:100%;" ><i><span style=""> </span><br /></i></span></p><p class="MsoNormal" style="margin: 0cm 1cm 0.0001pt; text-align: justify; font-family: georgia;"><span style=";font-size:100%;" ><i>«Cercle » a adopté la structure de la </i></span><span style=";font-size:100%;" >Divine Comédie<i> de Dante dans un ordre inversé, puisque vous passez du purgatoire parisien, à l’enfer berlinois puis au paradis qui correspond à la traversée des pays de l’Est. Pouvez-vous vous expliquer là-dessus ? Etait-ce un projet pensé de cette façon dès le démarrage ou cette structure s’est-elle imposée à vous en écrivant ? Quelle signification faut-il donner à cette structure ? <o:p></o:p></i></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin: 0cm 1cm 0.0001pt; text-align: justify; font-family: georgia;"><span style=";font-size:100%;" ><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin: 0cm 1cm 0.0001pt; text-align: justify; font-family: georgia;"><span style=";font-size:100%;" ><span style=""> </span>Cette structure m’est venue au bout de trois années d’écriture. J’avais accumulé énormément de pages, écrites au vol, en vivant un peu à la manière du narrateur du livre, c’est-à-dire très librement, et en errant aux quatre coins de l’Europe. Il s’agissait d’une expérience d’écriture permanente, un roman instantané qui se développait comme une improvisation de <i>free jazz. </i></span><span style=";font-size:100%;" >Ça faisait plus de mille pages : une mosaïque de séquences poétiques, des fragments érotiques, des passages plus narratifs, des notations de voyage. Je sentais qu’il y avait là-dedans un livre, mais qu’il fallait le sculpter. J’ai arrêté mes promenades, j’ai cherché un petit appartement à Paris, d’où je ne suis plus sorti pendant deux ans, le temps d’ajuster tout ce matériel d’écriture dans une forme qui lui donne vie. La structure en trois partie m’est venue des tableaux de Francis Bacon, mais aussi de la vie même : rien de plus évident et nécessaire qu’une traversée en trois étapes. C’est une structure universelle : errance, captivité, évasion — ou bien : liberté, séquestration, délivrance. Ce que j’ai en tête, c’est toujours une expérience de liberté : cette liberté rencontre un obstacle (angoisse, répression, maladie) ; puis trouve dans l’obstacle les moyens de se libérer. L’idée que les aventures de Jean Deichel se doublaient d’une sorte d’itinéraire spirituel m’a incité à adopter la structure en trois parties de Dante : enfer-purgatoire-paradis. Sauf que l’enfer, pour moi, c’est le moment où la liberté est rattrapée, où la jouissance est brimée, et l’élan ralenti, voire brisé (par nos limites, par la société) : ainsi l’enfer ne peut-il intervenir qu’en second. D’abord, il y a une liberté possible, approximative, expérimentable, jouissive ; puis, éventuellement, un retour de bâton, qu’on peut se figurer comme une descente aux enfers. La liberté initiale (que la troisième partie perfectionne) coïncide avec le « purgatoire » au sens où chez Dante on se purge, on se purifie par l’art. Au début de <i>Cercle, </i>le narrateur rompt avec une vie d’aliénation, il se réveille, et reprend vie, grâce à la lecture de <i>Moby Dick</i> ou de <i>L’Idiot</i> de Dostoïevski, grâce à la peinture et à la danse, grâce à une femme Anna-Livia. C’est un « purgatoire », mais qui peut être très heureux. Je pense que c’est une image possible de notre condition contemporaine. <o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin: 0cm 1cm 0.0001pt; text-align: justify; font-family: georgia;"><span style=";font-size:100%;" ><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin: 0cm 1cm 0.0001pt; text-align: justify; font-family: georgia;"><span style=";font-size:100%;" ><i><span style=""> </span><br /></i></span></p><p class="MsoNormal" style="margin: 0cm 1cm 0.0001pt; text-align: justify; font-family: georgia;"><span style=";font-size:100%;" ><i>Pouvez-vous revenir sur le choix du titre et sur la façon dont il fait écho au petit dessin de la couverture, ce labyrinthe circulaire qui enserre un visage et que vous désignez par le « visage-labyrinthe » ? Vous dites aussi que « le labyrinthe est un sourire ».<o:p></o:p></i></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin: 0cm 1cm 0.0001pt; text-align: justify; font-family: georgia;"><span style=";font-size:100%;" ><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin: 0cm 1cm 0.0001pt; text-align: justify; font-family: georgia;"><span style=";font-size:100%;" ><span style=""> </span>Le mot « <i>Cercle » </i></span><span style=";font-size:100%;" >était là dès le départ. En un sens, il s’agissait de le remplir par l’écriture. C’était le nom de code de toutes mes expériences pendant ces cinq années-là. Ce que je vivais se vivait aussi sous ce nom. À chaque instant, j’entrais en fiction grâce au mot « cercle ». C’était un sésame pour entrer dans la vie des phrases. D’autre part, il y avait toute la grâce contenue dans l’infini de cette figure parfaite. « <i>Cercle »</i>n’est pas seulement le titre du livre, c’est son nom. Quant au labyrinthe qui est imprimé sur la couverture, c’est effectivement, à mes yeux, la représentation du livre — son emblème. C’est ainsi que je me le figure : un visage un peu narquois, très féminin, formé par une spirale circulaire qui compose un labyrinthe. Le labyrinthe est une forme heureuse : c’est apparemment un lieu où l’on se perd, mais surtout où le temps revient. C’est l’autre nom de l’initiation. J’ai trouvé ce petit dessin à Volterra, en Toscane. C’est une inscription néolithique, dont je me suis inspiré. Elle joue un rôle chamanique. Je suis très fier que Gallimard ait accepté de transformer sa mythique couverture immaculée spécialement pour « <i>Cercle ». </i></span><span style=";font-size:100%;" >Depuis les premiers livres de Le Clézio, qui s’ornaient d’un éclair, on n’avait pas personnalisé ainsi une couverture. <o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin: 0cm 1cm 0.0001pt; text-align: justify; font-family: georgia;"><span style=";font-size:100%;" ><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin: 0cm 1cm 0.0001pt; text-align: justify; font-family: georgia;"><span style=";font-size:100%;" ><i><span style=""> </span><br /></i></span></p><p class="MsoNormal" style="margin: 0cm 1cm 0.0001pt; text-align: justify; font-family: georgia;"><span style=";font-size:100%;" ><i>Votre écriture fait sans cesse référence à la littérature. Vous commencez très vite avec </i></span><span style=";font-size:100%;" >Moby Dick<i>, mais on va également croiser Ulysse, Dostoïevski, Flaubert ou Artaud. De même, un certain nombre d’oeuvres artistiques sont présentes dans le livre, citées ou reproduites, Bacon, Maillol, Giacometti. Et la musique y trouve également une large place. Pourquoi votre texte ( et votre trame romanesque) s’appuient-ils à ce point sur d’autres textes ? Sur d’autres productions artistiques ? Ne craignez-vous pas que cette pléthore de références ne décourage le lecteur, ne favorise le reproche d’un texte « hermétique » ?<o:p></o:p></i></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin: 0cm 1cm 0.0001pt; text-align: justify; font-family: georgia;"><span style=";font-size:100%;" ><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin: 0cm 1cm 0.0001pt; text-align: justify; font-family: georgia;"><span style=";font-size:100%;" ><span style=""> </span>C’est un livre qui médite sur la liberté — sur la possibilité d’être libre aujourd’hui. Et être « libre », c’est d’abord être disponible : être disponible au temps, c’est-à-dire au coeur poétique de l’existence. Pour rencontrer la poésie, je ne connais rien de mieux que de s’ouvrir à l’art, et cela, sous toutes ses formes. <i>Cercle </i></span><span style=";font-size:100%;" >raconte l’histoire de quelqu’un qui reprend vie grâce à une série de rencontres ; parmi celles-ci, il y a des femmes, beaucoup de femmes, et des œuvres, beaucoup d’œuvres. Au fond, un livre peut être aussi important qu’une rencontre amoureuse. C’est pourquoi je raconte les expériences de lecture de Jean Deichel comme des aventures. Lorsqu’il lit <i>Moby Dick, </i>je détaille les effets que le livre provoque dans son corps et dans sa vie. La manière dont il en parle, la manière dont le livre vit en lui. Il ne s’agit absolument pas de « faire savant », ou de coller des références dans la trame du roman : c’est juste une expérience de la vie. Je raconte un an de la vie d’un homme qui a largué les amarres, et pendant cette année il lit des livres, il voit de la peinture, de la danse, il écoute de la musique. Et puis, comme tout le monde, il a en tête la mémoire des livres qu’il a lus et des musiques qu’il a entendues, et cette mémoire l’aide à affronter les périls. Je crois que toutes les références artistiques qui interviennent dans le livre sont motivées : je veux dire qu’elles ne sont pas plaquées arbitrairement, mais émanent du parcours de Jean Deichel. S’il est question d’un livre dans « <i>Cercle », </i>c’est tout simplement parce que Jean Deichel le lit. D’autre part, c’est vrai que « <i>Cercle », </i>du coup, est aussi un livre <i>sur </i>la littérature : sur la manière dont les phrases, celles des autres, mais aussi les vôtres, vous ouvrent un chemin dans l’existence, et peut-être vous sauvent du ravage. C’est un livre sur l’existence comme expérience poétique. Sur l’amour qu’on peut avoir pour des œuvres du passé ou du présent, pour <i>L’Idiot </i>de Dostoïevski, pour la musique de John Coltrane, pour les spectacles de Pina Bausch. Amour qui fait de vous un autre homme. Au fond, il ne s’agit pas de « culture », mais de résurrection — de résurrection ici et maintenant. « <i>Cercle » </i>raconte comment la poésie (l’art) devient parfois une question de vie ou de mort. Je ne crains pas, comme vous dites, que les références effrayent ou découragent les lecteurs. Quand je lis un livre, j’aime y rencontrer des tableaux ou des livres. Notre vie est tramée de « références » ; quand je marche dans Paris, il y a Notre-Dame, il y a les sculptures de Maillol aux Tuileries, la figure d’Ulysse passe dans mes pensées et dans mes conversations. Pour moi, il n’y a pas de différence entre l’art et la vie, ils s’entrelacent en permanence. « <i>Cercle » </i>parle de ça. On a reproché beaucoup de choses à ce roman, presque autant qu’on en a fait l’éloge, mais personne ne l’a jamais trouvé « hermétique », comme vous dites : au contraire, n’importe quel lecteur, même le moins littéraire, fait l’expérience immédiate d’une clarté. J’ai des amis qui n’ont pas franchement de culture littéraire ou artistique, ils m’ont dit que non seulement les références ne les gênaient pas, mais qu’au contraire elles avaient joué dans leur lecture un rôle de fluidifiant.<span style=""> </span><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin: 0cm 1cm 0.0001pt; text-align: justify; font-family: georgia;"><span style=";font-size:100%;" ><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p><i><br /></i></span></p><p class="MsoNormal" style="margin: 0cm 1cm 0.0001pt; text-align: justify; font-family: georgia;"><span style=";font-size:100%;" ><i> Dans les premières lignes de « Cercle », il y a cette phrase qui s’impose à l’esprit du personnage : «C’est maintenant qu’il faut reprendre vie ». Il y a aussi cette image du corps comme « un buisson de flammes » d’où sortent des phrases. Outre la très forte référence religieuse de l’image, elle procède de cette idée du livre qui commence à s’écrire par delà la volonté de l’écrivain, comme si ce livre lui était dicté. On a l’impression d’un état d’extase, d’une possession mystique. Pouvez-vous revenir là dessus ?<o:p></o:p></i></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin: 0cm 1cm 0.0001pt; text-align: justify; font-family: georgia;"><span style=";font-size:100%;" ><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin: 0cm 1cm 0.0001pt; text-align: justify; font-family: georgia;"><span style=";font-size:100%;" ><span style=""> </span>Oui, il s’agit de se sortir du conditionnement. Jean Deichel est quelqu’un qui ressent violemment le caractère néfaste du grappin social. Il cherche une voie libre, et celle-ci s’ouvre dans des instants où il se détache. Ces instants de rupture sont toujours extatiques ; il découvre que l’illumination le rend libre. À partir de là, il est évident que ce qu’il y a dans ces extases relève autant du poétique que du spirituel. J’ai bien conscience qu’en un sens l’aventure de Jean Deichel a quelque chose du trajet mystique. On va, dans le livre, des tours de Notre-Dame à la découverte de la mystique juive en Pologne. Autrement dit, on va du catholicisme au judaïsme, c’est-à-dire vers la source chrétienne. La dimension spirituelle du livre tient sans doute aux visions du narrateur : il s’est mis dans un état de jouissance qui lui octroie une lucidité nouvelle. Il oscille sans cesse entre la vie et la mort, dans un intervalle étrange, où la maladie le guette, mais aussi des révélations extrêmes. Évoluer dans cet intervalle lui procure une acuité sur les comportements humains, sur le délire de la société occidentale qu’il déshabille avec une sorte d’humour cruel. C’est ainsi qu’il perçoit — avec la force débordante du réveil — ce qui a lieu lors des « soldes » dans un grand magasin parisien, ou dans une rame de métro bondée. À la fin, Jean Deichel devient une sorte de saint, un saint très particulier, qui se nourrit de phrases et d’eau fraîche, qui est prêt pour l’amour parce qu’il a traversé sa propre mer Rouge. <o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin: 0cm 1cm 0.0001pt; text-align: justify; font-family: georgia;"><span style=";font-size:100%;" ><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></p> <span style="font-style: italic;"><br /><br /></span><span style="font-family: georgia;font-family:Times;font-size:100%;" ><i> Diriez-vous que ce texte est un « roman » ainsi que le signale </i></span><span style="font-family: georgia;font-family:Times;font-size:100%;" ><i>la couverture ? <o:p></o:p></i></span> <p class="MsoNormal" style="margin: 0cm 1cm 0.0001pt; text-align: justify; font-family: georgia;"><span style=";font-size:100%;" ><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin: 0cm 1cm 0.0001pt; text-align: justify; font-family: georgia;"><span style=";font-size:100%;" ><span style=""> </span>Il y a des personnages et un récit. Ça raconte les aventures d’un certain Jean Deichel pendant un an, de Paris à Prague, en passant par Berlin et la Pologne. C’est donc bien un roman. Mais c’est aussi, plus secrètement, un poème. Un poème secret qui prend la forme d’un roman.<o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin: 0cm 1cm 0.0001pt; text-align: justify; font-family: georgia;"><span style=";font-size:100%;" ><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin: 0cm 1cm 0.0001pt; text-align: justify; font-family: georgia;"><span style=";font-size:100%;" ><span style=""> </span><i><br /></i></span></p><p class="MsoNormal" style="margin: 0cm 1cm 0.0001pt; text-align: justify; font-family: georgia;"><span style=";font-size:100%;" ><i>Vous avez participé à la création, en 1997, de la revue « Ligne de risque », pour vous engager dans une « insurrection contre la médiocrité de la vie littéraire », contre « son étiolement », et sa « réduction au calibrage marchand ». Pouvez-vous expliquer ce constat sévère sur la littérature française<span style=""> </span>contemporaine : comment en est-on arrivé là ? Comment y échapper ? Et vous-même, comment vous situez-vous dans ce paysage littéraire ?<o:p></o:p></i></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin: 0cm 1cm 0.0001pt; text-align: justify; font-family: georgia;"><span style=";font-size:100%;" ><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin: 0cm 1cm 0.0001pt; text-align: justify; font-family: georgia;"><span style=";font-size:100%;" ><span style=""> </span>L’emprise marchande sur le secteur culturel qu’on appelle « littérature » est de plus en plus violente, au point qu’elle détermine même, chez certains écrivains, le contenu des livres, qui s’écrivent alors pour répondre à une demande, et qui sombrent littérairement dans l’insignifiance. C’est un constat. Je ne suis pas le seul à le faire. Je ne trouve pas non plus qu’il soit exagéré, ni sévère. Des livres résistent à cette emprise, d’autres non. Des écrivains continuent à penser que quelque chose à l’intérieur du langage échappe aux impératifs économiques de la « communication ». Je fais partie de ces écrivains.<o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin: 0cm 1cm 0.0001pt; text-align: justify; font-family: georgia;"><span style=";font-size:100%;" ><span style=""> </span><o:p></o:p><i><br /></i></span></p><p class="MsoNormal" style="margin: 0cm 1cm 0.0001pt; text-align: justify; font-family: georgia;"><span style=";font-size:100%;" ><i> Vous dites que la littérature « a pris la place de l’homme à la lanterne en plein jour ». (Votre intervention à la BPI de Beaubourg). Elle s’écrit, dites-vous « contre ceux qui croient savoir », et son rôle est de dénoncer le mal, la mauvaiseté du monde. Il ne peut y avoir, pour vous, de littérature hors de ce combat, de cet engagement ? <o:p></o:p></i></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin: 0cm 1cm 0.0001pt; text-align: justify; font-family: georgia;"><span style=";font-size:100%;" ><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin: 0cm 1cm 0.0001pt; text-align: justify; font-family: georgia;"><span style=";font-size:100%;" ><span style=""> </span>Oui, j’ai commenté à Beaubourg la parabole de la mort de Dieu racontée par Nietzsche. Un homme surgit sur une place de marché, avec une lanterne allumée en plein jour. Il crie : « Dieu est mort ! Vous l’avez tué ! Nous l’avons tous tué ! » Tout le monde se moque de lui. Les rieurs de la mort de Dieu pensent qu’ils n’ont pas besoin de lumière puisqu’il fait jour : ils croient savoir. Mais ils vivent en fait dans l’obscurité, parce qu’ils ignorent qu’ils sont des assassins. Un livre est l’équivalent d’une lanterne allumée en plein jour ; il révèle le faux jour de l’époque. Je ne pense pas que la littérature « dénonce » quoi que ce soit, comme vous dites. En revanche, elle réfléchit sur la destruction qui régit notre époque, sur la nervure contemporaine du mal, pour l’éclairer. C’est vrai qu’un livre qui n’est pas traversé par la question du mal me semble à côté de la plaque. Comment représenter un monde qui se fait sauter à chaque instant ? Comment faire l’épreuve de ce krach existentiel qui sous-tend la planète ? À mes yeux, la littérature est nécessairement travaillée par ce questionnement. Je ne dis pas que c’est une définition exclusive ; je ne dis pas que les livres qui se n’affrontent pas à la question du mal ne sont pas des livres, ni qu’il n’y a de littérature qu’à travers ce « combat spirituel », comme dirait Rimbaud. Bien sûr qu’il existe des livres qui se détournent de la métaphysique. Ils ne m’intéressent pas, voilà tout. <o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin: 0cm 1cm 0.0001pt; text-align: justify; font-family: georgia;"><span style=";font-size:100%;" ><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin: 0cm 1cm 0.0001pt; text-align: justify; font-family: georgia;"><span style=";font-size:100%;" ><i><br /></i></span></p><p class="MsoNormal" style="margin: 0cm 1cm 0.0001pt; text-align: justify; font-family: georgia;"><span style=";font-size:100%;" ><i>Vous dites également qu’en littérature « seules comptent à nos yeux les expériences où se déploie un langage qui soit en même temps une pensée, et où chaque phrase devienne un monde ». Jetez-vous au panier toute la littérature romanesque ?<o:p></o:p></i></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin: 0cm 1cm 0.0001pt; text-align: justify; font-family: georgia;"><span style=";font-size:100%;" ><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin: 0cm 1cm 0.0001pt; text-align: justify; font-family: georgia;"><span style=";font-size:100%;" ><span style=""> </span>Oui, je le répète : seules comptent à mes yeux les expériences où se déploie un langage qui soit en même temps une pensée, et où chaque phrase devienne un monde. Je pense que c’est la moindre des choses. Je pense aussi que cette définition de la littérature, pour exigeante qu’elle soit (et toute exigence opère d’abord vis-à-vis de soi-même) est extrêmement large : à part les charlatans, à part les fabricants de camelote littéraire, la plupart des écrivains peuvent s’y retrouver, et, chacun sur son mode, souscrire à une telle phrase.<o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin: 0cm 1cm 0.0001pt; text-align: justify; font-family: georgia;"><span style=";font-size:100%;" ><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin: 0cm 1cm 0.0001pt; text-align: justify; font-family: georgia;"><span style=";font-size:100%;" ><i><span style=""> </span><br /></i></span></p><p class="MsoNormal" style="margin: 0cm 1cm 0.0001pt; text-align: justify; font-family: georgia;"><span style=";font-size:100%;" ><i>Vous interrogez beaucoup le nihilisme, dans votre pensée et votre écriture. Pourquoi<span style=""> </span>faites-vous une telle place à cette philosophie ?<o:p></o:p></i></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin: 0cm 1cm 0.0001pt; text-align: justify; font-family: georgia;"><span style=";font-size:100%;" ><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin: 0cm 1cm 0.0001pt; text-align: justify; font-family: georgia;"><span style=";font-size:100%;" ><span style=""> </span>Le nihilisme n’est pas vraiment une philosophie. C’est plutôt un processus, repéré par Nietzsche, qui dans l’Histoire, fait croître la destruction. L’histoire du </span><span style="font-size:100%;">XX</span><span style=";font-size:100%;" ><sup>ème</sup> siècle, c’est-à-dire entre autres les deux guerres mondiales, l’extermination des Juifs d’Europe, et Hiroshima et Nagasaki, illustrent la puissance d’un tel processus de dévastation ; celle-ci étend aujourd’hui son règne sur la planète sous diverses formes, celles que prend la barbarie, mais aussi celles, plus ambiguës, qu’empruntent tous les systèmes d’asservissement. La littérature, à mes yeux, doit savoir rendre compte du déchaînement nihiliste qui est à l’œuvre dans le monde, elle doit trouver des formes et des mots à la fois pour représenter ce cauchemar, et inventer une sortie, proposer une ouverture. Comment être libre à l’époque du nihilisme planétaire, c’est la grande question.<span style=""> </span><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin: 0cm 1cm 0.0001pt; text-align: justify; font-family: georgia;"><span style=";font-size:100%;" ><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin: 0cm 1cm 0.0001pt; text-align: justify; font-family: georgia;"><br /><span style=";font-size:100%;" ><i> </i></span></p><p class="MsoNormal" style="margin: 0cm 1cm 0.0001pt; text-align: justify; font-family: georgia;"><span style=";font-size:100%;" ><i>Dans « Evoluer parmi les avalanches » le narrateur reprend cette phrase de J.P.Léaud dans « La maman et la putain » de Jean Eustache : « Il faut déplaire à beaucoup pour vraiment plaire à quelques uns ». Est-ce une phrase que vous reprendriez à votre compte ? Même depuis le succès et la reconnaissance que vous a apporté « Cercle » ? <o:p></o:p></i></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin: 0cm 1cm 0.0001pt; text-align: justify; font-family: georgia;"><span style=";font-size:100%;" ><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin: 0cm 1cm 0.0001pt; text-align: justify; font-family: georgia;"><span style=";font-size:100%;" ><span style=""> </span>Bien sûr. Le succès, et la reconnaissance vont de pair avec les attaques et l’incompréhension. Je suis très heureux du succès de « <i>Cercle</i></span><span style=";font-size:100%;" >». Mais c’est précisément quand on a du succès que la violence vous assaille. De ce point de vue, je n’ai pas été épargné. Je pense que « <i>Cercle » </i>est un livre qui peut susciter autant d’enthousiasme que de rejet : le rejet est à la mesure de l’enthousiasme. Les lectures de ce livre sont toutes extrêmes, et je m’en réjouis.</span></p><p class="MsoNormal" style="margin: 0cm 1cm 0.0001pt; text-align: justify; font-family: georgia;"><span style="font-size:100%;"><br /></span></p><p class="MsoNormal" style="margin: 0cm 1cm 0.0001pt; text-align: justify; font-family: georgia;"><span style="color: rgb(153, 51, 153); font-weight: bold;font-size:100%;" >Publié dans l'Orient Littéraire du 23 Octobre 2008.</span><span style="font-size:100%;"><br /></span><span style=";font-size:100%;" ><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin: 0cm 1cm 0.0001pt; text-align: justify; font-family: georgia;"><span style=";font-size:100%;" ><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></p> <!--EndFragment--> <p style="font-family: georgia;"></p> <!--EndFragment-->Georgia Makhloufhttp://www.blogger.com/profile/04834309551444366604noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1341314854360589444.post-29127719339708391142009-08-27T03:57:00.000-07:002009-08-27T04:06:17.834-07:00Wajdi Mouawad sur le chemin du pays perdu de son enfance.<span style="color: rgb(102, 51, 102);font-size:85%;" ><span style="font-family: georgia; font-style: italic;">Né au Liban en 1968, Wajdi Mouawad est auteur, metteur en scène et comédien. Il quitte le Liban à l’âge de 8 ans et, après un passage de quelques années à Paris, il s’installe à Montréal où il obtient son diplôme de l’Ecole Nationale de Théâtre et co-fonde le Théâtre Ô Parleur.</span></span><span style="font-family: georgia; font-style: italic; color: rgb(102, 51, 102);font-size:85%;" > </span><span style="color: rgb(102, 51, 102);font-size:85%;" ><span style="font-family: georgia; font-style: italic;">Il signe la mise en scène de nombreux spectacles et l’adaptation théâtrale d’oeuvres telles que Don Quichotte </span></span><span style="font-family: georgia; font-style: italic; color: rgb(102, 51, 102);font-size:85%;" >de Cervantès ou Trainspotting </span><span style="font-family: georgia; font-style: italic; color: rgb(102, 51, 102);font-size:85%;" >de Welsh, mais surtout, il met en scène ses propres textes. Parmi ceux-ci, on signalera plus particulièrement Littoral</span><span style="font-family: georgia; font-style: italic; color: rgb(102, 51, 102);font-size:85%;" > (Prix du Gouverneur Général du Canada en 2000 et Molière 2005), Incendies</span><span style="font-family: georgia; font-style: italic; color: rgb(102, 51, 102);font-size:85%;" > (meilleur spectacle en langue française en 2004 et prix de la Francophonie), Forêts</span><span style="font-family: georgia; font-style: italic; color: rgb(102, 51, 102);font-size:85%;" > et Seuls.</span><span style="font-family: georgia; font-style: italic; color: rgb(102, 51, 102);font-size:85%;" > Tous ces textes sont disponibles chez Actes Sud. <o:p></o:p></span> <p style="color: rgb(102, 51, 102); font-style: italic; font-family: georgia;font-family:georgia;" class="MsoNormal"><span style="font-size:85%;">Entre 2000 et 2004, il crée deux compagnies de création théâtrale, l’une en France et l’autre au Québec, ce qui lui permet de poursuivre son aventure artistique franco-québécoise. Depuis septembre 2007, il est directeur artistique du Théâtre Français du Centre National des Arts à Ottawa. Il est invité par le festival d’Avignon en 2009 en tant qu’artiste associé.<span style=""> </span><o:p></o:p></span></p> <p style="color: rgb(102, 51, 102); font-style: italic; font-family: georgia;font-family:georgia;" class="MsoNormal"><span style="font-size:85%;">Cet automne, il est omniprésent sur la scène théâtrale parisienne : au Théâtre de la Ville où Dominique Pitoiset met en scène Ni le soleil ni la mort, une de ses dernières créations ; au Théâtre de la Colline où Stanislas Nordey signe une belle mise en scène d’Incendies ; au Théâtre 71 de Malakoff enfin où il va jouer Seuls, spectacle qu’il a déjà emmené en tournée sur diverses scènes françaises et qu’il reprendra en Avignon en Juillet. <o:p></o:p></span></p> <p style="color: rgb(102, 51, 102); font-style: italic; font-family: georgia;font-family:georgia;" class="MsoNormal"><span style="font-size:85%;">Seuls est un solo que Mouawad joue donc lui-même. Il est Harwan, un Libanais exilé au Québec et qui prépare une thèse sur Robert Lepage, grande figure théâtrale québécoise. C’est l’hiver, il neige, et Harwan a du mal à travailler et surtout, à trouver la conclusion de sa thèse. Il tourne en rond dans son appartement, nu ou presque, comme pour faire le pendant aux multiples couches de vêtements qu’il doit superposer lorsqu’il sort. Son téléphone sonne. Au bout du fil son père, sa soeur, son directeur de thèse. Avec chacun, les échanges sont parfois comme autant de soliloques.<o:p></o:p></span></p> <p style="color: rgb(102, 51, 102); font-style: italic; font-family: georgia;font-family:georgia;" class="MsoNormal"><span style="font-size:85%;">Puis Harwan va se rendre à Saint Pétersbourg pour rencontrer Lepage, et il va se trouver enfermé une nuit entière dans les salles du Musée de l’Hermitage. Face surtout à une toile : « Le retour du fils prodigue » de Rembrandt.<span style=""> </span>La nuit sera longue et vertigineuse. Elle durera plus de deux mille ans et elle conduira Harwan aux sources de sa langue maternelle, ou plutôt paternelle, tant le lien père-fils est au coeur de ses tourments mais également au coeur de sa réconciliation avec son « moi » pluriel.<o:p></o:p></span></p> <p style="color: rgb(102, 51, 102); font-style: italic; font-family: georgia;font-family:georgia;" class="MsoNormal"><span style="font-size:85%;">Car la question identitaire accompagne sans cesse, quoique sous des formes multiples, le travail de création de Mouawad. Qui déclarait récemment : « Je me sens Grec par ma passion pour Hector, Achille, Cadmos et Antigone, Juif par mon admiration pour Jésus et Kafka. Je suis bien sûr Chrétien, surtout par Giotto et Shakespeare. Je suis Musulman par ma langue maternelle. » Mais au quotidien, il est surtout hanté par « la peur et la crainte de perdre la passion et la pureté » qui l’habitaient lorsqu’il était adolescent. Gageons que ce n’est pas pour bientôt, et que la passion nourrira encore nombre de créations enflammées et capables de résister à la violence et au désenchantement du monde.<span style=""> </span><span style=""> </span><o:p></o:p></span></p> <p style="color: rgb(102, 51, 102); font-style: italic; font-family: georgia;font-family:georgia;" class="MsoNormal"><span style="font-size:85%;"><span style=""> </span><o:p></o:p></span></p> <p style="font-family: georgia; font-style: italic; color: rgb(102, 51, 102);" class="MsoNormal"><span style=";font-size:85%;" ><!--[if !supportEmptyParas]--><span style="color: rgb(102, 51, 102);"> </span><!--[endif]--><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style=";font-family:";" ><b>Il y a déjà vingt ans, vous avez écrit un texte, en partie repris pour présenter <i>Seuls </i></b></span><span style=";font-family:";" ><b>et dont je cite quelques lignes : <i>« Si un homme par le plus grand des hasards, croisait un jour, par exemple au sortir d’un épais brouillard, l’enfant qu’il avait été, et si tous deux se reconnaissaient comme tels, et bien ils s’écrouleraient aussitôt la tête contre le sol, l’homme de désespoir, l’enfant de frayeur. »</i></b></span><span style=";font-family:";" ><b><span style=""> </span>Est-ce donc cela qui est au coeur de votre dernière pièce, cette « rencontre » imaginaire entre l’adulte et l’enfant que chacun porte en soi ? Et pensez-vous qu’ on peut avoir de telles prémonitions quant à ce qu’on va être conduit à faire, à vivre ?<o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style=";font-family:";" ><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style=";font-family:";" >Nous portons en nous quantité de choses, mais nous ne le savons pas. Nous sommes des immeubles habités par des locataires dont nous ne connaissons rien. J’ai le sentiment que ce que l’on porte en soi, ce locataire dont on sait si peu, tout cela est intimement lié à une ou deux choses, souvent très simples, qui ont provoqué en nous un enchantement à l’époque de l’enfance. Cet enchantement, ce peut être le fait de se sentir en harmonie avec la nature, en osmose avec l’univers qui nous entoure. Cela nous a permis de toucher à la légèreté insensée du bonheur, à la joie. Ces choses très simples qui provoquent l’enchantement, ce peut être la saveur d’un fruit, la couleur d’un ciel, le toucher d’une peau, la caresse d’un animal... Ce que l’on porte est lié à ça, mais disparaît de nos mémoires. On est dévoré par la complexité du monde, sa violence, et l’on tente de se faire une raison. Certains refusent de se faire une raison, ou en sont incapables, ce qui les entraîne vers la folie ou la maladie. Et puis, parfois, la mémoire se réveille, et avec elle le refus de s’accommoder de la perte, le refus d’accepter le désenchantement. Et c’est de ça dont il est question dans ce texte comme dans tous mes autres textes.<o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style=";font-family:";" ><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style=";font-family:";" ><b>Pourtant<span style=""> </span>la matière de votre dernier spectacle me semble être très différente des précédents.<o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style=";font-family:";" ><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style=";font-family:";" >En effet dans <i>Seuls, </i></span><span style=";font-family:";" >je ne raconte pas <b>le</b></span><span style=";font-family:";" > monde mais <b>mon</b></span><span style=";font-family:";" > monde. Tous mes textes sont animés par le même désir, mais alors que mes créations précédentes portaient le regard sur ce qui, dans le monde, nous brise, nous écrase et provoque notre douleur, ce spectacle-ci se nourrit d’une matière très personnelle pour poser une question : c’est quoi tout ça ? Pourquoi faut-il se contenter d’une vie douloureuse ? C’est le refus de cette acceptation qui est raconté là. <i>Seuls</i></span><span style=";font-family:";" >, c’est l’histoire de ce personnage qui, grâce à la maladie, va arrêter le processus de normalisation qui le condamne lui-même. La maladie est comme l’ange qui vient lui arrêter le bras. Il allait se résigner à devenir professeur d’université. Mais à un moment et au prix d’une traversée éminemment douloureuse, le coma l’interrompt afin qu’il se souvienne que, quand il était petit, il était peintre. Il l’avait totalement oublié.<o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style=";font-family:";" ><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style=";font-family:";" ><b>Vous avez souvent raconté comment se faisait pour vous le travail d’écriture théâtrale, comment il se construisait de façon collective, en fonction de ce qu’apportaient les comédiens pendant les répétitions qui démarrent avant même que le texte ne soit achevé. Pouvez-vous revenir là-dessus ? Cela me semble être si différent du travail d’écriture habituel qui est un processus éminemment solitaire. Comment peut-on donc écrire à plusieurs ?<o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style=";font-family:";" ><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style=";font-family:";" >Il faut quand même préciser qu’il n’y a que moi qui écris. J’écoute beaucoup tout ce qui se dit mais je suis le seul à écrire. Je viens aux répétitions avec l’histoire et cette histoire, je la raconte. Je n’ai pas, à ce stade, trouvé toutes les réponses que je cherchais. Dans <i>Incendies</i></span><span style=";font-family:";" > par exemple, je ne sais pas comment le personnage de la mère fait pour reconnaître son fils qui lui a été arraché il y a si longtemps. Chacun apporte ses idées, on échange. Puis, un jour, parlant de tout à fait autre chose, une comédienne me dit qu’elle aimerait jouer un rôle de clown qui ne soit pas drôle du tout. De là m’est venue l’idée du nez de clown, et ce nez m’a donné la clé du personnage du fils. <o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style=";font-family:";" >Les répétitions se passent de cette manière : j’écris une scène, je la lis, et j’exige que tout le monde s’exprime, que chacun dise comment il la ressent. Cela me permet de me taire pendant un long moment, d’écouter, et ce que j’entends provoque en moi des associations d’idées qui, par un effet d’enchaînement, me conduisent aux solutions que je cherchais. Dans un travail de création théâtrale, on part avec des hypothèses. La confrontation des idées, la multiplicité des points de vue, permettent d’examiner ces hypothèses, de les tester en quelque sorte Et quand je rentre chez moi, j’ai trouvé des réponses que je n’aurais pas trouvées seul et je me remets à écrire. <o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style=";font-family:";" ><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style=";font-family:";" ><b>Vous avez dit dans un entretien, que le travail « chorégraphique » de mise en scène vous importait davantage que celui d’écrire...<o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style=";font-family:";" >Quand je monte une pièce, je ne perds pas de vue que le texte va être <b>vu </b></span><span style=";font-family:";" >et non <b>lu.</b></span><span style=";font-family:";" > La réussite du spectacle m’importe plus que le succès du texte publié. Je n’ai donc aucun mal à couper, ré -écrire, déplacer, recomposer. <o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style=";font-family:";" ><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style=";font-family:";" ><b>Et pour <i>Seuls,</i></b></span><span style=";font-family:";" ><b> alors ? L’avez-vous, là encore, écrit à plusieurs, quand bien même il s’agît d’une matière si personnelle ?<o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style=";font-family:";" ><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style=";font-family:";" >Oui, le travail a été identique. Il y avait sur le plateau non pas des comédiens mais un scénographe, une costumière, un éclairagiste, un directeur technique, un dramaturge, mon assistante...<span style=""> </span>soit onze personnes en tout. L’avis de chacun était sollicité. J’ai besoin par moments de tomber en hypnose, et pour cela il me faut me taire, me mettre à rêver, tout en écoutant les autres. C’est comme ça que je trouve mes meilleures idées.<span style=""> </span><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style=";font-family:";" ><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style=";font-family:";" ><b>Pourquoi avez-vous eu besoin, à ce stade de votre parcours, de monter seul sur scène et d’écrire un texte plus autobiographique?<o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style=";font-family:";" ><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style=";font-family:";" >Peut-être est-ce parce que, dans ma vie personnelle, j’avais pris des décisions graves et difficiles à tout point de vue. Il me fallait comprendre où j’en étais. Il me fallait mettre en place un espace de travail plus en adéquation avec ma vie personnelle, c’est-à-dire un espace de travail plus solitaire. J’avais envie de ne plus faire semblant. Je ne pouvais plus faire autrement dans mon travail, de la même façon que je n’avais plus pu faire autrement dans ma vie. <o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style=";font-family:";" ><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style=";font-family:";" ><b>Dans le texte de présentation de votre spectacle, vous écrivez qu’il est temps pour vous de poser la question de ce qu’il advient à la langue maternelle lorsque tout se met à fonctionner à travers une autre langue, une langue apprise, monstrueusement acquise. Pouvez-vous expliciter davantage ces réflexions : pourquoi « monstrueusement » ?<o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style=";font-family:";" ><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style=";font-family:";" >Cela a à voir avec mon contexte familial. J’appartiens à une famille qui ne considère pas que Freud a des choses à nous apprendre quant au fonctionnement du psychisme, à une famille où l’on pense que si le corps va bien, si l’on est en vie, en sécurité et en bonne santé, on va bien, et que les affects n’ont pas d’importance. Dans cette famille où j’ai grandi, quitter son pays, oublier sa langue, cela importe peu pourvu que l’on continue à respecter les traditions et les convenances, pourvu que l’on ait l’air correct et bien habillé. <o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style=";font-family:";" >Pour m’aider à m’intégrer, on s’est mis à me parler français, alors que jusque-là je ne parlais que l’arabe. Et moi aussi, j’étais désireux de parler français pour me faire des copains. Il y a eu donc pour moi, à l’âge de dix ans, un basculement brutal de l’arabe vers le français. Aujourd’hui, j’ai une amnésie totale vis-à-vis de ma langue maternelle. Je suis incapable de réfléchir en arabe. Même si lorsque je suis au Liban, l’arabe revient vite.<span style=""> </span><b><span style=""> </span><o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style=";font-family:";" ><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style=";font-family:";" ><b>Vous êtes originaire du Liban, mais vous avez somme toute passé plus de temps à l’extérieur de ce pays qu’à l’intérieur. J’ai néanmoins lu un texte inédit de vous, écrit au moment de l’été 2006, et qui montre à quel point vous avez été touché par ce qui s’y est passé. Vous sentez-vous Libanais ? Canadien ? Français ? Et cette question de l’identité reste t-elle pertinente pour vous aujourd’hui ?<o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style=";font-family:";" ><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style=";font-family:";" >Cette question reste extrêmement importante pour moi. J’aimerais dire : « je suis Libanais » comme les juifs peuvent dire : « je suis Juif ». Malheureusement, les Libanais ne l’acceptent pas.<o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style=";font-family:";" >Il existe mille manières d’être Libanais et non pas une seule. Il y a aujourd’hui douze millions de Libanais à l’extérieur du Liban, soit trois fois plus au moins que de Libanais au Liban. J’ai rencontré des Libanais partout où je suis allé dans le monde, en Afrique, en Amérique Latine ou plus récemment en Russie, et qui parlaient le russe ; ils étaient originaires du même village que ma famille. Les Libanais sont reconnaissables partout où on les rencontre : ils ont tous gardé un certain rapport à leur culture d’origine, une relation à la langue très caractéristique, une certaine façon d’être dans la narration, un état d’esprit immédiatement reconnaissable. Et pourtant les Libanais n’acceptent pas assez ces différentes manières d’être Libanais et cela explique en partie la guerre civile. On n’arrive pas à vivre ensemble parce qu’on n’accepte pas ces différentes manières d’être Libanais.<br />En ce sens, si je peux dire que je suis Libanais de façon personnelle, je ne peux pas le dire sur le plan collectif. Je ne supporte pas la mentalité libanaise souvent raciste, je déteste « les parents » libanais, cette génération, cette classe politique que je trouve abjecte dans son discours et son état d’esprit. Elle est le pire malheur qui nous soit arrivé.<span style=""> </span><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style=";font-family:";" ><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style=";font-family:";" ><b>Dans votre travail, vous convoquez sans relâche l’Histoire, les mythes, les tragédies antiques, mais aussi les textes sacrés, la parabole du fils prodigue pour votre dernier spectacle par exemple. Pourriez-vous expliquer pourquoi vous avez besoin de vous appuyer sur cet héritage du passé alors que vos thématiques sont dans le même temps éminemment actuelles, modernes ?<o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style=";font-family:";" ><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style=";font-family:";" >J’ai été très traumatisé par le fait qu’on n’a pas été capable de me raconter les événements qui ont marqué ma vie de façon majeure et qui l’ont transformée durablement. La guerre du Liban ne m’a jamais été racontée. On était incapable de me dire qui tirait sur qui, pour quelles raisons et pourquoi tout cela avait commencé. Il y a donc chez moi une réelle obsession, un besoin viscéral de comprendre pourquoi je suis ce que je suis, pourquoi je suis Québéco - Franco - Libanais. Si je suis cela, c’est bien parce qu’il s’est produit dans le passé quelque chose qu’on n’a pas été capable de m’expliquer. Dans ma vie présente, je suis en permanence confronté à ce qui a eu lieu dans le passé et qui affecte ma façon de parler, de vivre, de penser. Il me faut savoir d’où est-ce que tout cela<span style=""> </span>est arrivé. Alors je lis la Bible, les littératures anciennes,<span style=""> </span>je les confronte à ce qui est arrivé dans un passé plus récent, je mets en dialogue tous ces récits qui me bouleversent et je tente d’en faire quelque chose. <o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style=";font-family:";" ><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style=";font-family:";" ><b>Pour revenir à la parabole du fils prodigue et au tableau de Rembrandt qui est au coeur de votre<span style=""> </span>dernier spectacle, de quel retour s’agit-il donc pour vous ?<o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style=";font-family:";" ><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style=";font-family:";" >Je crois que le retour dont il s’agit pour moi, c’est celui de l’écrivain qui chemine vers le pays perdu de son enfance, ses couleurs, sa lumière, sa langue. J’ai souvent été frappé par le fait que les histoires racontées par Robert Lepage mettaient toujours en scène un personnage qui, quittant sa maison, tentait de découvrir le monde ; cela m’apparaissait comme l’exact opposé de mes propres histoires qui mettaient en scène un personnage égaré, tentant de rentrer chez lui. Cela me rappelle les mots de Georges Banu lors d’une émission à Radio Canada <i>: « La quête, c’est la tentative de découvrir le monde ; l’odyssée, c’est la tentative de rentrer chez soi ».<span style=""><br /></span></i></span></p><p class="MsoNormal"><span style=";font-family:";" ><i><span style=""><br /></span></i></span></p><p class="MsoNormal"><span style=";font-family:";" ><span style="color: rgb(102, 51, 102); font-weight: bold;">Publié dans l'Orient Littéraire de Février 2009. </span><i><o:p></o:p></i></span></p> <!--EndFragment-->Georgia Makhloufhttp://www.blogger.com/profile/04834309551444366604noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1341314854360589444.post-48108985430073294662009-08-27T03:23:00.000-07:002009-08-27T03:37:17.281-07:00Ben Jelloun:"Le roman me permet d'interroger la complexité du monde".<span style="color: rgb(102, 51, 102); font-style: italic;font-family:georgia;" >On ne présente plus Tahar Ben Jelloun. Depuis la publication de « La plus haute des solitudes » en 1975 , il n’a cessé de construire une oeuvre multiforme, récits, essais, poèmes, nouvelles et romans, mais au travers de laquelle il interroge sans cesse le Maroc d’hier et d’aujourd’hui, ses blessures, ses contradictions, ses difficultés, ses espoirs. </span><o:p style="color: rgb(102, 51, 102); font-family: georgia; font-style: italic;"></o:p><p style="color: rgb(102, 51, 102); font-family: georgia; font-style: italic;"></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify; color: rgb(102, 51, 102); font-style: italic;font-family:georgia;">Ses premiers textes, des poèmes, il les a écrits dans un camp disciplinaire en 1966.<span style=""> </span>Quelque temps après son arrivée en France, il commence une collaboration avec le journal Le Monde et Pierre Viansson-Ponté y sera tout à la fois son maître, son protecteur et son ami.<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify; color: rgb(102, 51, 102); font-style: italic;font-family:georgia;">« La nuit sacrée », suite de « L’enfant de sable », reçoit le prix Goncourt en 1987. Ces deux romans connaissent un succès planétaire et sont traduits dans 43 langues. En 1998, « Le racisme expliqué à ma fille » suscite un immense écho ; Ben Jelloun sera très sollicité pour des débats et des conférences sur la question du racisme et s’y pliera volontiers. Le livre sera traduit dans 25 langues.<span style=""> </span>Depuis de nombreuses années, Ben Jelloun collabore régulièrement à plusieurs journaux européens. <o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify; color: rgb(102, 51, 102);"><i style="font-style: italic;"><span style="font-family:georgia;">Son dernier ouvrage vient de paraître chez Gallimard. « Sur ma mère » est tout à la fois la chronique d’une fin de vie, une enquête romanesque sur un personnage somme toute énigmatique et un chant d’amour filial empreint d’une grande émotion. Avec beaucoup de courage, Ben Jelloun y aborde de front la lente déchéance du corps et les douloureuses atteintes à la mémoire. Un livre dont on ne sort pas indemne. Entretien</span>. </i><span style="font-style: normal;"><b><o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify; color: rgb(102, 51, 102);"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b><!--[if !supportEmptyParas]--><span style="color: rgb(102, 51, 102);"> </span><!--[endif]--><o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b>Votre livre<span style=""> </span>est évidemment un hommage à la mère et en même temps, il s’agit d’un livre difficile. Difficile parce qu’il s’attaque à la question douloureuse de la maladie et des atteintes physiques et mentales qu’elle occasionne. Pourquoi avez-vous souhaité écrire là-dessus ? Ce texte a t-il été difficile à écrire ?<o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> </b>Je n’avais pas, au tout début, de projet d’écriture sur cette question. J’ai passé beaucoup de temps avec ma mère pendant les derniers mois de sa vie. Je lui parlais, je lui tenais la main,<span style=""> </span> je lisais, je l’écoutais et je prenais parfois des notes. Ce qu’elle disait m’impressionnait fortement, parce qu’elle s‘est mise à me parler de choses qu’elle n’avait jamais dites auparavant.<span style=""> </span>La maladie fonctionnait comme le révélateur d’un vécu enfoui profondément. </p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;">Et je prenais conscience que cette mère respectée, cette femme élégante et discrète qui parlait peu, avait vécu des choses difficiles sur lesquelles, par pudeur, elle avait gardé le silence.</p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;">J’ai donc interrogé ma soeur, ma tante, pour découvrir qu’elles non plus ne savaient pas tout. Il me fallait donc faire une enquête pour aller à la recherche de ma mère, et à partir de là, il ne pouvait plus s’agir que d’un roman, puisque cette femme-là m’était étrangère. </p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;">Il y a donc dans mon texte une part « romanesque », celle qui concerne sa vie dans le Fès des années 30 qu’il m’a fallu imaginer, et une part « documentaire », celle qui concerne les moments de sénilité et les atteintes de la maladie.</p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;">Mais dans les deux cas, il y a eu un vrai travail d’écriture, de composition. Et c’est ce travail qui m’a permis de dire des choses qui sont habituellement tues. Si l’on pense aux livres consacrés aux mères, on observe qu’ils adoptent le plus souvent le point de vue de la vénération. Mais moi, ce qui m’intéresse c’est ce qui fait mal, c’est d’être au plus près de la vérité, y compris lorsque la vérité est violente ou difficile.</p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b>Vous aviez déjà écrit sur un thème proche. Dans « Jours de silence à Tanger », il y a cette figure du vieil homme malade, dans sa chambre, en proie à sa mémoire qui flanche et à ses souvenirs. Peut-on parler d’un diptyque ? <o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> </b>Peut-être, mais il n’y a là rien de prémédité. Il y a néanmoins entre les deux textes des différences fortes, ne serait-ce que parce que, si l’on retrouve dans le premier la figure de mon père, j’y brosse le portrait très particulier d’un homme confronté à la solitude. La mort de mon père, postérieure à la parution du livre, a été très brutale, un accident et une disparition quelques jours plus tard. Rien de tel avec ma mère qui a été confrontée à l’expérience de la déchéance. Et il m’importe ici d’ en avoir atteint, au travers de ce livre, la dimension universelle. <o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;">Mon livre est déjà paru en Allemagne et me sont parvenus des témoignages très touchants de lecteurs qui me disaient se retrouver complètement dans ce que je décris. Leurs réactions m’ont rassuré : mon livre n’est donc pas cantonné à un espace culturel unique, et il est, plus qu’un témoignage singulier, un roman.<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b>Dans ce livre, comme souvent dans vos autres textes, vous avez recours au monologue intérieur. Monologue de la mère auquel se mêle par moments le monologue du fils. Vous<span style=""> </span>affectionnez particulièrement cette forme d’écriture... Peut-on dire qu’elle a à voir avec la littérature orale ?<o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> </b>J’aime entendre des voix dans mes textes. Et il me paraît important de pouvoir entrer dans l’intériorité de mes personnages. Je pense par exemple à Thomas Bernhard. Ses ouvrages sont empreints d’une grande violence, mais elle est acceptée par le lecteur parce qu’elle transite par le monologue intérieur du personnage ; et le lecteur devient le complice du personnage. J’aime entraîner mon lecteur dans cette complicité.<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;">Quant au lien avec la littérature orale, il existe bien sûr, mais pas de façon naïve, immédiate. La littérature orale n’est pas l’oralité. Les 1001 Nuits par exemple sont très écrites, très composées, et l’oralité du conteur y est très travaillée.<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;">Et si ce monument littéraire arabe compte, bien sûr, parmi les influences dont je me réclame, mon style est tout autant influencé par certains textes majeurs de la littérature occidentale. Je citerai Joyce<span style=""> </span>et le rôle déclencheur d’ « Ulysse » dans mon désir d’écrire : ce texte proprement labyrinthique, je ne sais pas si je l’ai compris, mais il m’a impressionné par sa façon extraordinaire de raconter une histoire somme toute très mince. Et l’on y trouve l’impressionnant monologue intérieur de Molly Bloom. Je citerai aussi le<span style=""> </span>Faulkner de « Tandis que j’agonise » ou « Le bruit et la fureur ». Là encore, recours au monologue intérieur et magistral travail des points de vue. L’histoire est racontée via des points de vue singuliers, multiples, et parfois négligeables, comme lorsque Faulkner donne la parole à un idiot. Et cette multiplicité des points de vue construit une passionnante complexité.<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b>Votre livre a pour sujet la mère, mais de façon souterraine, il a également pour sujet la ville, ou plutôt les deux villes qui bordent souvent l’univers de vos livres : Fès qui représente la tradition et Tanger qui symbolise la trahison. <o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> </b>Oui en effet, ces deux villes sont à nouveau très présentes. Et il s’agit de villes très opposées. Fès est la plus vieille ville du Maroc, on célèbre son 1200<sup>e</sup> anniversaire. Tanger est une ville frontière, un port ouvert sur l’Europe, une ville pas très « nette ».<span style=""> </span>Et si pour nous, les enfants, aller à Tanger était une salutaire sortie du labyrinthe étouffant de Fès, pour mes parents, quitter l’une pour l’autre a représenté un moment décisif qui les a fait basculer d’une époque à une autre, d’un monde à l’autre. Ce changement les a violentés. Il s’est apparenté à un exil et a entraîné une perte des repères<span style="">. </span><span style=""></span><span style=""></span>Dans mon livre, la mère est dans une confusion entre les deux villes qui traduit son désarroi. Il y a chez elle une négation de Tanger et un retour au Fès de son enfance. Et ce Fès entretient un lien très fort à la pratique religieuse et au culte du saint patron. La religion est très présente dans notre tradition familiale, mais c’est une religion empreinte de spiritualité et très éloignée de tous les fanatismes qu’on rencontre tant aujourd’hui. <o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b>Il y a une question qui me paraît centrale dans votre oeuvre, c’est la question du corps. On pense à la douleur du corps impuissant dans « La plus haute des solitudes », à la tragédie du corps masqué dans « L’enfant de sable », au corps violemment sexué<span style=""> </span>de « Harrouda » et ici, au corps déchu.<o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> </b>C’est exact. Le corps est le lieu de toutes les expressions, des plus violentes aux plus douces. <o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;">En cela, mon oeuvre est fidèle à la société marocaine dans laquelle le corps est très présent, et qui a développé toute une tradition, toute une culture extrêmement<span style=""> </span>raffinée de la sensualité. Chez nous, le corps est sollicité dès l’enfance, avec toutes les pratiques liées au hammam par exemple. Mais aujourd’hui, cette culture est masquée, censurée, et il arrive que mes textes choquent les marocains.<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b>L’autre thème majeur du livre, c’est évidemment la mémoire. Mais il s’agit cette fois d’une mémoire trouée, vacillante, impuissante. Faut-il y voir une métaphore ? <o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> </b>La mémoire est la source vive de tous mes livres. La mémoire du Maroc est encore inconnue et je ne fais que ça, essayer de fouiller cette mémoire. L’accès y est encore difficile. Nous vivons dans une société du silence et de l’oubli. Les grands leaders politiques, les grands témoins de l’histoire du pays sont morts sans laisser de mémoires, sans avoir écrit de livres. Nous n’avons pas, comme en Occident, cette tradition des traces écrites. J’ai donc le souci de travailler là-dessus, de restituer dans mon travail des pans du passé, des aspects peu connus de certains grands événements.<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b>On a le sentiment que votre livre est une forme d’hommage à la culture marocaine traditionnelle, et au sein de cette culture, au respect quasi religieux des parents. Vous dites bien d’ailleurs que<span style=""> </span>si votre mère est illettrée, elle n’est pas inculte : elle a sa culture, ses convictions religieuses, ses valeurs. Par contraste, vous brossez le portrait surprenant de la mère de votre ami Rolland, sorte de contrepoint à la figure de votre mère : une femme libre, cultivée, riche, mais qui meurt de façon terriblement solitaire.<o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> </b>Une des valeurs morales humanistes qui reste intacte dans la société marocaine, et sans doute dans toutes les sociétés arabes d’aujourd’hui, c’est le respect naturel des personnes âgées. Ceci nous distingue totalement de l’occident. Et rien, fort heureusement, ne menace encore cette valeur qui me parait essentielle.<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;">Dans mon livre, je fais le portrait de Zilli. C’est une femme qui a voyagé, qui a eu des amants, qui joue au piano, lit beaucoup, va à l’opéra. Sa vie a été pleine et riche, mais cette richesse s’est accompagnée d’une grande sécheresse des liens. Comme si la solitude était le prix à payer pour cette vie libre. L’émergence de l’individu en occident se paie du sacrifice de certaines valeurs fondamentales telles que l’amour filial, le respect absolu des parents, le devoir d’assistance aux plus âgés. Zilli meurt seule, comme des millions de personnes en Europe, et on l’a encore vu au moment de la grosse canicule de l’été 2003. En occident, on meurt de solitude. Au Maroc et dans le monde arabe, nous sommes sauvés par l’Islam, qui préconise l’amour et le respect des parents. <o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b>Faut-il parler d’Islam ? Ce respect des anciens, des liens familiaux, on le rencontre également et avec la même intensité chez les chrétiens ou les juifs du monde arabe. <o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> </b>Disons qu’il s’agit d’une valeur essentielle de la société arabe. En tous cas au Maroc, on se réfère explicitement aux versets du Coran qui parlent du nécessaire respect dû aux parents. Et il est vrai que j’ai voulu rendre une sorte d’hommage à cette culture-là. Je l’ai dit dans mon texte, on n’est rien sans la bénédiction de ses parents. La bénédiction, cela n’a rien à voir avec la religion. C’est une passion, un fil de soie tendu entre deux êtres, c’est un amour gratuit, simple et évident. <o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;">Mais le Maroc bouge et parfois trop vite. Chemin faisant, on sacrifie peut-être ces valeurs fondamentales. Lorsqu’on observe également le comportement des jeunes issus de l’immigration, on a quelques raisons de craindre pour l’avenir. Ces jeunes vivent comme des Français tout en essayant de préserver ce lien privilégié avec leurs parents, mais ils ont du mal. Ils sont forcément confrontés à la perte des repères et des valeurs. <o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b>Finalement, le Maroc est au coeur de tous vos livres. Vous avez construit une oeuvre abondante, mais jamais vous ne vous êtes aventuré à l’extérieur de votre pays. Pourquoi ? Ne vous arrive t-il pas d’avoir envie d’écrire sur autre chose, de prêter votre plume à des personnages non marocains, français par exemple ?<o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> </b>Cette idée ne me traverse jamais et je crois que je n’y arriverais pas. La société française est décrite par des milliers de romanciers.<span style=""> </span>Modiano, Pennac, D’Ormesson, le Clézio<span style=""> </span>et d’autres accomplissent ce travail de témoins de leur temps. Mon travail à moi consiste à fouiller la société marocaine, à témoigner des choses difficiles que vivent les gens, et ce par le biais de la forme romanesque. Le roman est donc pour moi comme l’outil qui me permet d’interroger la complexité des relations entre les individus et le réel. C’est là mon engagement et le sens de mon oeuvre, et je ne la conçois qu’ancrée dans la société marocaine, ses problèmes, ses violences.<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;">Un jour peut-être, j’arriverai à quelque chose qui ressemblerait au bonheur. Je cesserai alors d’écrire, parce que le bonheur n’est pas littéraire.<span style=""><br /></span></p><p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style=""><br /></span></p><p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="color: rgb(102, 51, 102);">Publié dans l'Orient Littéraire de Février 2008. </span><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style=""> </span><o:p></o:p></p> <!--EndFragment-->Georgia Makhloufhttp://www.blogger.com/profile/04834309551444366604noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1341314854360589444.post-26640296948502345902009-08-26T16:26:00.000-07:002009-08-26T16:37:38.493-07:00Leïla Sebbar : « Je ne parle pas la langue de mon père ».<span style="color: rgb(102, 51, 102);">Leïla Sebbar est née en Algérie pendant la colonisation, de père algérien et de mère française, et tous deux instituteurs. Elle a publié un grand nombre de romans, nouvelles, essais, récits, carnets de voyage et albums photographiques tous en français. Au sein de cette oeuvre abondante, on citera la trilogie romanesque de Shérazade (Stock), « Je ne parle pas la langue de mon père » (Julliard), « Mes Algéries en France » (Bleu autour) et « Le peintre et son modèle » (Al Manar-Alain Gorius).</span><br /><span style="color: rgb(102, 51, 102);">Son dernier livre « L’arabe comme un chant secret » vient de paraître aux éditions Bleu autour. Il rassemble six textes brefs et superbement écrits qui questionnent tous son rapport à la langue : l’arabe qu’elle ne parle pas et qui est pourtant la langue de son père, la langue qui a bercé son enfance, et le français, langue de sa mère, langue des apprentissages et langue de la colonisation. Dans un style ciselé et une écriture musicale qui séduit par son rythme et ses modulations, elle creuse avec rigueur le sillon de ces interrogations qui la hantent, et leur apporte des réponses subtiles et néanmoins lumineuses.</span> <br /><br /><span style="font-weight: bold;"><br />Vos textes interrogent sans cesse, et de différentes manières, les liens entre l’Algérie et la France et les relations passionnantes et difficiles entre ces deux cultures. Ces relations sont évidemment au coeur des rapports complexes entre vos parents. Quel regard portez-vous aujourd’hui sur le cheminement de votre oeuvre au regard de cette question ?</span><br />Dans mon écriture comme dans ma vie, je me sens une femme libre. Et en même temps, j’ai l’impression de ne pas l’être tout à fait puisque je suis conditionnée par ma propre histoire, par ma propre naissance, par mes parents. Mon père est donc algérien, musulman et instituteur en langue française dans une école française en Algérie ; ma mère est française, chrétienne, et institutrice en Algérie dans sa propre langue. J’ai l’impression que jusqu’à ce que je n’écrive plus, jusqu’à la vieillesse et la perte de mémoire, je suis pour toujours conditionnée par cette histoire familiale, cette histoire coloniale et post-coloniale.<br /><br /><span style="font-weight: bold;">Le paradoxe est que cette histoire est extrêmement présente et que vous n’y avez néanmoins accès que de façon parcellaire puisque vous ne parlez pas l’arabe. </span><br />En effet, je n’y ai accès que de façon biaisée, par des détours, et même les détours ne m’en donnent qu’un accès partiel. En même temps, je sais à présent de façon évidente que si j’avais parlé arabe, je ne serais pas devenue écrivain. J’ai mis longtemps à arriver à cette affirmation simple, mais depuis que je le sais, je ne peux mettre autre chose à la place.<br /><span style="font-weight: bold;"><br /><br />La langue arabe est donc tout à la fois votre manque et le moteur de votre écriture. Vous n’avez jamais été tentée d’apprendre cette langue ?</span><br />Non. J’étais inscrite en cours d’arabe au collège à Tlemcen et j’ai suivi une scolarité en arabe classique jusqu’au bac. Mais j’étais la seule dans ma classe dont la langue maternelle n’était pas l’arabe. Les autres filles maîtrisaient l’arabe algérien, et n’étaient pas désorientées. Moi, si. J’étais donc à l’écart, exclue par ces filles peu généreuses, surtout pendant les années de la guerre d’Algérie. Je n’ai rien appris. Aujourd’hui, je peux lire un texte voyellé, mais je n’ai pas accès au sens. Le fait d’avoir eu ce sentiment très fort d’être déplacée, ma relation très problématique avec mes condisciples qui me traitaient comme une ennemie, ont empêché que cet apprentissage se fasse. Je m’en suis sortie par une tricherie, et j’ai copié sur une voisine pendant toute ma scolarité. Mes propres parents ont été trompés par mes bulletins corrects. Mon père n’a jamais pris en charge cet enseignement et n’a donc pas été confronté à cet affront : sa fille en incapacité d’apprendre sa langue. Je n’en ai jamais parlé avec mon père et c’est ce qui me permet d’écrire.<br /><br /><span style="font-weight: bold;">Peut-on dire que votre père vous a protégée en gardant le silence ?</span><br />Comme nous n’en avons jamais parlé, je ne formule ici qu’une hypothèse. Et mon hypothèse est qu’en gardant le silence, mon père m’a protégée d’une division plus grande. Dans l’Algérie coloniale, très divisée et baignée de haines implicites, n’être ni d’un bord ni de l’autre aurait été encore plus difficile à vivre. Son silence m’a placée dans un camp, le camp dominant, celui qui allait me donner les moyens de me construire. Bien évidemment, je ne me suis pas trouvée dans le camp de l’Algérie française. Politiquement parlant, mes parents étaient dans le camp de l’indépendance, mais culturellement, mon père m’a placée du côté de la France.<br /><br /><span style="font-weight: bold;">Et aujourd’hui, sur le plan de votre identité personnelle, pouvez-vous échapper au ni-ni ? </span><br />Je suis française. Tous les Algériens nés dans l’Algérie coloniale d’un parent français étaient Français. Donc, sur le plan de l’état civil, c’est clair. Du point de vue de l’identité, ce n’est pas si clair. Je vis en France qui est le pays de mes amours, de mes enfants, je m’y conduis en citoyenne française, mais c’est ma part arabe, musulmane, algérienne qui me fait écrire. Cette part est vivante en moi, elle se situe du côté de l’émotion incontrôlée.<br /><br /><span style="font-weight: bold;">Et pourtant vous n’êtes pas, dites-vous, musulmane ?</span><br />Mon père est un instituteur laïc et ma mère aussi. Ils ont eu la sagesse de ne pas imposer de religion chez nous. Il n’y avait à la maison aucune parole sur Dieu, ni sur la religion. Il n’y avait ni Bible ni Coran.<br />Heureusement, les livres existent, et il a fallu que je lise beaucoup pour comprendre les religions musulmane, chrétienne ou juive. Cela m’apparaissait indispensable.<br /><br /><span style="font-weight: bold;">J’ai relevé dans une de vos interventions une phrase qui m’a beaucoup intéressée : « Je construis ma propre mémoire à travers les personnages que je mets en scène, et la fiction m’aide à retrouver l’Algérie parce que je sais que dans la réalité, je ne la retrouverai pas complètement ». Pouvez-vous revenir là-dessus, et sur les différences que vous semblez établir par ailleurs entre roman, récit et nouvelle ?</span><br />L’Algérie est pour moi emblématique de l’orient. C’est, en Algérie, ce qui est en lien avec l’orient qui m’intéresse et non pas l’Algérie algérienne. C’est cet ailleurs oriental que je connais mal qui me fascine. Quand je mets en scène Schéhérazade dans ma trilogie romanesque, je la fais partir dans un orient où je ne suis pas allée, un orient musulman, et qui correspond à la rive sud de la Méditerranée. La fiction me redonne la liberté que je n’ai pas, y compris celle de me confronter avec l’éducation religieuse musulmane que je n’ai moi-même jamais reçue.<br />Le récit, par contre, se situe du côté de l’autobiographie. Je me mets en scène avec le sentiment que je parle de moi sans parler de moi. C’est cela qui est intéressant dans le geste autobiographique, c’est qu’il emprunte aussi à la fiction.<br />Quant à la distinction roman/nouvelle, elle est liée à une situation d’exil. J’ai le sentiment que je ne peux pas écrire de roman linéaire, de roman psychologique, de roman académique. À l’intérieur du roman, j’écris plutôt du fragment, des sortes de nouvelles, des détours là encore, plutôt qu’un roman selon les canons romanesques.<br /><br /><span style="font-weight: bold;">Parlant de votre rapport aux langues, vous avez dit : « La musique de la langue m’intéresse plus que le sens ». Cette phrase fait évidemment écho au titre de votre livre : « L’arabe comme un chant secret ».</span><br />Quand je dis que le sens ne m’intéresse pas et que je recherche la mélodie, la voix, cela signifie que je recherche l’arabe entendu durant ma petite enfance sans chercher à le comprendre. C’est très semblable aux enfants qui récitent le Coran dans les écoles coraniques. Ils ont une espèce de bonheur à entendre une langue qu’ils ne comprennent pas. J’aime aussi mettre la radio arabe au moment du ramadan pour entendre les récitations du Coran. Je me sens ainsi dans la position de l’enfant : on lui dit que c’est grand et beau et il le croit.<br />Quand je dis que je ne veux pas apprendre l’arabe, ça choque beaucoup en Algérie, en Tunisie, au Maroc. Donc je n’en parle plus. Pourtant c’est cette ignorance qui me permet de rester en lien avec le regard de l’enfant, de garder cette posture particulière qui appartient à l’état d’enfance, quand l’enfant entend parler une langue et qu’elle va lui venir. Quand j’écoute de la musique, l’arabe me vient et cela même si je ne le comprends pas.<br /><br /><span style="font-weight: bold;">Vous avez donc un lien très fort à la musique de la langue. Mais qu’en est-il du lien à la culture arabe ? </span><br />Mon lien à cette culture se fait par le biais des traductions. J’ai lu plus de littérature arabe traduite que beaucoup d’arabes qui connaissent très mal leur littérature. Donc mon lien avec l’arabe en tant que culture transite par le français, et mon lien à l’arabe fondamental se fait de façon directe et très émotionnelle.<br /><br /><span style="font-weight: bold;">Dans un très beau passage de votre livre, vous dites : « Combien de vies, de livres, de mots pour croire qu’ils sont mes ancêtres ? Il a fallu la guerre, la guerre d’Algérie, pour avoir la certitude foudroyante que je suis la fille d’un Arabe et d’une Française, que la France a colonisé l’Algérie, que mon père est colonisé et ma mère colonisatrice, que je suis divisée malgré le discours qui rassure ». Pouvez-vous revenir là-dessus ?</span><br />Quand dans une famille, il n’y a pas de discours sur le roman familial, il n’y a pas d’ancêtres. Si je parle d’exil, je parle de ruptures généalogiques irrémédiables, surtout du côté du père. De la même façon, s’il n’y a pas de roman sur Dieu et les croyances, là aussi, quelque chose est perdu. Il devient impossible d’y accéder dans l’ordre du savoir. C’est pourquoi la fiction apparaît comme un secours et un recours.<br />Ce que je sais dans l’ordre du savoir, je le sais dans la langue de ma mère. Ça m’est donné et je n’ai pas besoin de l’interroger dans mon travail d’écrivain.<br />Mes écrits sont une sorte de littérature étrangère dans l’espace de la cité des lettres françaises.<br />J’écris dans la langue de ma mère pour accéder au père, au silence de sa langue, l’arabe. C’est ainsi que je peux vivre, dans la fiction, fille de mon père et de ma mère. C’est ainsi que je peux, par la fiction, restaurer cette double filiation.<br /><br /><span style="font-weight: bold;">J’ai relevé ailleurs dans votre livre les paroles suivantes : « Dire « je », l’écrire, ça s’apprend. Et si personne n’a été là pour qu’il prenne vie, pour qu’il vive et prospère, ce « je » inconnu, né de père et de mère inconnus ? Orpheline du « je » maternel et du « je »paternel ». Il me semble pourtant que votre « je » est présent dans le récit et l’autobiographie. Pourquoi donc parler d’absence du « je » ? </span><br />Cette question rejoint la question du roman familial. Dans le roman familial, il y a du « nous », donc du « je », il y a du pluriel et du singulier.<br />Les valeurs dans lesquelles j’ai baigné sont tout à la fois des valeurs laïques, des valeurs musulmanes et les valeurs du christianisme rigoriste. J’ai donc été élevée dans la conjugaison de trois systèmes différents au sein desquels la pudeur, la réserve, la modestie sont les valeurs imposées aux femmes. Tout « je »m’apparaissait comme une exhibition.<br />Aujourd’hui encore, si je dis « je », je n’ai pas le sentiment de donner du privé dans le public, je n’ai pas le sentiment de parler de moi. Et pourtant, je pense que dans mon dernier livre par exemple, je suis allée très profond, et je ne suis pas sûre de pouvoir aller plus loin dans la mémoire. Je ne dis rien de moi dans ce qu’on en attend, dans l’exhibition de la vie privée dont on est littéralement abreuvé, assommé en ce moment, mais je livre néanmoins des choses tout à fait essentielles de moi.<br /><br /><span style="font-weight: bold;">Vous le dites en effet dans votre livre et je ne résiste pas au plaisir de vous citer : « <span style="font-style: italic;">Alors je ne me dérobe plus,(...) je sais que je peux enfin dire « je » sans exhibition ni obscénité, sans blesser ma mère ni trahir mon père. Pas de mise en spectacle mercenaire et prostituée. Je reviens à mon enfance dans la colonie, à ma famille, père et mère, frère et soeurs, au village et au pays fondateurs, aux miens, à moi, la distance dans le temps et l’espace abolie. Je suis partie de loin, et je reviens ». </span></span><br /><br /><span style="color: rgb(102, 51, 102);">Publié dans l'Orient Littéraire de Mars 2008.</span>Georgia Makhloufhttp://www.blogger.com/profile/04834309551444366604noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1341314854360589444.post-12595560294311613862009-08-26T16:14:00.000-07:002009-08-27T03:34:50.808-07:00Un entretien avec Dominique Eddé autour de son dernier livre : « Le crime de Jean Genet » (Seuil).<span style="color: rgb(102, 51, 102); font-family: arial;">Interrompant provisoirement l’écriture d’un roman, Dominique Eddé s’engage dans son dernier livre dans une relecture exigeante de l’oeuvre de Jean Genet, qu’elle éclaire d’un jour nouveau , notamment à partir de la découverte de l’absence de père et de la multiplicité des</span><u style="color: rgb(102, 51, 102); font-family: arial;"> </u><span style="color: rgb(102, 51, 102); font-family: arial;">formes du parricide dans ses écrits.</span><o:p style="color: rgb(102, 51, 102); font-family: arial;"></o:p><span style="font-family:Baskerville;"><span style="color: rgb(102, 51, 102); font-family: arial;">Elle s’appuie également sur d’admirables textes de Genet portant sur Dostoïevski,</span><span style="color: rgb(102, 51, 102); font-family: arial;"> </span><span style="color: rgb(102, 51, 102); font-family: arial;">Giacometti et Rembrandt pour analyser la question du crime dans l’oeuvre et celle des rapports complexes de l’artiste au monde des hommes. Dans une langue exigeante de précision et de finesse, toujours juste dans ses nuances et ses modulations, elle se tient au plus près d’une oeuvre complexe et souvent d’une stupéfiante beauté.</span><span style=""> </span><o:p></o:p></span> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family:Baskerville;"><!--[if !supportEmptyParas]--><span style="color: rgb(102, 51, 102);"> </span><!--[endif]--><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b>Dominique Eddé, j’ai envie de commencer cet entretien par la fin, c’est-à-dire par les mots qui clôturent votre livre : <i>« Je sais mieux désormais pourquoi j’ai écrit ce livre. Tenter de comprendre Genet m’a conduite à adopter sur ses traces la plus salutaire des postures: se trouver au beau milieu de tous les contraires, en cet endroit où la réalité, fragilisée à l’extrême, nous oblige à garder le vertige pour garder l’équilibre </i></b><span style="font-style: normal;"><b>». Pourquoi ce livre, et pourquoi ce livre aujourd’hui ?<o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><u><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></u></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;">J’ai été amenée à me replonger dans l’œuvre de Genet<span style=""> </span>à l’occasion d’un débat qui lui était consacré. C’est ainsi que j’ai découvert un certain nombre de pistes inédites qui m’ont décidée à en faire un livre. Très vite, mon analyse s’est trouvée en contradiction avec les thèses d’un certain nombre d’intellectuels français attachés à confondre - à tort -<span style=""> </span>le caractère subversif et provocateur de Genet avec de l’antisémitisme. En s’attaquant à Genet par ce biais là, ils ont aussi et surtout cherché à écorner la cause palestinienne dont il fut un défenseur indéfectible. Outre le fait que leur<span style=""> </span>procédé est absurde - une cause est juste ou injuste en soi, quelles que soient les motivations de ceux qui la soutiennent – je montre en quoi Genet échappe au simplisme de leurs conclusions, en quoi il échappe au principe de la « conclusion » tout court. Il est un écrivain qui ne cesse de miner le terrain, de dynamiter les frontières. C’est cela que j’ai eu envie de penser, abstraction faite du jugement moral. J’ai donc tenté d’écrire un texte qui soit libre de tout parti pris : ni simplificateur au sens que je viens de décrire, ni hagiographique, travers plutôt fréquent de notre culture arabe qui sacrifie assez volontiers une part de la vérité au mythe. <o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b>Vous parliez de « découvertes inédites »… <o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;">Oui, je dirais que la première découverte fut le constat de l’absence de figure paternelle dans toute l’oeuvre de Genet. Cette absence s’explique certes par l’histoire personnelle de cet écrivain, né de père inconnu et abandonné par sa mère à l’âge de sept mois. Mais encore fallait-il comprendre comment il avait négocié psychiquement cette suppression du père, autrement dit : où, dans quel espace avait-il opéré le transfert? À relire son oeuvre à partir de cette question<u>,</u> il m’est apparu, que Genet avait placé le père dehors : à l’endroit du monde, à l’endroit de la loi. Son « parricide » s’est en quelque sorte traduit en un combat acharné, implacable, formidablement mis en scène, contre toutes les figures de l’autorité et de la domination : la police, les colons, le monde des blancs, la France, l’occident, Israël, l’Amérique…<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;">Cette mise à mort symbolique du père, Genet l’accomplit dans le fond et dans la forme. Car, en choisissant d’écrire dans une langue très classique, celle des grands écrivains romantiques du XIXème tels que Chateaubriand, Nerval ou Victor Hugo, il a choisi ce qu’il appelle lui-même « la langue de ses ennemis ». Au résultat : une langue somptueuse, investie par une homosexualité très crue et chargée d’un contenu dévastateur. Une « charge » d’autant plus offensante - pour certains insupportable - qu’elle est poétiquement irrésistible. En somme, Genet a retourné la langue française contre ceux qui en étaient les dépositaires. Contre ses pères et pairs ennemis.<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b>Vous avez donc souhaité mettre cette découverte à l’épreuve de l’oeuvre, et vous vous êtes<span style=""> </span>longuement arrêtée sur un texte de Jean Genet traitant de Dostoïevski et en particulier des frères Karamazov. De quelle façon ce texte éclaire t-il l’oeuvre de Genet et son approche de la question du crime, si présente dans ses écrits ?<o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;">Les deux conceptions du crime, celle de Dostoïevski et celle de Genet sont passionnantes à confronter. Chez le premier l’assassin est, certes, la face noire de l’humanité, mais il a aussi un rôle<span style=""> </span>« rédempteur ». Il endosse la faute qui, sinon, aurait dû être supportée par d’autres; chez le second, l’assassin est auréolé. C’est la figure de l’homme seul par excellence. Muni du passeport de la beauté, la beauté de l’écriture, Genet se paye la plus grande, la plus insensée des provocations : il fait l’éloge de l’assassin. C’est sa manière d’attenter à la pudeur du monde, de s’en exiler, de s’en couper à jamais. Comme un grand coup de théâtre. D’ailleurs, toute l’œuvre de Genet est théâtrale. Si bien que, sous sa plume, la victime du crime n’a presque pas de réalité en tant que telle. Elle est indissociable de celui qui la tue. On peut même dire qu’à eux deux, le tueur et le tué ne font qu’un. Ils sont en un sens, les figures alternées<span style=""> </span>de Genet lui-même. Au plan du fantasme bien sûr. <u><o:p></o:p></u></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;">La question du crime pose toute la question du bien et du mal : valeurs indissociables pour l’un -Dostoïevski- séparées et inversées, pour l’autre - Genet. Il va de soi que je suis infiniment plus proche de Dostoïevski que de Genet sur ce sujet. Toute vision séparée, clivée, du bien et du mal, est à mes yeux un fourvoiement. Au plan politique, un désastre. <o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;">À vrai dire, penser Genet c’est déjouer en permanence ses pièges d’un côté et ceux de la bonne conscience de l’autre, c’est penser l’ambivalence et la complexité à leur comble. <o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;">Je dirais que Genet est un grand pervers dans la peau d’un grand poète dans la peau d’un grand farceur. Il est indéniablement immoral, et pourtant… il demeure une dimension éthique chez lui, car dans le rapport de force, il est toujours du côté des perdants. <o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b>Genet est toujours du côté des perdants et pourtant il fait l’éloge de l’assassin, n’est-ce pas paradoxal ?<o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;">Oui, et c’est pourquoi il est très compliqué de le penser en tenant tous les bouts. Sartre lui a consacré un livre qui ne fait pas moins de 700 pages. Genet se sait doté d’une grande capacité de subversion qu’il doit à son génie poétique et cette capacité, il veut la prêter à ceux qui ne l’ont pas. C’est ce qu’on pourrait appeler sa « morale » d’homme seul aux côtés de l’homme seul. Mais dans le même temps, rien, absolument rien ne l’arrête ni ne l’intimide. Pour lui, tous les coups sont permis. Il est avec ceux qui sont rejetés par l’ordre public, y compris – s’il est beau, s’il est seul, s’il anime son désir - avec celui qui s’arroge le pouvoir de donner la mort. Tenez, cette phrase de lui résume son culot : <i>« Si mon chant était beau, s’il vous a troublé, oserez-vous dire que celui qui l’inspira était vil ? ». <o:p></o:p></i></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style=""> </span><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b>On en vient<span style=""> </span>à la question si troublante de l’antisémitisme supposé de Genet à laquelle vous vous êtes forcément confrontée. Qu’en est-il ?<o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;">Question difficile. Disons que l’antisémitisme qui consiste à détester un juif parce qu’il est juif, ne correspond pas au cas de Genet. J’ai eu plus d’une fois l’occasion de parler de la question juive avec lui. Je ne l’ai jamais entendu tenir de propos insultants à l’endroit des juifs. Il était<span style=""> </span>hostile aux religions en général, aux trois monothéismes en particulier, et plus précisément à la notion de l’élection dans le judaïsme.<span style=""> </span><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;">Alors, Genet a-t-il eu des « pulsions » antisémites ? Oui, sans aucun doute. Si je tiens à ces nuances dans le choix des mots<span style=""> </span>c’est qu’elles sont, à mes yeux, essentielles pour qui veut faire avancer la pensée. On est de plus en plus limité, coincé – en occident comme en orient – par la pauvreté du vocabulaire qui sert à catégoriser les idées et les choses. Nous avons tous, ne serait-ce que par moments, et à des degrés divers, des pulsions racistes. Le reconnaître me paraît être le meilleur des points de départ pour les combattre. Mais revenons à Genet. Il se trouve - au-delà de la question de l’antisémitisme - des passages tout simplement odieux dans son œuvre. Ainsi dans<span style=""> </span>« Pompes Funèbres », une phrase sur le massacre d’Oradour – barbarie nazie à l’état pur - qui est une provocation irrecevable, quelle que soit la manière dont on cherche à la replacer dans le contexte. Dans ce livre, Genet a poussé la provocation jusqu’à la bêtise.<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b>Vous dites dans votre livre que finalement, penser Genet se confond avec la seule entreprise de penser. Y a t-il un lien à faire entre ceci et ce que vous venez de souligner concernant cette tendance généralisée à la simplification ?<span style=""> </span><o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;">C’est vrai que penser Genet aide à cultiver une méfiance de tous les instants contre la simplification. Il est à peu près aussi difficile de le penser que de penser, par exemple, la question libanaise. J’ai même envie de dire que, toutes proportions gardées, Genet est à la littérature ce que le Liban est à la géopolitique. C’est-à-dire un cas explosif, un terrain miné. Une sorte de caricature fondée sur son contraire. Autrement dit : une somme de données multiples et contradictoires qui exigent du raisonnement la prise en compte simultanée de l’extrême outrance et de l’extrême nuance. Une question de méthode affreusement compliquée. Pour Genet, comme pour le Liban, il s’agit de ne pas se laisser avoir par la commodité, par la tentation de réduire pour « en finir ». <o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b>Votre livre est en effet formidablement réussi parce que vous parvenez tout à fait bien à restituer toutes les facettes de ce personnage, car il s’agit bien d’un personnage, avec ce sens si aigu de la mise en scène. Mais, à vous qui l’avez connu, j’ai envie de demander si l’homme était attachant, s’il<span style=""> </span>était, ne serait-ce que par moments, simplement humain, bon ?<o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;">Sa capacité d’humanité et de bonté était réelle. Mais il ne la manifestait que dans des conditions précises. Ceux dont il est resté<span style=""> </span>proche jusqu’à la fin de sa vie en témoignent très bien. Il n’en demeure pas moins qu’il avait fait de « la trahison » un mode d’existence, une sorte d’infidélité nécessaire à la protection de ses choix. Il ne faut pas oublier de dire qu’outre sa redoutable intelligence,<span style=""> </span>Genet avait un humour inouï.<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style=""> </span>Il était un funambule qui, pour tenir le monde à distance, exerçait sur lui-même une surveillance de tous les instants. La prison, durant sa jeunesse, le protégeait de cette menace. C’est la raison pour laquelle il a écrit la majeure partie de son oeuvre derrière les barreaux. D’où sa fameuse formule : <i>« Une fois libre, j’étais perdu </i><span style="font-style: normal;">». C’est que l’air libre était corrosif pour son entreprise poétique : il lui faisait perdre son « ennemi » de vue, il le diluait. Son chant avait besoin, pour se déployer, d’une solitude maximale, d’un espace physique et psychique étanches. Tout réveil brusque<span style=""> </span>mettait son lyrisme en péril. Pour lui, les choses se passent un peu comme pour un rêveur qui recueille le souvenir de son rêve tout en rêvant encore.<o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style=""> </span><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b>Peut-on dire qu’il a sacrifié sa vie à son oeuvre ?<o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;">Sa vie était peut-être secondaire par rapport à l’événement qu’il souhaitait en tirer. Il voulait avant tout attenter à ce qui fait la vie organisée des hommes, saboter l’ordre établi de la réalité, et même la réalité tout court. . « <i>Je voudrais que le monde ne change pas pour me permettre d’être contre le monde »,</i><span style="font-style: normal;"> disait-il. Cette phrase, on pourrait la paraphraser en ajoutant qu’il avait un besoin vital de la mort, besoin que la mort reste la mort pour rester lui-même en vie . La mort est omniprésente dans son oeuvre, elle est son personnage principal. L’ombre constante de chaque chose, de chaque pensée. C’est elle qui donne du relief à la vie. Pour Genet, la vie sans la mort est une morte.<o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b>Vous avez amplement parlé de l’absence de père et des multiples formes du parricide dans l’oeuvre de Genet. Mais il a également, manqué de mère. Et peut-être a t-il trouvé auprès des palestiniens dont il partagera<span style=""> </span>la fraternité dans les camps, un peu de cette chaleur maternelle qui lui aura manqué.<o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;">Oui, c’est vrai. Mais l’image de la mère est quand même présente chez Genet. Il en a manqué, certes, mais pas de façon aussi radicale que de père. Sa mère l’a gardé pendant les premiers mois. Puis il a bénéficié jusqu’à l’âge de onze ans de la présence d’une mère adoptive , Eugénie Régnier, qui meurt en 1922. <o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;">C’est seulement à la fin de sa vie, dans « Un captif amoureux » que Genet va à la recherche de la mère perdue. Il croit la trouver, sous les traits de la mère d’un jeune combattant palestinien : Hamza. Mais là encore, l’illusion mise à l’épreuve de la réalité finit par s’effondrer. <o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;">Quelle que soit la part subjective de sa présence parmi les palestiniens, elle n’en a pas moins été politiquement exemplaire. Sans compter qu’il nous aura légué, parmi d’autres, un texte d’une valeur inestimable sur les massacres de Sabra et Chatila. Combien d’autres grands écrivains français ont-ils eu le courage de soutenir – contre le pouvoir israélien - ce peuple abandonné de tous ?<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><br /><!--[if !supportLineBreakNewLine]--><br /><!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b>On avance dans votre livre comme dans une enquête policière, et à la page 86, vous évoquez la découverte que vous faites sur le nom du père de Genet : les archives de l’assistance publique ont révélé il y a peu qu’il s’appelait Blanc. Ce qui vous donne l’occasion d’écrire de très belles pages sur ce rapport souterrain et néanmoins si présent dans l’oeuvre de Genet avec « le blanc ».<o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;">Oui en effet. Genet était le nom de sa mère. Du père, on ne savait rien, jusque très récemment. Et j’ai été à proprement parler sidérée par la découverte que vous signalez. Je l’ai faite, en cours de rédaction de mon livre. <o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b>Et vous soulignez dans votre livre que le blanc est la couleur de peau à laquelle Genet fit la guerre sa vie durant. Et c’est encore du blanc que naît la première page du « Captif amoureux » : <i>« La page qui fut d’abord blanche est maintenant parcourue du haut en bas de minuscules signes noirs, les lettres, les mots, les virgules, les points d’exclamation, et c’est grâce à eux qu’on dit que cette page est lisible. Cependant à une sorte d’inquiétude dans l’esprit, à ce haut-le-coeur très proche de la nausée, au flottement qui me fait hésiter à écrire... la réalité est-elle cette totalité de signes noirs ? Le blanc, ici, est un artifice qui remplace la translucidité du parchemin, l’ocre griffé des tablettes de glaise et cet ocre en relief, comme la translucidité et le blanc ont peut-être une réalité plus forte que les signes qui les défigurent. </i></b><span style="font-weight: normal;"><i>»<o:p></o:p></i></span></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><i><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></i></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;">Je vous remercie de clore notre entretien en lui rendant la parole.<span style=""> </span>En insistant sur la beauté de sa langue, sur le caractère majeur de l’œuvre : sa force poétique, sa forme.<br /></p><p class="MsoNormal" style="text-align: justify; color: rgb(102, 51, 102);"><br /></p><p class="MsoNormal" style="text-align: justify; color: rgb(102, 51, 102);">Publié dans l'Orient Littéraire de Juin 2007.<br /><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><!--[if !supportEmptyParas]--><span style="color: rgb(102, 51, 102);"> </span><!--[endif]--><o:p></o:p></p> <!--EndFragment-->Georgia Makhloufhttp://www.blogger.com/profile/04834309551444366604noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1341314854360589444.post-72309942596859761172009-08-26T11:27:00.000-07:002009-08-26T11:36:13.923-07:00Hanan El Cheikh : «Plus qu’un pays, j’habite avant tout une langue ».<span style="color: rgb(102, 51, 102);">Au sein de la littérature libanaise, Hanan el Cheikh fait figure de pionnière. « Histoire de Zahra » n’est pas son premier roman, mais il est celui qui la fait connaître, tant dans le monde arabe qu’à l’étranger. Ce roman frappe par sa liberté de ton, sa singularité, la façon dont il s’empare de questions douloureuses, à bras le corps. El Cheikh poursuivra avec opiniâtreté son itinéraire littéraire, nous offrant chemin faisant de superbes portraits de femmes arabes, confrontées à la duplicité des sociétés et des cultures à leur égard. Son oeuvre est largement traduite dans plusieurs langues et en Français par Actes Sud. Cet entretien est une belle occasion de ré - entendre une voix qui nous avait manqué ces dernières années.</span><o:p></o:p><p></p> <p class="MsoNormal"><b>Vous avez quitté le Liban depuis plus de trente ans, et néanmoins, quel que soit le sujet de vos livres, il me semble que le Liban y<span style=""> </span>est toujours présent, sous des formes différentes. Comment vivez-vous ce rapport avec le Liban dans votre écriture ?<o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal">Depuis mon deuxième livre publié en 1975 (« Le Cheval du diable », non traduit en Français), le Liban n’a cessé d’être au coeur de mon travail. J’y abordais la vie de mes grands-parents, la question des traditions y compris les traditions religieuses. Il me semblait déjà que parler de moi et parler du Liban était une seule et même chose. Puis la guerre est arrivée et m’a inspiré « Histoire de Zahra ». Je me suis sentie d’emblée très fortement concernée par ce qui se passait et la fiction m’a donné les moyens d’en parler. Le niveau personnel rejoignait donc le niveau universel, tous deux étaient étroitement liés.<br />Puis la vie m’a emmenée vers l’Arabie Saoudite et j’y ai écrit « Femmes de sable et de myrrhe ». On aurait pu croire que je m’éloignais du Liban, mais ce n’était pas le cas, car à travers le personnage de Soha, je traitais de questions autour de l’identité et de la culture libanaises. Même le personnage de la mère de Tamr, une Turque déracinée alors qu’elle était très jeune pour être mariée à un saoudien, était une façon détournée de parler de ma propre mère. <o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal">Par la suite, j’ai souhaité me sortir le Liban de la tête, écrire sur autre chose, mais l’écriture m’y a ramenée à mon insu avec « Poste restante, Beyrouth ». J’étais, à cette époque, dans la peur de l’oubli. Je ne voulais pas que Beyrouth meure une deuxième fois, qu’elle soit chassée des mémoires. Et en même temps, je souhaitais corriger l’image qu’en donnaient les médias occidentaux, une image exclusivement centrée sur la violence et le terrorisme. C’est tout cela qui a produit ce texte profondément nostalgique, chargé d’émotions, de lamentations et ... de musiques. C’était un portrait de Beyrouth, le Beyrouth d’avant et le Beyrouth brisé par la guerre. Ce n’était donc pas Asmahan qui en était le personnage principal mais bien la ville elle-même.<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><b>Peut-on dire que l’écriture vous a permis de continuer à vivre au Liban bien que, géographiquement, vous en étiez très loin ? <o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal">Oui, c’est exactement ça. J’ai même parfois eu l’impression que j’y vivais davantage que ceux qui étaient restés. Je veux dire par là que ceux qui subissaient les difficultés et parfois les horreurs de la guerre, avaient besoin de fuir mentalement, de s’évader. Par ailleurs, qui se trouve dans une forêt n’en voit qu’une toute petite partie,<span style=""> </span> tout au plus quelques arbres ; alors que celui qui se trouve à distance en a une vision plus complète. <o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal">Par l’écriture donc, je vivais le Liban. Je ne me souvenais pas, ce n’était pas dans le souvenir que le Liban était présent. Non, j’y vivais réellement. Peut-on dire pour autant que j’en ai donné une vision juste dans mes écrits ?<span style=""> </span>Je ne sais pas. Mais ce travail était essentiel pour moi. Et il m’a permis de passer à autre chose, d’explorer d’autres univers.<br /><br /><b>Vous voulez sans doute parler des textes que vous avez écrits pour le théâtre, et qui ont été mis en scène à Londres ?<o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal">C’est en effet le moment où j’ai écrit deux textes pour la scène londonienne : « Un sombre<span style=""> </span>thé d’après-midi » et « Un mari de papier » (non traduits en Français).<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal">Dans le premier, deux femmes libanaises prennent ensemble le thé et échangent leurs souvenirs. Elles évoquent le destin brisé des familles libanaises, la dispersion de leurs membres, jetés sur les routes en raison de la guerre.<br />Le deuxième texte aborde la question de l’émigration. Tous ses personnages sont des émigrés qui tentent de se reconstruire une vie après la fracture de l’exil. En réalité, à partir de ce moment-là, l’émigration devient la question centrale de mon oeuvre et « Londres, mon amour » en est une belle illustration.<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal">J’ai également écrit une longue nouvelle (120 pages) qui a été mal comprise et mal accueillie au Liban : « Deux femmes sur le rivage » (non traduit). Elle raconte vingt-quatre heures de la vie de deux femmes. Toutes deux sont Libanaises, toutes deux vivent à l’étranger et y ont réussi de brillantes carrières, toutes deux sont célibataires. Et bien que l’une soit chrétienne et l’autre musulmane, elles ont été confrontées dans leurs familles respectives à des problèmes analogues. Elles se rencontrent au Liban à la faveur d’un colloque et se découvrent une profonde proximité. <o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal">Ce texte a été perçu comme s’adressant à un public occidental, comme formaté pour lui plaire. Et j’en ai été blessée, car pour moi, ce texte était une belle réussite à la fois par sa construction et par son écriture.<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><b>Ce que vous relatez là me permet<span style=""> </span>justement d’aborder une question qui me paraît importante et qui est la question du lecteur. Vous vivez depuis longtemps à l’étranger, vos textes sont traduits en anglais et dans nombre d’autres langues, vous avez donc aujourd’hui un double public : le public libanais et arabe d’une part, le public anglais et occidental de l’autre. Pour qui écrivez-vous ? Y a t-il des textes qui s’adressent davantage à l’un des deux publics ? Pouvez-vous écrire pour les deux simultanément ?<o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal">Fort heureusement, j’écris aussi pour le théâtre. Je veux dire par là que mes pièces de théâtre ont été écrites pour un public occidental en priorité. Plus généralement, mes essais et mes pièces de théâtre sont des travaux de commande et ils s’adressent donc au public anglais et occidental. Sans doute aussi aux<span style=""> </span>Arabes vivant à l’étranger. Récemment par exemple, Eve Ensler (qui s’est fait connaître par « Les monologues du vagin ») m’a commandé un<span style=""> </span>monologue pour la Journée de la Femme. <o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal">Néanmoins, commande ou pas, j’écris en arabe et je m’adresse donc forcément aux Arabes. À travers la langue, je maintiens un lien qui me rattache puissamment et indéfectiblement au monde arabe. Au point qu’il me parait juste de dire que, plus qu’un pays, j’habite avant tout une langue. <o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal">Pourtant, bien que j’écrive en arabe, des critiques ont estimé que mes livres ont un apport qui enrichit la littérature anglaise et y ajoute une saveur particulière. Au même titre que les écrits d’auteurs d’origine étrangère tels que Hanif Kureishi, Monica Ali ou Kazuo Ishiguro. <o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal">Cela dit, force est de constater que certains livres ont davantage de succès auprès d’une partie de mon public qu’auprès de l’autre. « Londres, mon amour »<span style=""> </span>a beaucoup plu aux lecteurs anglais, alors que le livre sur ma mère (« C’est une longue histoire », non traduit) a eu un grand retentissement auprès du public libanais et arabe.<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><b>Parlons en effet du magnifique livre que vous consacrez à votre mère et qui occupe, me semble t-il, une place à part dans votre oeuvre. Il se distingue clairement de vos autres livres et il constitue une rupture par rapport à ce qui était devenu votre thématique privilégiée, celle de l’émigration. Comment en êtes-vous venue à écrire ce texte à ce moment-là de votre parcours ?<span style=""> </span><o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal">Ma mère m’avait à plusieurs reprises demandé d’écrire son histoire. Plus elle prenait de l’âge plus elle était tourmentée par la culpabilité, celle de nous avoir abandonnées ma soeur et moi alors que nous avions respectivement dix et six ans. Elle avait besoin de s’expliquer et d’être pardonnée. A cette époque, je m’étais beaucoup rapprochée d’elle, et jamais je ne lui faisais sentir que je lui en voulais, que j’étais en colère ou amère. Néanmoins, je ne ressentais pas le besoin de l’entendre raconter son histoire. Il me semblait que je savais ce qu’il y avait à savoir là-dessus et que les histoires des autres m’intéressaient davantage. Elle, pourtant, reconnaissait des fragments de sa propre vie dans plusieurs de mes livres, des aspects de son propre caractère sous les traits de mes personnages. Et elle estimait que je ne lui rendais pas justice, que j’utilisais son histoire sans lui donner la possibilité de dire son point de vue.<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal">Ma mère était analphabète mais elle connaissait tous mes livres en détail. Elle avait demandé qu’on lui en fasse lecture. <o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal">Et puis un jour, de guerre lasse, elle m’a menacée de charger quelqu’un d’autre, que j’estimais sans talent aucun, d’écrire son histoire. Je me suis alors décidée.<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><b>Et comment s’est déroulé le processus d’écriture ? Le texte est si riche de détails, si précis. J’imagine que vous avez enregistré des heures entières d’entretiens... <o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal">Nous avions en effet de longs entretiens. Je l’écoutais attentivement, prenais quelques notes, mais je n’enregistrais rien. Il lui arrivait de se souvenir de nouveaux éléments et de me téléphoner en pleine nuit pour me les raconter. Il lui arrivait aussi de regretter de m’avoir dit certaines choses, celles par exemple qui dépeignaient avec une certaine crudité la pauvreté dans laquelle elle avait grandi. Pour la rassurer, j’ai rédigé ces chapitres-là très rapidement et je lui en ai fait la lecture au téléphone. Elle les a trouvés très beaux et elle a accepté qu’ils soient publiés.<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal">Dans ce projet qui était le sien, elle était portée par la volonté de transmettre un message essentiel à ses yeux : l’absolue nécessité de l’éducation des filles. <o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal">Mais ce qui a été pour moi tout à fait incroyable dans cette aventure, c’était de découvrir que ma mère était, à proprement parler, un écrivain. La façon dont elle s’exprimait était surprenante, avec un sens aigu de la formule, un souci permanent du détail juste, une mémoire des sensations tout à fait remarquable et qui donnait de la chair à son récit. Ma mère était écrivain, mais elle était analphabète. Il lui fallait donc que quelqu’un prenne la plume pour elle et c’est ce que j’ai fait.<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal">Puis ma mère est tombée malade alors que j’avais commencé à rédiger le livre. Je ne pouvais plus continuer et j’ai interrompu l’écriture pendant un très long moment. Je n’y suis revenue que deux ans après son décès.<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal"><b>Pourquoi ce texte n’a t-il pas encore été traduit ? Y a t-il des raisons particulières à cela ?<span style=""> </span><o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal">Oui en effet. Mon éditeur anglais voulait que je le ré - écrive. Il était surpris par ce texte<span style=""> </span>duquel, disait-il j’étais absente. On n’y entendait pas ma voix. L’unique point de vue était celui de ma mère. Or, pensait-il, il fallait que je m’introduise dans le texte, et que j’y dise ma blessure, ma colère, l’amertume que je ne pouvais manquer d’éprouver et que j’avais, de son point de vue, censurées.<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal">J’ai longuement réfléchi et j’ai même fait quelques tentatives pour aller dans son sens. Mais j’ai fini par m’apercevoir que ce texte était comme il devait être : une histoire qui appartenait à ma mère et qui était racontée comme elle l’aurait fait elle-même si elle avait pu écrire. Ce texte devait faire entendre sa voix, car c’est exactement cela qu’elle voulait. Le bateau, c’était elle, je n’étais moi-même que le vent.<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal">J’ai donc simplement accepté de rédiger une introduction expliquant la genèse de ce livre, et un épilogue. Il va donc paraître bientôt en anglais et je pense que la traduction française suivra. Avec ce livre, on a un bon exemple des différences de perception entre le public occidental et arabe. Ce livre qui a profondément<span style=""> </span>bouleversé les lecteurs arabes par la force du témoignage de ma mère a été reçu avec perplexité par mon éditeur qui s’intéressait en priorité à<span style=""> </span>ce que pouvait être mon ressentiment à l’égard de ma mère, à la crise de notre relation dont il souhaitait que je fasse le thème central du livre. <o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal"><b>On imagine sans peine que ce long processus a été difficile à vivre pour vous.<o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal">Disons que j’ai connu des moments de déprime. J’ai eu entre les mains des lettres qui<span style=""> </span>avaient été écrites à ma mère, des journaux intimes rédigés par des personnes de son entourage, ceux de son amant par exemple. Certains passages me concernaient, directement ou en creux. Tout cela n’était pas toujours simple à vivre.<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal">Et puis la vie de ma mère, c’est aussi une tranche de la vie d’un Liban aujourd’hui disparu à jamais, fracassé, en lambeaux. <o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal">Mais avec ce livre, je crois que j’ai définitivement tourné une page...<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><b>...pour revenir sans doute vers les questions liés à l’émigration que vous n’avez pas fini d’explorer. Et je me demandais finalement en repensant à vos différents personnages si l’émigration était pour vous une tragédie ou une occasion de liberté et d’épanouissement.<o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal">Je pense que l’émigration est, dans la majorité des cas, une tragédie. Et elle va le devenir de plus en plus. Car dans la plupart des pays du tiers monde, les rangs des candidats à l’émigration ne cessent de grossir et ce, en grande partie, en raison de l’échec des régimes en place. L’image qui me vient est celle d’un navire dans lequel s’entassent ces fugitifs, forcés au départ par les politiques qui les gouvernent. Une fois en pleine mer, les portes du navire s’ouvrent : certains parviennent à rejoindre la terre ferme, mais beaucoup se noient. L’émigration est un miroir aux alouettes, et une fois partis, beaucoup d’émigrés se retrouvent piégés dans des conditions de vie épouvantables ; ils sont comme en détention. Il y a certes quelques réussites, mais il y a surtout beaucoup d’échecs. Je n’ai pas fini d’écrire là-dessus.<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal"><b>Quels sont vos projets d’écriture actuels ?<o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal">J’ai deux chantiers en cours, dont l’un est un roman que je ne souhaite pas dévoiler pour le moment et l’autre, une pièce de théâtre. Elle a pour thème une palestinienne dont la maison a été coupée en deux par le mur. Je l’écris sous la forme d’une comédie, mais il s’agit bien sûr de dénoncer la tragédie du peuple palestinien. Je voudrais qu’elle soit jouée à Londres mais aussi partout en Europe et dans le monde. Il y a trop de silence autour du drame palestinien. <o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><b>Pour élargir un peu la perspective, j’avais envie de vous demander de quel courant littéraire, de quels écrivains, arabes ou non arabes vous vous sentez proche. Et quelles sont les influences littéraires qui ont compté pour vous ? <o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal">Je lis énormément, en littérature arabe et occidentale. Et j’ai envie de saluer la vitalité de la littérature égyptienne contemporaine, qui compte dans ses rangs quelques écrivains reconnus en occident tels que Tayyeb Saleh, Gamal Ghitany ou Alaa el Aswany, et d’autres moins connus tels que Mohammad el Busati, Baha’ Taher, Salwa Bakr ou Latifa el Zayyat. Mon sentiment est que la littérature égyptienne a une diversité et une largeur de champ plus importante que la littérature libanaise qui doit encore s’affirmer, s’approfondir et gagner en maturité. <o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal">Mais je me sens également très proche d’une certaine littérature anglaise qui est souvent le fait d’écrivains d’origine étrangère, parmi lesquels j’ai envie de citer Salman Rushdie, J.M. Coetzee, ou un écrivain saoudien que je viens de découvrir, Youssef Al Mohaimeed.<span style=""> </span><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal">Entretien réalisé et traduit par <!--[if supportFields]><span style="'mso-element:field-begin'"></span><span style="mso-spacerun: yes"> </span>CONTACT _Con-4012981C1 \c \s \l <span style="'mso-element:"></span><![endif]--><span style="" lang="EN-US">Georgia Makhlouf</span><!--[if supportFields]><span style="'mso-element:"></span><![endif]-->.<o:p></o:p></p> <p class="MsoNormal"><span style="color:blue;"><b><!--[if !supportEmptyParas]--><span style="color: rgb(102, 51, 102);">Publié dans l'Orient Littéraire d'Avril 2008. </span><!--[endif]--><o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><b><span style=""> </span><o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></p> <p class="MsoNormal"><b><span style=""> </span><o:p></o:p></b></p> <!--EndFragment-->Georgia Makhloufhttp://www.blogger.com/profile/04834309551444366604noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1341314854360589444.post-24497024600732660862009-08-26T11:12:00.000-07:002009-08-26T11:25:37.009-07:00Amin Maalouf : La culture comme réponse aux dérèglements du monde.<span style="color: rgb(102, 51, 102);">Après « Les identités meurtrières » qui avait connu un immense retentissement auprès de la critique et du public, Amin Maalouf</span><span style="color: rgb(102, 51, 102);"> </span><span style="color: rgb(102, 51, 102);">publie un nouvel essai qui se propose de penser les dérèglements du monde, d’en analyser les causes profondes et de dessiner les voies d’une possible renaissance. On l’attendait depuis longtemps. Et à le lire, avec la même fièvre avec laquelle on dévore ses romans, on mesure combien nous avait manqué cette voix, sa capacité à bousculer les habitudes de pensée, sa clairvoyance, sa passion mais aussi sa colère. La colère des Justes. </span><o:p></o:p><p></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family:Baskerville;"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family:Baskerville;"><b>Je souhaitais pour commencer, vous interroger sur le choix de votre titre. Parler de dérèglement pourrait laisser penser qu’il fut un temps heureux où le monde était bien réglé. Or ce n’est pas, à l’évidence, ce que vous pensez. Pourquoi<span style=""> </span>donc parlez-vous de dérèglement ? <o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family:Baskerville;">Il y a bien aujourd’hui des dérèglements majeurs, ce qui ne signifie pas qu’il y a 20 ou 50 ans, tout allait pour le mieux. Prenons des exemples qui illustrent bien ma thèse principale. Si l’on pense à l’économie, on voit bien que quelque chose dérape complètement, qu’un système arrive à ses limites. Des institutions bancaires importantes que tout le monde croyait à l’abri sont prises dans la tempête. L’autre exemple évident est la question climatique où les dérèglements sont porteurs de conséquences graves pour la planète. Regardons aussi les rapports entre les groupes, entre les communautés dans le monde ; ils ont atteint un niveau de violence inégalé, comme c’est le cas en Irak entre sunnites et chiites. Les attentats suicides dont de nombreux pays sont le théâtre, enfin, sont aussi des symptômes de ce dérèglement que je tente d’analyser.<o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family:Baskerville;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family:Baskerville;"><b>Ce livre qui vient de paraître, il me semble que vous le portez en vous depuis longtemps. J’en veux pour preuve une phrase que j’ai relevée dans le long entretien biographique qui est sur votre site personnel et qui a été mené en 2001. <i>« Dans tout ce que j’écris, j’ai l’impression de mener un combat, depuis toujours le même. Contre la discrimination, l’exclusion, l’obscurantisme, les identités étroites, contre la prétendue guerre des civilisations et aussi contre les perversités du monde moderne, contre les manipulations génétiques hasardeuses. Patiemment, je m’efforce de bâtir des passerelles, je m’attaque aux mythes et aux habitudes de pensée qui alimentent la haine. C’est le projet de toute une vie, qui se poursuit de livre en livre, et se poursuivra tant que je pourrai écrire ».<o:p></o:p></i></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family:Baskerville;">En effet, cette phrase est révélatrice de mon projet. J’ai écrit des romans et des livrets d’opéra dans lesquels mes convictions, si elles restent présentes, sont implicites et s’effacent derrière mes personnages. Mais <i>Les identités meurtrières</i></span><span style="font-family:Baskerville;"> et <i>Le dérèglement du monde</i></span><span style="font-family:Baskerville;"> correspondent à des moments de réflexion, des moments où je m’arrête et je dis : voilà ce que je crois, voilà pourquoi j’écris, voilà à quel monde j’aspire. J’explicite les idées qui<span style=""> </span>sont les miennes depuis toujours et je les confronte aux réalités d’aujourd’hui.<o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family:Baskerville;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family:Baskerville;"><b>Il y a donc pour vous deux mouvements d’écriture très différents, deux façons de mener un projet d’écriture vers son aboutissement ? <o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family:Baskerville;">Oui en effet. Même si beaucoup de choses sont véhiculées à travers mes textes d’imagination, un romancier doit résister à la tentation d’utiliser ses personnages comme porte - paroles pour faire passer ses idées. Je dirais que c’est une attitude de sagesse de la part du romancier, que de s’effacer pour laisser les personnages vivre leur vie. <o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family:Baskerville;">Mais à certains moments, j’ai besoin d’expliciter, de dire les choses avec clarté et précision. Mes essais nécessitent un immense travail. Chaque phrase est le fruit de nombreuses réflexions et de multiples lectures. Pour ce dernier livre, ce sont pas moins de cinq à six cents ouvrages que j’ai lus. Ils couvrent toutes sortes de domaines, l’économie, le climat, l’histoire, la place de la culture dans le monde etc. Ce travail exige un temps d’isolement très long et un lent mûrissement. C’est pourquoi je ne serais pas capable de faire un livre tel que celui-là tous les 2/3 ans. <o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family:Baskerville;">L’expression qui décrirait bien mon état d’esprit lorsque je prépare un essai est :l’attention au monde. Elle m’est indispensable pour mener ce travail. <o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family:Baskerville;">Écrire un essai me redonne ma liberté de romancier. Lorsque je l’ai achevé, je n’ai plus la tentation de dire des choses, de véhiculer mes idées et je peux alors rentrer à nouveau dans un univers romanesque. <o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family:Baskerville;"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family:Baskerville;"><b>Le Liban n’est pas au centre de votre livre. Mais j’y ai relevé une affirmation « politiquement incorrecte » et que vous assumez comme telle. Vous dites en effet que la période du mandat français ainsi que la dernière phase de la présence ottomane ont été bien moins néfastes que les divers régimes qui s’y sont succédé depuis l’indépendance. Voulez-vous revenir là-dessus ?<o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family:Baskerville;">J’ai toujours eu une grande ambition pour le Liban et ma critique est à la mesure de cette ambition. Pour ce qui est des 80 ans qui s’écoulent entre la mutassarifiyya ottomane et l’indépendance, je dirais qu’ils constituent une période intéressante où des choses ont été mises en place. Il y eut certes des mutassarifs de qualité et d’autres qui étaient corrompus mais ces années étaient comme un prélude à ce qui aurait dû devenir une période de consolidation et d’avancement. Pourtant si je fais le bilan de ce que nous avons réalisé<span style=""> </span>depuis 1943, force est de constater que nous n’avons pas tenu nos promesses. Pour deux raisons essentiellement. La première, interne, a trait au confessionnalisme qui nous a empêchés de bâtir une vraie nation ; la seconde, externe, est en lien avec la situation régionale. L’environnement régional qui a prévalu très vite après l’indépendance a brouillé les cartes et n’a pas permis au Liban de réaliser ses ambitions. Je suis convaincu que le Liban devait être l’exemple de la co-existence dans la région et dans le monde. Il aurait dû se développer et progresser économiquement, intellectuellement et moralement autant que des pays tels que la Grèce, l’Espagne ou le Portugal.<span style=""> </span><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family:Baskerville;">Le confessionnalisme a des racines qui plongent certes dans l’époque ottomane et dans celle du mandat, aucun de ces deux régimes n’est innocent. Mais nous sommes devenus indépendants depuis 65 ans et nous aurions dû dépasser cette question. Les grandes figures de l’indépendance libanaise étaient convaincues de la nécessité de dépasser le confessionnalisme, ce système pernicieux où les individus n’ont pas de rapport direct avec le pays et l’état, où tout rapport se fait via les communautés. Ce système se nourrit de lui-même, si bien que la place des communautés est aujourd’hui encore plus importante qu’au moment de l’indépendance. <o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family:Baskerville;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family:Baskerville;"><b>Parlons de l’Irak, qui occupe une place centrale dans votre livre. <o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family:Baskerville;">L’Irak est en effet au coeur de mon livre à la fois pour des raisons personnelles et parce que ce qui s’y passe est révélateur des maux de notre époque. <o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family:Baskerville;">Sur le plan personnel, observer ce pays doté d’une grande richesse économique et humaine, potentiellement porteur d’immenses atouts pour le progrès de toute la région, l’observer<span style=""> </span>sombrer dans une tyrannie sanguinaire puis, par la faute d’une administration américaine irresponsable et criminelle, dans le chaos communautaire, a été source d’une grande souffrance. J’ai été profondément choqué d’assister à la destruction délibérée et totalement injustifiable de ce pays. J’ai donc passé beaucoup de temps à lire et à analyser ce qui s’y passait et tout cela m’a conforté dans ma conviction que les événements qui se déroulent en Irak sont révélateurs des maux de notre époque : la si difficile co-existence entre communautés ; les dysfonctionnements stratégiques dans le rapport entre les nations ; la responsabilité américaine dans les dérèglements du monde ; la crise profonde du monde arabo-musulman ; l’incapacité de l’occident à gérer le monde d’aujourd’hui, tout cela est lisible dans la tragédie irakienne.<o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family:Baskerville;"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family:Baskerville;"><b>Sur le rôle de l’occident, vous écrivez en effet que son drame est qu’il a constamment été partagé entre son désir de civiliser le monde et sa volonté de le dominer.<o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family:Baskerville;">Ce sont là deux exigences inconciliables. Autrefois, on disait que l’on voulait « civiliser »<span style=""> </span>les peuples, aujourd’hui on dit que l’on veut leur « apporter la démocratie et les droits de l’homme ». Ces discours sont évidemment faux. L’occident n’a jamais eu comme priorité la promotion de la démocratie, que ce soit en Amérique latine, dans le monde arabe ou en Asie. L’occident est préoccupé par la protection de ses intérêts. On a donc un discours qui se réfère aux droits de l’homme et sur le terrain, un comportement qui est exactement à l’inverse de ces valeurs. Il suffit d’observer ce qui s’est produit en Iran, en Irak ou en Indonésie ces cinquante dernières années pour s’en convaincre. L’occident a donc perdu sa crédibilité en raison de son infidélité à ses propres valeurs. <o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family:Baskerville;"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family:Baskerville;"><b>Vous êtes critique de l’occident, mais vous n’exonérez pas les peuples et leur leadership de leurs responsabilités. Parlant de Nasser, vous analysez les multiples causes de son échec, mais vous dites également qu’il était « sans grande culture historique ou morale ». Pensez-vous que cela ait pesé ?<o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family:Baskerville;">Il n’y avait chez Nasser aucun souci réel de démocratie. Nasser avait du charisme et il jouissait d’un soutien massif et enthousiaste, à la fois en Egypte et dans le reste du monde arabe. Il aurait donc eu les moyens de mettre en place un système démocratique et d’emmener l’Egypte sur la voie d’un progrès certain. Il a préféré s’appuyer sur les « moukhabarat » pour tout contrôler. Il avait la culture du pouvoir et du contrôle par l’armée et non la culture des droits de l’homme. À l’inverse de Mandela qui a su ancrer son exercice du pouvoir dans le respect des personnes et des droits, y compris de ceux qui l’avaient si violemment combattu.<o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family:Baskerville;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family:Baskerville;"><b>Vous avez également des paroles très justes et très dures et pour parler de la « double haine » des Arabes, haine du monde et haine de soi-même, qui explique largement les comportements suicidaires qui caractérisent notre début de siècle.<o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family:Baskerville;">Les Arabes ont en effet le sentiment que tout ce qui constitue leur identité est détesté et méprisé par le reste du monde et, ce qui est encore plus grave, quelque chose en eux leur dit que cette détestation et ce mépris ne sont pas complètement injustifiés. Nous avons intériorisé l’idée que nous n’avons pas d’avenir, que notre civilisation est dépassée. <o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family:Baskerville;">Quel est le remède à cet état de choses destructeur ? Je ne sais pas, mais je fais le pari que si l’on remettait la langue et la culture à l’honneur, on commencerait à avancer sur cette question. Je ne veux pas parler d’une vague nostalgie à l’égard de notre passé et de références floues à notre histoire. Je veux parler de développer l’enseignement de la langue, de la littérature et de l’histoire, je veux parler d’encourager les productions dans les domaines scientifiques, intellectuels et artistiques, je veux parler de ré -interroger notre culture et de se demander comment elle fait sens dans le monde d’aujourd’hui. Il faut rendre notre culture à nouveau vivante et cela seul permettra de modifier en profondeur notre rapport à notre passé et à notre identité. <o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family:Baskerville;"><b><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family:Baskerville;"><b>Vous vous référez en effet à maintes reprises au rôle central que devra jouer la culture dans la résolution des dérèglements du monde. Vous accordez même une place particulière à la littérature qui serait l’instrument par excellence d’une connaissance intime et profonde de l’Autre. Croyez-vous vraiment que la littérature puisse jouer ce rôle de rapprochement entre les peuples ? <o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family:Baskerville;">Si nous tenons à préserver la paix civile dans nos pays, dans nos villes, dans nos quartiers comme sur l’ensemble de la planète, si nous souhaitons que la diversité humaine se traduise par une coexistence harmonieuse plutôt que par des tensions génératrices de violence, nous devons apprendre à connaître les autres avec subtilité, et ne plus nous contenter des deux ou trois stéréotypes et préjugés qui nous tiennent lieu de connaissance. Je suis persuadé que la littérature est un formidable vecteur de connaissance ;<span style=""> </span>lire un roman indonésien par exemple me permet réellement de mieux comprendre ce pays. Mais je ne parle pas de la seule littérature contemporaine. Il y a aussi dans chaque culture des textes littéraires classiques, des épopées anciennes. Le cinéma, la musique sont aussi des vecteurs de connaissance. On ne peut plus vivre à côté les uns des autres et se contenter de connaissances aussi superficielles et grossières. J’ai envie de dire que le mot d’ordre d’un monde qui se veut plus humain, moins violent, plus respectueux des différences serait : « connaissez-vous les uns les autres ».<span style=""> </span><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family:Baskerville;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family:Baskerville;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family:Baskerville;"><b>Vous soulignez d’ailleurs que même en Europe, on assiste à une lente dégradation de la coexistence, et ce dans des pays qui avaient adopté des politiques<span style=""> </span>d’intégration très différentes. Comment en est-on arrivé là ?<o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family:Baskerville;">L’atmosphère intellectuelle a changé dans le monde et les clivages partout deviennent identitaires. La mondialisation exerce une pression accrue sur toutes les identités et chacun a peur de disparaître, peur de perdre quelque chose de soi. On assiste donc à un raidissement généralisé, consécutif au sentiment d’être bafoué dans son identité. <o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family:Baskerville;">Et par ailleurs, gérer la diversité n’est pas une chose facile. On le voit bien au Liban. Nous avons tant de conflits, mais nous avons fort heureusement une tradition de la réconciliation. Nous savons rétablir les ponts parce que, après des siècles de coexistence, nous avons cette connaissance de l’autre, subtile et forte. Mais cette connaissance n’existe pas dans les autres pays. On a donc besoin, pour gérer la diversité, de remettre la culture au centre. <o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family:Baskerville;">Nous avons à choisir entre deux visions de l’avenir. Celle d’une humanité partagée en tribus planétaires qui se combattent et néanmoins se nourrissent de la même bouillie culturelle indifférenciée. Ou celle d’une humanité consciente de son destin commun, rassemblée autour des mêmes valeurs essentielles, mais continuant à développer les expressions culturelles les plus diverses, à favoriser l’épanouissement de toutes les langues.<o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family:Baskerville;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o:p></o:p></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family:Baskerville;"><b>Le constat que vous dressez dans votre livre est alarmant. Pensez-vous que le désastre soit inéluctable ? Ou peut-on encore espérer ?<o:p></o:p></b></span></p> <p class="MsoNormal"><span style="font-family:Baskerville;">Lorsque j’analyse l’évolution probable du monde avec lucidité, il me semble qu’un cataclysme est quasiment inéluctable. Mais lorsque j’analyse avec le coeur, je trouve des raisons d’espérer.<span style=""><br /></span></span></p><p class="MsoNormal"><span style="font-family:Baskerville;"><span style=""><br /></span></span></p><p class="MsoNormal"><span style="font-family:Baskerville;"><span style="color: rgb(51, 0, 51);">Publié dans l'Orient Littéraire de Mars 2009. </span><o:p></o:p></span></p> <!--EndFragment-->Georgia Makhloufhttp://www.blogger.com/profile/04834309551444366604noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1341314854360589444.post-76333830668733268652009-07-19T14:54:00.000-07:002009-07-19T15:00:55.578-07:00Faire-Part de naissanceVoilà, en trois clics et par une soirée tranquille de juillet- dans le Paris de Juillet, qui se vide petit à petit de ses habitants et qui s'enfonce doucement dans la torpeur - ce blog est né. Souhaitons lui longue vie et surtout bon vent.Georgia Makhloufhttp://www.blogger.com/profile/04834309551444366604noreply@blogger.com0