vendredi 28 août 2009

Anne Wiazemsky rend hommage à ces héros si romanesques, ses parents.

Anne Wiazemsky s’est fait connaître comme comédienne dès sa dix-huitième année, tournant avec Bresson, Pasolini, Godard, Ferreri ou Garrel avant d’aborder le théâtre avec Fassbinder ou Novarina et la télévision. Elle débute sa carrière d’écrivain sur la pointe des pieds, par la nouvelle tout d’abord, (Des filles bien élevées reçoit le grand prix de la Société des Gens de Lettres en 1988) puis par le roman avec, entre autres, Mon beau navire (1989), Marimé (1991), Canines (prix Goncourt des Lycéens en 1993) ou Une poignée de gens qui obtient le grand prix de l’Académie Française en 1998.Tous ses livres sont publiés aux éditions Gallimard. Elle est par ailleurs juré du prix Médicis.

Ses romans ont souvent une dimension autobiographique. Elle y évoque ses racines familiales (elle est, par sa mère, la petite-fille de François Mauriac), ses débuts au théâtre, son enfance vagabonde ou les origines russes de son père. Son dernier livre, Mon enfant de Berlin, ne déroge pas à la règle. Elle raconte cette fois la rencontre entre ses parents dans le Berlin dévasté de l’immédiat après-guerre. Claire Mauriac est ambulancière à la Croix-Rouge, affectée à la Division des Personnes Déplacées. Yvan Wiazemsky, originaire de St Petersbourg, a émigré avec sa famille au moment de la révolution et a obtenu la nationalité française après avoir été longtemps apatride. Il est l’officier français le plus populaire du 96, Kurfürstendamm et ses talents de négociateur ainsi que sa connaissance des langues lui donnent un rôle de premier plan lorsqu’il s’agit d’obtenir le retour de prisonniers français.

Deux personnages dissemblables et qui n’auraient jamais dû se rencontrer, le décor éminemment romanesque d’un Berlin dévasté, voilà le matériau dont la romancière va faire son miel. Elle nous a accordé le premier entretien suivant la parution de son livre, soulignant avec pudeur à quel point les premiers interviews sont difficiles car elle est encore « dans la tristesse que le livre soit fini, et dans une certaine timidité de le livrer ainsi au jugement des autres » alors qu’elle n’a « pas encore trouvé les mots pour en parler ».

Pourquoi ce livre aujourd’hui ? De quelle manière en avez-vous ressenti la nécessité à ce point de votre parcours d’écrivain ?

Je ne comprends toujours pas comment un livre se décide. Presque chaque fois, ça correspond à une nécessité, mais dont la logique me demeure mystérieuse. De la même façon, je ne sais pas du tout ce que je vais écrire après. Quelque chose s’est sûrement joué dans un certain rapport avec mon livre précédent « Jeune fille ». Et il y a certainement aussi un lien souterrain à y voir avec la question de mon âge. En réalité, tout se passe comme si c’était le livre qui me choisissait et non l’inverse. Je connaissais l’existence du journal de ma mère et des lettres. J’en avait lu une partie. Pourquoi ai-je soudain eu envie d’y revenir ? Je ne sais pas mais ce que je peux affirmer, c’est que dès que je m’y suis plongée, j’ai su que j’en ferai quelque chose.

Les lettres qui ponctuent le livre, le journal dont vous donnez des extraits, sont donc bien réels. Il ne s’agit pas d’une invention d’écrivain ?

Non, rien de tout cela n’est inventé. J’ai lu, relu, classé. J’ai tout de suite senti que je tenais là une matière vraiment romanesque et j’ai éprouvé le désir très fort de restituer une parole à cette jeune femme. Pendant l’écriture, j’ai oublié qu’il s’agissait de mes parents. Ils étaient devenus des personnages et j’ai adoré être avec eux.

Le processus d’écriture est-il différent lorsqu’il s’agit d’une fiction pure ou lorsqu’il s’agit d’un texte qui parle, in fine, de vos parents ?

Je crois que le processus est le même. Pendant le temps de l’écriture, je ne me pose que des problèmes d’écriture. Ce n’est qu’après que peuvent surgir des questions telles que pourquoi s’exposer de la sorte, des questions qui ont à voir avec le dévoilement et la pudeur.

Cela dit, il est vrai que c’est la première fois que je donne la parole à quelqu’un de cette façon-là, que j’utilise des mots qui ont été réellement écrits par quelqu’un d’autre à un certain moment de sa vie. Je m’étais fait une promesse à moi-même, celle de ne pas modifier les textes, y compris lorsqu’ils étaient naïfs ou enfantins. J’ai sélectionné les morceaux, j’ai trié, mais jamais je ne me suis autorisée à réécrire. La difficulté était d’équilibrer la partie qui dit « je », c’est-à-dire celle où Claire parle, et la partie romanesque où c’est moi qui raconte.

Où donc se trouve la fiction dans ce que vous appelez néanmoins « roman » ?

La fiction se trouve « entre ». Il me manquait des pièces. Personne ne m’a raconté comment Wia a déclaré son amour à Claire par exemple. C’est grâce à ces trous que je me suis sentie libre. Je pense par ailleurs que c’est par la fiction qu’on s’approche au plus près de la vérité des êtres. Une phrase de Bresson m’a beaucoup aidée, m’a beaucoup inspirée tout au long de ce processus de création. Bresson disait : « Je vous invente, mais je vous invente telle que vous êtes ». C’est en réinventant Claire que je me suis approchée au plus près d’elle.

D’autres éléments appartiennent également à la fiction, comme le personnage de Hilde. J’en ai ressenti le besoin pour faire exister la version allemande de cette histoire. Il s’agit là d’un choix purement romanesque. Le processus d’écriture a donc consisté à tricoter des éléments de pure fiction avec ceux qui appartenaient à la réalité.

Ce n’est pas la première fois, me semble t-il, que la figure de votre mère est présente dans votre oeuvre ?

Il y a une dizaine d’années, j’ai écrit « Hymnes à l’amour », juste après le décès de ma mère. Ce livre correspondait au versant noir du couple Claire/Wia. Il y a eu donc pour moi un réel bonheur à les retrouver ici dans leur dimension solaire. Dans « Mon beau navire », elle est également présente. La figure de la mère, c’est elle. Elle est donc très présente dans mon écriture. Je ne sais pas pourquoi, et je dirai même que je n’ai surtout pas envie de le savoir. Je suis une personne plus intuitive que cérébrale...

Votre choix de titre a quelque chose de très paradoxal. L’enfant de Berlin, c’est donc vous. Vous êtes ainsi fortement présente dans le titre, mais quasiment pas dans le récit. Vous ne vous mettez pas du tout en scène en tant que narratrice par exemple, écrivant le livre, réagissant à ce que vous découvrez. Pourquoi cela ?

En effet, je n’apparais que dans la scène finale, et même cette scène, j’ai hésité à la conserver. Je n’ai pas souhaité du tout me mettre en scène. J’ai écrit ce livre pour elle et lui, et pour tous ces gens avec qui ils ont accompli ce formidable travail. Cette dimension de témoignage n’était pas présente au début. Elle s’est dessinée petit à petit, à mesure que j’avançais. Tout le monde a oublié le travail inouï de cette Division des Personnes Déplacées et j’ai souhaité le mettre en lumière et rendre hommage à ces gens, à ces filles de la Croix-Rouge, à leur courage et leur abnégation. Il y a donc quelque chose de quasi militant pour moi dans ce projet d’écriture, une volonté de lutter contre l’oubli.

Quant au titre, il s’est imposé à moi comme une évidence, et mon éditeur l’a tout de suite approuvé.

Vous mettez en scène une héroïne qui ne veut surtout pas exister comme « fille de » mais se construire par elle-même et qui y met une énergie immense. Et vous-même, comment avez-vous vécu cette filiation prestigieuse, le fait d’être « la petite-fille de » ?

Claire en effet avait une volonté farouche d’exister autrement que dans sa famille. Le sort des filles à cette époque-là, c’est comme si c’était une autre civilisation. Une fille de la bourgeoisie était appelée à rester dans son cadre familial, puis à se marier et à faire des enfants. Claire a mis toute son énergie à exister autrement et ce malgré les obstacles. Et c’est pourquoi il va falloir qu’à mon tour, je fasse de gros efforts pendant les interviews que je donnerai pour ne pas dire « maman », pour la laisser exister en tant que Claire.

Moi aussi, de la même façon, j’ai souhaité exister en dehors de cette filiation-là. Ce n’est pas pour rien que j’ai attendu 38 ans avant d’écrire. Il a fallu que je me construise d’abord une identité ailleurs pour oser écrire. J’avais une relation très forte avec mon grand-père, et je savais que j’écrirai un jour, mais les choses parfois se font autrement, de façon plus lente, plus souterraine. Dans le métier d’actrice, il y a des périodes de chômage difficiles à vivre et qui me sont devenues de plus en plus difficiles. J’ai commencé à écrire en cachette, pour sauver ma peau. C’était des nouvelles, que j’ai montrées à des amis et qui les ont proposées à des éditeurs. Les choses ont commencé comme ça. Enfant, j’avais écrit des romans plagiés sur « Le club des cinq ». Ma grand-mère me les tapait à la machine et les trouvait très bien. Mon grand-père lui, ça ne l’intéressait pas du tout. Par contre, le cinéma, que je fasse des films, ça l’épatait, il trouvait ça formidable.

Ce grand-père qui a beaucoup compté, il parait très absent dans votre dernier livre. Il intervient peu et n’écrit pas, ou très peu, à sa fille.

Il était à cette époque extrêmement occupé. La pression des événements était forte, il était pris dans la tourmente ; il était réellement happé par le politique. Et il savait pouvoir compter sur son épouse, il savait qu’elle assurait tout ce qui importait pour la stabilité, la continuité du cadre familial.

L’écriture vous a t-elle permis de découvrir quelque chose de nouveau pour vous-même au sujet du couple parental ? Est-ce ainsi que vous les perceviez avant de vous engager dans ce projet de livre ?

D’avantage que de découvrir mes parents autrement, ce livre m’a permis de leur redonner la parole. La lettre de Wia, celle qu’il envoie pour se défendre par exemple, je savais qu’elle existait mais je ne la connaissais pas, je ne l’avais jamais lue. Elle m’a bouleversée. Je l’ai reproduite sans y changer une virgule.

« Hymnes à l’amour » était né de façon différente. Il faisait suite à la mort brutale de ma mère. Dans ces circonstances, on se trouve dans l’obligation de vider un appartement, on est face à des objets, des meubles, des livres, qui racontent des tranches de vie parfois inconnues de nous. Ce qui m’a le plus bouleversée alors, ça a été le testament de mon père dont je ne connaissais pas l’existence et qui m’a fait découvrir de lui des choses que j’ignorais totalement.

Compte tenu de tout ce que vous racontez là au sujet de la naissance de « Mon enfant de Berlin », pensez-vous que le terme de « roman » qu’on voit sur la couverture soit le terme adéquat pour désigner ce livre ?

Oui, c’est bien un roman. A partir du moment où c’est la mémoire qui est sollicitée, il y a nécessairement recomposition et réécriture. C’est aussi un roman par la liberté que je prends de les présenter sous un certain angle, un certain éclairage. Il y a une réelle volonté de ma part de les mettre en valeur de cette manière-là.

Pour conclure, j’ai envie de vous demander quel regard vous portez sur la production romanesque française actuelle et comment vous vous situez au sein de cette production ?

Pour toutes sortes de raisons différentes, et entre autres parce que je suis juré du prix Médicis, je m’abstiendrai de vous répondre. Je me contenterai de vous dire que je me sens très proche de quelqu’un comme Modiano par exemple. Ou de Perec dont j’ai envie de citer une phrase extraite de « W ou le souvenir d’enfance » et qui exprime très exactement ma démarche pour ce dernier livre : « J’écris parce que nous avons vécu ensemble et que j’étais un parmi eux, ombre au milieu de leurs ombres, corps près de leurs corps. J’écris parce qu’ils ont laissé en moi leur marque indélébile et que la trace en est l’écriture. L’écriture est le souvenir de leur mort et l’affirmation de ma vie ».

Publié dans l'Orient Littéraire de Septembre 2009.

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